Lady Blue Shanghai : le court-métrage publicitaire de David Lynch pour Dior

La présentation de Lady Blue Shanghai sur le site Lady Dior

Cela faisait des mois qu’on nous l’avait annoncé, avec plusieurs vidéos (un poème filmé et de courtes séquences making-of) présentées en avril sur le site Lady Dior. Le court-métrage publicitaire de 16 minutes réalisé par David Lynch pour promouvoir le sac emblématique
de la maison Dior dont Marion Cotillard est l’égérie a enfin été dévoilé le 15 mai (en plein Festival de Cannes, of course!) sur Internet. En
inconditionnels de Lynch appréciant également l’esthétique de la maison Dior, nous avons immédiatement visionné la vidéo en question, qui est visible ici.

Déroutant et audacieux

Un hall d'hôtel vide et inquiétant filmé en numérique (Lady Blue Shanghai)

David Lynch avait déjà réalisé plusieurs publicités auparavant (pour des voitures notamment, si si!), mais le voir s’approprier l’identité d’une marque aussi
prestigieuse avait de quoi susciter notre curiosité, surtout quand l’on sait l’importance des costumes féminins dans des films tels que Lost Highway ou Mulholland Drive, pour ne citer que ces deux-là. Nous avons tout d’abord été étonnés par l’utilisation, à priori contre-nature pour une publicité de luxe, du même type de caméra numérique qu’il a utilisée dans son dernier long-métrage, Inland Empire (2006) et non de pellicule 35mm avec un éclairage mi-hollywoodien, mi-surréaliste dont il a le secret. Le premier plan du film, sur le hall d’un hôtel de luxe à Shanghai, est presque choquant avec la lumière, assez glauque, utilisée pour l’occasion : comme dans Inland Empire, le cinéaste filme de manière très sobre des lieux familiers et luxueux qu’il rend tout de suite inquiétants par le seul cadrage en grand angle associé à une utilisation de la lumière particulière, qui tend à assombrir l’espace et à le rend froid au lieu de le magnifier. Un comble pour une pub pour un sac à main ! C’est là qu’on voit que c’est l’excentrique et intransigeant John Galliano qui est directeur de la création chez Dior.

Créateur excentrique et génial, Galliano a d’une part un sens de la communication inouï (heureusement en même temps, vu la maison) mais il se présente également comme un véritable artiste, qui ne cache pas que le cinéma et la littérature sont une source d’inspiration pour lui. Vu sous cet angle, la collaboration entre Lynch et
Dior semblerait presque naturelle et surtout, il apparaît comme une évidence que ce n’est que sous la direction de Galliano que Dior aurait pu laisser autant de liberté à Lynch pour une campagne publicitaire de cette importance. Car, admettons-le, mis-à-part les cinéphiles ou les fans de Lynch qui ont apprécié son dernier film (le seul qu’il ait tourné en numérique), ce parti-pris esthétique rebutera la plupart des gens… dont de nombreuses fashion addicts (qui ont déjà réagi en masse sur le site de ELLE en criant horreur). Voilà donc qui promet de créer la polémique (et donc le buzz) et de distinguer Dior par son audace et son raffinement (il s’agit tout de même de David Lynch, cinéaste culte unique en son genre !).

Le mythique sac Lady Dior façon David Lynch

Marion Cotillard, Lady Dior donc, entre dans l’hôtel et rejoint sa suite dans une séquence inquiétante à souhait sous son aspect très banal et est choquée de
découvrir le fameux sac à main matelassé bleu électrique au milieu de celle-ci, dont une épaisse fumée fantastique s’échappe, embrumant la pièce. Les aficionados du cinéaste reconnaîtront là deux éléments récurrents dans ses films: la couleur bleue électrique (boîte bleue, clé bleue de Mulholland Drive mais également rideau, sac à main, vernis à ongles, lumière, etc.) et la fameuse fumée (ou brouillard). Vous pouvez remarquer qu’elle porte un tailleur gris, comme Betty dans Mulholland Drive, dont la tenue était un clin d’oeil direct à la tenue de Kim Novak dans Vertigo d’Alfred Hitchcock, un film sur l’obsession d’un souvenir lié à une femme intemporelle justement, où il est question d’apparition.

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Effrayée, elle appelle la sécurité de l’hôtel qui ne trouve rien d’anormal. Interrogée par les deux hommes, elle se rappelle de sa journée, où elle a visité l’immense Pearl Tower et se souvient peu à peu de sa rencontre avec un homme dans une suite rouge (cf. la Red Room de Twin Peaks).

Les deux amants se retrouvent dans une Red Room rétro au look très Shanghai

C’est le coup de foudre et ils passent la nuit ensemble dans les rues de Shanghai. Tout cette partie, telle un rêve éveillé, est filmée de manière saccadée, avec de nombreux flous et fondus, le tout étant magnifié par les couleurs et les lumières de la ville… Pour ceux qui n’accrocheraient pas à tout le début très froid, numérique et lent, faites l’effort de regarder jusque-là, cela en vaut la peine !

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Lynch magnifie la brève histoire d'amour du couple Dior en jouant avec les lumières de la ville, le flou et les fondus

De retour au sommet de la Pearl Tower, le couple doit se séparer, l’homme ne pouvant suivre la jeune femme (il est suggéré qu’il s’agit en fait d’un fantôme). Il lui
tend une rose bleue (comme dans Twin Peaks Fire Walk With Me, le film adapté de la série) en guise de cadeau d’adieu.

Une rose bleue dans le sac Lady Dior... réminiscences de Twin Peaks le film

A ce souvenir, la jeune femme pleure et s’approche du sac pour l’ouvrir… la rose bleue s’y trouve. Comprenant ce que signifie la présence du sac, elle le prend et le serre religieusement contre sa poitrine tandis qu’une lumière surnaturelle l’illumine au milieu de la pénombre.

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En définitive, ce film publicitaire est donc une belle réussite et, il n’y a pas à dire, Lynch est très doué pour la pub : le court-métrage est conçu pour que l’on attende le moment où Marion Cotillard va enfin toucher le sac et le prendre dans ses bras, ce dernier plan étant magnifié à l’extrême. Le côté objet précieux du sac est mis en avant, non par rapport à son prix fastidieux (1600€) mais pour sa valeur sentimentale, comme s’il s’agissait d’un trésor. Et bien entendu, avec cette histoire de fantôme, c’est également le côté intemporel de l’objet qui est mis en avant. Rappelons que le Lady Dior a connu pour la première fois la gloire lorsque Lady Di l’a porté à son bras en 1995, suivie par de nombreuses personnalités et il s’agit véritablement du sac culte de la marque, qui veut donc appuyer son côté « mythique » au travers de ces trois films publicitaires prestigieux (il y a également Lady Dior Red et Lady Dior Black). Il n’est pas sûr que ce film soit du goût de tout le monde mais il prouve en tout cas l’audace de Dior, qui a par ailleurs travaillé avec des artistes contemporains et plasticiens chinois pour monter des installations autour du sac. Une manière de se distinguer et d’ériger le savoir-faire de la maison en art.

Sur le tournage de la séquence expérimentale pour la vidéo du poème Lady Dior Blue

Sur le site Lady Dior , vous pouvez également visionner une vidéo de 7mn où Marion Cotillard récite le poème en l’honneur du sac (!!) écrit par Lynch lui-même, le tout façon mini-film expérimental ainsi qu’un court making-of.

Cet article analysant le clip publicitaire Lady Blue Shanghai fait partie du dossier consacré au réalisateur David Lynch et à son œuvre.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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