[Critique] Misery : A la croisée des talents

Caractéristiques

  • Titre : Misery
  • Réalisateur(s) : Rob Reiner
  • Scénariste(s) : Stephen King et William Goldman
  • Avec : James Caan, Kathy Bates, Richard Farnsworth, Lauren Bacall, Graham Jarvis...
  • Distributeur : UGC Ph
  • Genre : Thriller
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h47
  • Date de sortie : 30 novembre 1990 (Etats-Unis) et 13 février 1991 (France)
  • Note du critique : 8/10

Pour Halloween, quoi de mieux que de se pencher sur une adaptation d’un roman de Stephen King ? De Shining à Ça en passant par Carrie, les exemples en la matière ne manquent pas, mais c’est de Misery, qui illustre les affres de la création, dont nous avons décidé de parler. Une adaptation de haut niveau, pour laquelle le réalisateur Rob Reiner a su saisir la substantifique moelle de l’œuvre de l’écrivain.

Une adaptation aussi glaçante que mémorable

Misery le film, c’est d’abord un alignement des planètes favorable (comme souvent) entre un auteur de roman d’angoisse qui, après plusieurs succès littéraires, a le vent en poupe à Hollywood et un réalisateur qui, sorti des tournages de deux excellents métrages au souffle romantique, cherche de nouvelles expériences. Stephen King à ce moment de sa carrière a déjà vu plusieurs de ses œuvres adaptées avec succès au cinéma et la télévision que ce soit Carrie au bal du diable en 1976, Les vampires de Salem en 79, Shining en 1980, puis Cujo en 1983, et bien d’autres.

Le réalisateur Rob Reiner s’est déjà lui même prêté au jeu en adaptant en guise de 3eme long-métrage la longue nouvelle Le corps, qui sortira au cinéma sur le titre Stand by Me en 1986, un film très touchant sur l’amitié et le passage à l’âge adulte qui semble incongru par rapport au reste des récits de Stephen King, mais qui demeure encore aujourd’hui l’une de ses histoires les plus émouvantes.

Par la suite, le réalisateur restera dans le registre émotionnel mais sur un ton plus léger, avec d’abord Princess Bride (une sympathique romance dans un univers de medieval fantasy), puis la comédie romantique Quand Harry rencontre Sally. Bien que Misery semble aux antipodes de ses précédentes réalisations, l’histoire parle elle aussi de romance conflictuelle mais, cette fois-ci, en en explorant la face sombre.

Misery est sans doute l’une des œuvres les plus personnelles et marquantes de Stephen King, et son adaptation cinématographique n’a absolument rien à lui envier. Pour mieux en cerner la réussite, il nous semble judicieux de l’aborder, d’abord sur la forme, puis sur le fond.

kathy bates dans le film misery de rob reiner

La plume et le marteau

Commençons par la forme, donc. Misery, bien que partant du postulat simple d’une séquestration en huis clos, parvient à maintenir une tension permanente en conservant l’essence du roman tout en resserrant l’intrigue pour plus d’efficacité. La réalisation s’avère sans fioriture inutile (trop académique diront peut-être certains), mais les cadrages toujours serrés, la lumière blafarde et les silences pesants suffisent largement à nous faire comprendre le sentiment d’isolement et de folie qui étouffe lentement l’écrivain malchanceux. Tout au plus peut-on regretter une partition musicale peu mémorable.

À ce titre, on peut saluer l’initiative de Stephen King qui, très satisfait de leur précédente collaboration sur Stand by Me, a exigé que ce soit Rob Reiner qui réalise le film.

Mais, à ce jeu du chat et de la souris, l’essentiel de l’intrigue repose principalement sur les performances des acteurs avec, d’un côté du ring, Annie Wilkes, qui passe avec une facilité déconcertante d’un sourire bienveillant à une explosion de rage en une fraction de seconde. Kathy Bates a décroché cette année-là l’un des Oscars de la meilleure actrice parmi les plus mérités de l’histoire. De l’autre côté du ring, on pourrait penser que le personnage de Paul Sheldon allait être plus effacé, voire englouti par la présence écrasante de l’antagoniste, or il n’en est rien.
James Cannes livre lui aussi une étonnante performance tout en vulnérabilité et détermination, les circonstances l’obligeant lui aussi à devenir double pour leurrer sa geôlière. Ses diverses tentatives d’évasion font monter à chaque fois la tension d’un cran. L’alchimie de ce duo fonctionne à merveille et la réussite du film repose grandement sur celui-ci.

