article coup de coeur

[Critique] The Reader — Stephen Daldry

Caractéristiques

  • Titre : The Reader
  • Réalisateur(s) : Stephen Daldry
  • Avec : Ralph Fiennes, Kate Winslet, Bruno Ganz, David Kross, Jeanette Hain, Susanne Lothar …
  • Distributeur : SND
  • Genre : Drame, Historique
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 124 minutes
  • Date de sortie : 15 juillet 2009
  • Note du critique : 8/10

Après le très beau The Hours en 2002, tiré du roman du même nom de l’américain Michael Cunningham, hommage à Virginia Woolf et son célèbre roman Mrs Dalloway, c’est encore avec une adaptation que nous revient Stephen Daldry, The Reader, d’après le très beau roman éponyme de Bernhard Schlink. Un retour tout à fait convaincant, même si quelques menus détails peuvent un peu faire tiquer.

On sent par exemple dès le départ la gêne du cinéaste anglais, qui réalise un film avec un casting purement anglo-saxon d’après un roman allemand sur le sentiment de culpabilité des Allemands lié à la 2ème Guerre Mondiale… l’histoire se déroulant bien entendu en Allemagne. Ainsi, plutôt que de laisser ses acteurs parler avec leur accent britannique naturel, il leur a demandé d’adopter un accent allemand tout en parlant anglais du début à la fin! Heureusement, les acteurs principaux, Ralph Fienneset Kate Winslet, en n’en rajoutent pas trop de ce côté-là, mais cela procure néanmoins un certain malaise durant les premières minutes du film.

Un film autour du sentiment de culpabilité

image kate winslet film the reader stephen daldryPour ce qui est du reste, le film est admirablement réalisé : Daldry a conservé son style assez classique, mais jamais lisse, qui était déjà le sien dans The Hours. Et si l’intrigue a subi quelques coupes drastiques de-ci de-là que les lecteurs du roman pourront regretter (tous les passages avec le père du héros, ambivalents et enrichissants, ont été coupés notamment, ainsi que l’intérêt d’Hanna pour les livres sur la Shoah à la fin du roman), la tension si palpable de l’histoire, sa complexité et son ambivalence sont bien présents.

De la liaison torride de l’adolescent de quinze ans avec une trentenaire énigmatique qui a manifestement des sentiments pour lui, mais le manipule en partie et jouit de l’influence qu’elle exerce sur lui, à l’étudiant en droit qui vient assister au procès pour crimes de guerre dans lequel cette même femme, qu’il n’avait pas revue depuis, est sur le banc des accusés, en passant par l’homme d’âge mûr encore retranché dans le passé, The Reader nous conte une histoire âpre et douloureuse. L’histoire d’une génération qui a du mal à faire la paix avec son passé : une des questions qui tourmente un des étudiants en droit, au cours du film, est de savoir le rôle qu’ont joué ses parents et ceux des personnes de sa génération durant la guerre. Peut-on pardonner, ou ne serait-ce que comprendre? La relation entre Michael et Hanna est de la même nature : le héros ne peut ni la renier ni la dévoiler, et en est changé à vie.

Vous avez dit mélo? Un film qui sait rester à la bonne distance

image kate winslet film the readerCertains ont reproché au film un aspect mélo trop appuyé. Il est vrai que dans le roman, le héros, qui est également le narrateur, revient sur les évènements de manière distanciée, avec une objectivité qui tend parfois à une certaine froideur. N’ayant toujours pas réussi à faire la paix avec son passé, mais ne pouvant l’oublier, hanté qu’il est par cette femme, il apparaît souvent comme hors de lui-même, détaché de sa propre vie pour mieux s’en protéger. Il n’est pas indifférent ni réellement impartial (il ne cache pas sa souffrance durant le procès, ni l’ambivalence qui l’habite et les traces laissées dans sa vie), mais ses émotions sont néanmoins enfouies et il apparaît comme un personnage fermé. D’ailleurs, nous sommes tout le temps dans ses pensées dans le roman, celles-ci se révélant souvent contradictoires par rapport à ce qu’il laisse entrevoir aux autres.

Autant dire que la manière de traduire la personnalité de ce personnage à l’écran a dû être un point délicat, sur lequel les scénaristes, puis le cinéaste et son acteur Ralph Fiennes, ont dû sérieusement plancher pour que le spectateur ne reste pas extérieur au héros, et donc au film sans, pour cela, avoir recours à une voix-off omniprésente pour expliciter les sentiments du personnage, ce qui aurait sans doute été une facilité. Ainsi, au final, le personnage campé par Fiennes, bien que torturé et renfermé, est bien plus à fleur de peau et pleure abondamment dans plusieurs scènes, ce qui a évidemment fait débat. Les scènes rajoutées avec sa fille sont là pour offrir au héros un exutoire et ainsi une possibilité de guérir ses tourments, ce qui ne se présentait pas au narrateur du roman, et allège en effet quelque peu la fin en terminant par une lueur d’espoir.

