Caractéristiques
- Titre : Last Flag Flying
- Réalisateur(s) : Richard Linklater
- Avec : Bryan Cranston, Steve Carrell, Laurence Fishburne, Deanna Reed-Foster, Graham Wolfe...
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Genre : Comédie dramatique
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 2h05
- Date de sortie : 17 janvier 2018
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Chroniques de l’après-guerre
Après le joli Boyhood (2014) et Everybody Wants Some!!! (2016), Richard Linklater est de retour avec un nouveau long-métrage d’une belle sobriété. Last Flag Flying est l’adaptation d’un roman de Darryl Ponicsan paru en 2005 sur les conséquences de la guerre sur les soldats et leurs familles. Réunissant un trio d’acteurs prestigieux, dont un impressionnant Bryan Cranston (Power Rangers, Drive…) et un Steve Carell tout en timidité et en tristesse rentrée, cette comédie dramatique raconte le road-trip de trois anciens camarades de la guerre du Vietnam qui ne se sont pas vus depuis plus de 30 ans. Lorsque le fils de l’un d’eux, Larry (Steve Carell) meurt sur le champ de bataille en Irak, il demande à ses deux compagnons de galère de l’accompagner pour rapatrier le corps de celui-ci dans sa ville natale pour l’enterrement. Ce voyage fera remonter à la surface bien des souvenirs tandis que, malgré la fatalité du destin, la vie reprend le dessus grâce à l’amitié.
C’est un film qui aurait pu être un mélodrame larmoyant à souhait, avec un message surligné plus que de raison. Or, fidèle à lui-même, Richard Linklater nous livre au contraire une oeuvre subtile, jouant sur la retenue et la pudeur, en dépit d’une affiche française fort peu représentative, qui nous vendrait presque un film de potes ponctué de beuveries. L’administration de George W. Bush est derrière nous depuis un petit bout de temps à présent et on pourrait considérer que l’on a fait le tour de la guerre en Irak, mais Last Flag Flying, dont l’action se déroule en 2003, parvient cependant à attirer notre attention par les parallèles qu’il permet de tisser avec notre époque. L’histoire se déroule il y a tout juste 15 ans et pourtant, il s’agissait d’une autre ère, où les portables n’avaient pas encore tout contaminé et où Eminem était le modèle du bad boy rebelle, poil à gratter de l’époque.
Un trio attachant, une approche juste
Surtout, plutôt que de refaire par le menu le procès de la guerre en Irak et de répéter des choses déjà entendues maintes fois, le scénario se concentre sur ses personnages de vétérans, qui approchent la soixantaine et ont dû se construire avec leur vécu. Nous ne sommes pas dans le trauma de la guerre sur le terrain ou au retour immédiat du combat — cette dimension n’est d’ailleurs pas évoquée avec le meilleur ami encore en service du fils défunt — mais bien dans les conséquences plus de 30 ans après les faits. Nous pouvons voir, ou deviner, comment les événements ont forgé le tempérament et les choix de vie de chacun, sans jamais que nous portions de jugement sur les personnages, dont les deux principaux, interprétés par Steve Carell et Bryan Cranston, ont été assez abîmés par la vie. L’ambiance n’est pas à la sur-dramatisation (pourtant, il y aurait eu matière), mais plutôt à une ode douce-amère à la vie. Chacun réagit différemment aux circonstances, en philosophant à sa manière. Laurence Fishburne et Bryan Cranston apparaissent en quelque sorte comme l’ange et le diable aux côtés d’un Steve Carell désabusé, chacun lui prodiguant des conseils paradoxaux, entre acceptation des événements et rébellion.
Cranston est clairement au centre du trio et brille à chaque plan où il apparaît, quitte à parfois éclipser ses partenaires de jeu. Pourtant, Steve Carell, excellent dans sa veine introverti (contrairement à Free Love, où il était dans l’exubérance), ne démérite pas et se révèle touchant en ancien soldat marqué par les coups durs. Joué par un autre que lui, ce père endeuillé aurait facilement pu passer pour un pauvre type un peu idiot frappé par le malheur, mais l’ancienne star de The Office lui apporte une vraie dignité, et une sensibilité qui permet la réunion du groupe, et de Richard (devenu pasteur) et Sal, patron de bar, en particulier. Bien que souvent peu bavard en comparaison à ses deux compères, sa prestation est de celles qui marquent et émeuvent sans jamais tirer sur la corde du pathos facile. Fishburne, qui apparaît ici comme l’inverse symétrique de Cranston, et est donc souvent utilisé en tant que ressort comique, cabotine un peu plus par moments, tout en étant dans l’ensemble assez juste.
Souvent drôle et toujours touchant, Last Flag Flying s’achève sur une conclusion très forte où la guerre du Vietnam rejoint une autre guerre inutile, celle d’Irak, pour rendre un dernier hommage à un jeune homme ordinaire disparu trop tôt, comme des milliers d’autres. Face à l’absurdité de la guerre et de la mort, la réunion et la camaraderie de cet attachant trio permettra à chacun d’entre eux de panser ses plaies, et aux spectateurs d’admirer la justesse de cette chronique d’une Amérique désabusée, dans laquelle on retrouve des échos de celle d’aujourd’hui.