kathy bates et james caan dans le film misery de rob reiner

Les amours contrariés de Misery

Pour ce qui est du fond – et aussi surprenant que cela puisse paraître – Misery pourrait être qualifié de film d’amour, car c’est bien de romance dont il est question. On pourrait même avancer qu’il s’agit d’une double romance, toxique dans les deux cas, malaisante, voire dangereuse.

La première « romance » est celle que l’écrivain Paul Sheldon entretient avec Misery, l’héroïne de ses romans. Comme dans Frankenstein ou le Prométhée moderne, la créature prend le pas sur son créateur et finit par tellement s’imposer dans sa vie qu’il se sent étouffé, que ce soit directement par elle ou par l’ adoration aveugle des fans à son égard, qui éclipse ses envies personnelles. Une métaphore de la véritable vie de Stephen King qui, à l’époque, se sentait asphyxié par l’ensemble de ses fans toxiques.

C’est pour cette raison que son alter-ego décide enfin de s’émanciper d’elle en écrivant un dernier roman dans lequel il la tue enfin pour pouvoir tourner la page et écrire ce que ces aspirations lui dictent. Mais Misery n’a pas dit son dernier mot, et c’est à travers sa plus grande fan qu’elle va continuer à hanter son créateur. Paul Sheldon et Annie Wilkes forment alors le couple dystopique par excellence et King en profite pour poursuivre sa critique sur ses lecteurs en faisant de son antagoniste, première lectrice de Paul, une personne bigote, inculte, incapable d’émettre une critique constructive et qui, bien que gentille en apparence, s’avère complètement dépendante d’un monde fictif.
Mais sous cette apparence se cache aussi une personne dangereuse, instable qui,  ne supportant pas de voir son idole de papier mourir, va exiger de Paul Sheldon qu’il l’a ressuscite.

Annie veut littéralement que Paul se sacrifie corps et âme pour que Misery vive, au point de le torturer ou de brûler le manuscrit d’une autre histoire qui, elle, lui tenait à cœur. Jusqu’à la fin cependant, il est clair que la présence d’Annie et la lutte de Paul pour s’échapper/s’émanciper d’elle/de ses lecteurs s’avère également être le chemin vers le succès.

Une dernière métaphore sur la relation étrange et ambivalente que l’artiste entretient avec son public et une raison supplémentaire pour comprendre à quel point Stephen King a mis de lui-même dans cette histoire. L’horreur c’est les autres pourrait-on dire, mais ce qui est troublant dans le livre comme dans le roman, c’est de finalement conclure que nous avons parfois besoin de cette noirceur pour évoluer.

Article écrit par

Depuis toujours, je perçois le cinéma, certes comme un art et un divertissement, mais aussi et surtout comme une porte vers l'imaginaire et la création. On pourrait dire en ce sens que je partage la vision qu'en avait Georges Méliès. Avec le temps, de nombreux genres ont émergé, souvent représentatifs de leurs époques respectives et les bons films comme les mauvais deviennent ainsi les témoins de nos rêves, nos craintes ou nos désirs. J'ai fait des études de lettres et occupé divers emplois qui jamais ne m'ont éloigné de ma passion. Actuellement, sous le pseudonyme de Mark Wayne (en hommage à l'acteur John Wayne et au personnage de fiction Bruce Wayne alias Batman), je rédige des critiques pour le site "Culturellement Vôtre". Très exigeant dans ma notation des films, en particulier concernant le scénario car c'est la base sur lequel aucun bon film ne peut émerger s'il est bancal ou pour le moins en contradiction avec son sujet. Je conserve une certaine nostalgie d'une époque qui me semble (pour l'instant) révolue où le cinéma ne se faisait pas à base de remakes, intrigues photocopiées et bien-pensance. Néanmoins, rien n'entame mon amour du cinéma, et chaque film que je regarde me le rappelle, car bons ou mauvais, ils restent le reflet de notre époque.

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