Cependant, il faut relativiser : si le héros pleure en effet beaucoup à plusieurs moments, le tout est loin de sombrer dans le mélo. Le film reste passionnant et extrêmement tendu, et ne cède pas à la facilité des violons. On peut comprendre les
raisons qui ont poussé les scénaristes et producteurs du film à effectuer quelques changements dans le comportement du personnage. Après tout, ce qui est palpable dans un roman ne l’est pas nécessairement à l’écran, et il aurait été dommage qu’en essayant de trop respecter le roman de Schlink à la lettre, le cinéaste donne l’impression au spectateur que son héros est un homme rendu froid et insensible par sa liaison de jeunesse, ce qui aurait été en contradiction totale avec le roman.

En ce sens, Daldry n’aurait pas pu montrer, comme dans le roman, le héros visiter les camps de concentration vingt ans après la fin de la guerre, et ne rien éprouver. Ce n’est pas par indifférence que le narrateur dit ne rien éprouver à ce moment-là, mais le procès l’a vidé de tout et les lieux, vides et propres, lui semblent irréels, il n’arrive pas à se représenter ce qui s’y est passé, de même qu’il n’arrive pas à se représenter le comportement injustifiable de son ancienne maîtresse durant cette période. Ceci se comprend parfaitement dans le roman, mais à l’écran, à moins de recourir à une voix-off, cela aurait laissé entendre un message contradictoire aux intentions de l’auteur et qui aurait été inacceptable pour les spectateurs. Le personnage de Ralph Fiennes n’apparaît donc pas détaché lors de sa visite des lieux.

Daldry reste finalement à la bonne distance : le film est dérangeant et très émouvant à la fois, sans en faire trop. On ressent de l’empathie vis-à-vis du personnage
joué admirablement par Kate Winslet, sans pour autant l’excuser. Le film n’en fait pas une victime, mais laisse percevoir les contradictions d’une femme qui n’est pas mauvaise en soi, tout comme ne l’étaient pas nécessairement les Allemands qui, bien que n’étant pas tous Nazis, ont fermé les yeux sur les événements ou accepté des postes qui leur ont donné une position inacceptable durant cette guerre. La force du film (tout comme c’est le cas du roman) est de nous faire sentir cette ambivalence qui déchire le héros et ses camarades étudiants en droit. En cela,
le film est particulièrement réussi.

Une interprétation remarquable et habitée de Kate Winslet

Et il y a bien évidemment les acteurs : Ralph Fiennes et Kate Winslet. L’interprétation de cette dernière est tellement impressionnante que Fiennes, par ailleurs très bien, passe relativement inaperçu. Formidable actrice de composition, elle incarne corps et âme le rôle d’Hanna, adoptant une démarche et des gestes étonnants de précision, qui semblent complètement naturels et nous font oublier en un rien de temps qu’il s’agit de LA star Kate Winslet que nous voyons dans le film. Alors que certaines actrices auraient pu pousser un peu trop la performance en en rajoutant, ici rien dans son jeu ne semble surfait et son implication dans le rôle est telle qu’on ne peut qu’applaudir son couronnement aux Oscars. Tout comme Meryl Streep, aux côtés de laquelle elle a été photographiée lors de la soirée suivant la cérémonie, elle semble en effet pouvoir se fondre dans n’importe quel rôle, du plus exubérant au plus renfermé ou inquiétant sans faire preuve de cabotinage, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Le jeune David Kross, qui interprète Michael jeune (que l’on voit donc bien plus que Fiennes qui, en fin de compte, n’est vraiment présent que dans la dernière partie du film) est quant à lui remarquable de justesse dans un rôle qui n’est pas évident.

Au final, malgré les quelques petites réserves qu’on peut lui accorder (qui tiennent plus du détail), The Reader est un film très réussi, étouffant et bouleversant, soutenu par une distribution d’une très grande justesse. Cette réussite ne fait que confirmer le talent de Stephen Daldry, cinéaste sensible sans être pour autant démonstratif. A ceux qui auront vu le film et voudront prolonger l’expérience, nous conseillons bien entendu, si ce n’est déjà fait, de lire le roman de Bernhardt Schlink (disponible au format poche pour 6 euros).

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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