[Critique] Rabia : Plongée intimiste dans l’enfer de Raqqa

Caractéristiques

  • Titre : Rabia
  • Réalisateur(s) : Mareike Engelhardt
  • Avec : Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief, Lena Lauzemis et Christine Gautier.
  • Distributeur : Memento Distribution
  • Genre : Drame, Thriller
  • Pays : France, Allemagne, Belgique
  • Durée : 94 minutes
  • Date de sortie : 27 novembre 2024
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 7/10

Rabia est le premier long-métrage de Mareike Engelhardt avec, à son casting, Megan Northam (Jessica / Rabia), Lubna Azabal (Madame) et Natacha Krief (Laïla). Fruit de plusieurs années de travail et de rencontres avec des femmes revenues de Raqqa, en Syrie, dont elle a recueilli les témoignages, le film traite du quotidien de ces jeunes filles embrigadées et venues des quatre coins du monde pour devenir épouses de djihadistes.

Au cœur des maisons d’épouses de Daesch

Insatisfaites de leur vie en France et attirées par la promesse d’une vie meilleure, Jessica et son amie Laïla, 19 ans, partent en Syrie rejoindre Daesch. Elles ont rencontré leur futur mari sur Internet et fantasment un avenir brillant à ses côtés. Leur rêve bascule lorsqu’elles arrivent dans la « maison » d’épouses, tenue d’une main de fer par la fascinante Madame.

Si le sujet choisi par Mareike Engelhardt n’est pas particulièrement original, son angle d’approche est plutôt inédit, car on pénètre avec sa caméra au sein des maisons pour femmes encadrées par l’Etat islamique, et la réalité n’est pas forcément celle à laquelle on pouvait s’attendre. Les futures épouses peuvent aussi bien y suivre des règles très strictes qu’essayer de la lingerie coquine pour combler les plaisirs de leur mari, et leur comportement, au départ totalement insouciant et écervelé, contraste d’une manière particulièrement dérangeante avec la sombre bâtisse dans laquelle elles sont enfermées.

La réalisatrice filme cette réalité avec sobriété et se concentre sur l’intime. La caméra filme les corps et s’attarde sur des scènes de vie banales, les tâches du quotidien, la toilette… Le travail du cadre est précis et la photographie très soignée, afin d’être toujours au plus près des personnages et d’en dépeindre l’environnement le plus rigoureusement possible.

image azabal lubna rabia
Copyright Omar Rammal/Films Grand Huit

Un huis clos âpre et angoissant

La maison dans laquelle sont retenues Jessica et Laïla devient alors le théâtre d’un huis clos psychologique anxiogène. Elles abandonnent progressivement tout ce qui faisait d’elles des femmes libres : leurs biens, tout d’abord, et notamment leurs livres et leurs téléphones – lien à la connaissance et au monde extérieur – leurs vêtements occidentaux, remplacés par de longs voiles et robes couvrant presque totalement le corps, et enfin leur volonté propre. Madame veille à les soumettre à une autorité ferme et glaçante, les transformant progressivement en épouses dociles, ou façonnant de futures prédicatrices.

Cet enfermement croissant est accentué par la mise en scène de Mareike Engelhardt, qui privilégie les espaces confinés, sombres et délabrés. La musique, peu présente et plutôt constituée de bruitages oppressants renforce la rudesse de ce quotidien étouffant. Lorsqu’elle ouvre son cadre à des décors plus amples, la réalisatrice filme des paysages dévastés, désolés, particulièrement impressionnants.

C’est donc une réalité âpre, proche du documentaire, qui nous est présentée, avec des couleurs plutôt ternes, froides, à des années lumières de ce que les jeunes femmes étaient venues chercher.

image megan northman rabia
Copyright Memento Distribution

Un traitement un peu décevant des mécanismes de l’endoctrinement

Megan Northam incarne avec beaucoup de talent cette jeune occidentale fleur bleue que le système carcéral de la maison va progressivement façonner et déshumaniser. De son côté, Lubna Azabal est effrayante de justesse dans ce rôle de directrice tantôt sévère, tantôt douce, toujours charismatique. Si cette relation ambiguë et perverse entre les deux femmes est très intéressante, elle aurait cependant gagné à être traitée avec plus de subtilité, les motivations de Rabia étant trop versatiles et son évolution trop rapide pour être vraiment crédible.

La réflexion de la réalisatrice sur le pouvoir de la parole, la manipulation, et les mécanismes de l’endoctrinement est absolument pertinente et nécessaire, mais sa mise en place dans le film est également parfois maladroite, ses personnages n’étant pas toujours caractérisés avec suffisamment de finesse, et le scénario allant parfois un peu trop vite pour traiter de questions aussi complexes.

Pour autant, certains passages sont très réussis et marquants, et exaltent chez le spectateur un sentiment de colère et de révolte constructives. On pense notamment à ces très jeunes enfants, seuls sur un tapis, face à une télévision diffusant des images choquantes de guerre et de propagande, ou aux cartons de fin du film, délivrant quelques informations supplémentaires sur la réalité effrayante de ces femmes endoctrinées et enfermées en Syrie, encore de nos jours.

Rabia est donc un film imparfait mais intéressant. Avec son esthétique proche du documentaire, ses actrices très impliquées et son âpreté. Il plonge le spectateur dans le quotidien infernal des futures épouses de djihadistes, pan jusqu’alors peu traité au cinéma.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucia Piciullina aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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