[Critique Théâtre] L’Injuste : Joute verbale au Théâtre de la Renaissance

Mis en scène par Julien Sibre (Le repas des fauves au théâtre Hébertot en 2023, Le Mari, la femme, l’amant à l’Espace Bernard-Palissy en 2015), L’Injuste est une pièce écrite à quatre mains par Alexandre Amiel, Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre et Alexis Kebbas. Pour fouler les planches du Théâtre de la Renaissance et lui donner vie, deux artistes à la belle – et longue pour l’un d’eux – carrière au théâtre, au cinéma et à la télévision : Jacques Weber et Élodie Navarre.

Le rideau s’ouvre sur Jacques Weber, assis au milieu d’une pièce austère, composée de cloisons grises, d’une table basse et d’une porte blindée. Quelques tableaux sont posés par terre. Derrière lui, quatre écrans diffusent des images d’archive qui deviendront par la suite des écrans de surveillance en noir et blanc. Le ton est donné : dans ce décor tout en sobriété, la place sera laissée aux mots et au jeu des acteurs. La lumière froide des néons surplombant la scène et les quelques interludes de musique dramatique achèvent d’enfermer les personnages dans un huis clos tendu et funeste. Pourtant, au centre de la table, se trouve un paquet rouge, que la journaliste a apporté à Genoud mais qu’il a l’interdiction d’ouvrir pour le moment. Le suspense s’installe…

Durant 1h20, Jacques Weber et Élodie Navarre vont s’affronter sur les planches dans un véritable bras de fer verbal, idéologique et moral. Alors que la journaliste voudrait conduire son interview, François Genoud monopolise la parole, interrompt et rejette la faute sur l’autre en permanence. A travers une métaphore filée du Petit Chaperon rouge et de l’univers des contes de fées, la pièce oppose deux adversaires dans une quête de pouvoir perpétuelle. Qui sera finalement le loup et réussira à dévorer la fillette ?

Aux commandes de cette joute théâtrale, deux acteurs très investis, dont l’animosité est palpable. Si la journaliste interprétée par Élodie Navarre est tendue, nerveuse et glaciale, le personnage joué par Jacques Weber ménage le froid et le chaud, se montrant tantôt chaleureux, tantôt menaçant, tantôt vieillissant et amoindri, tantôt imposant. Pourtant, en faisant le choix d’une mise en scène plutôt mesurée, avec des personnages souvent statiques, Julien Sibre prend un certain risque : celui de rendre cet affrontement un peu monotone. Heureusement, quelques explosions de violence et cris viendront briser par instants la froideur de leurs échanges.

L’Injuste traite avant tout d’un sujet important de l’Histoire, du devoir de mémoire, et d’un personnage assez peu familier du grand public : François Genoud. Principalement connu pour son rôle de financier et de sympathisant actif des mouvements nazis et du parti national socialiste d’Hitler, il s’est par la suite impliqué dans les réseaux d’extrême droite et le terrorisme international dans les années 70. En faire le personnage principal de leur pièce de théâtre permet aux dramaturges de le représenter sans le diaboliser, vieillissant, mais sans remords, face à la fille d’une rescapée d’Auschwitz.

Leur face à face permet tour à tour d’interroger l’histoire, la justice – la journaliste pourra-t-elle le faire répondre de ses actes face à un tribunal ? – et la nature profonde de chacun. Le fait d’avoir placé l’intrigue en décembre 93, juste après les Accords de Paix d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens n’est d’ailleurs pas anodin et renvoie le public à une réflexion plus large sur l’état du monde et l’importance de ne jamais oublier le passé.