Life Is Strange 2 par ceux qui l’ont pensé
Bien clairvoyante était la personne qui prévoyait un tel succès pour le premier Life Is strange, jeu d’aventure très axé sur le narratif, sorti en 2015. Quelques années plus tard, le studio DONTNOD a repris la licence, pour le plus grand bonheur des joueurs qui ont le bon goût d’apprécier leurs thèmes forts. Alors que le troisième épisode vient de sortir, et qu’il nous laisse sur un cliffhanger pour le moins affolant, Culturellement Vôtre a pu rencontrer trois des têtes pensantes de la licence, dans leurs bien sympathiques locaux parisiens : Michel Koch (co-game director), Raoul Barbet (co-game director) et Jean-Luc Cano (scénariste).
Culturellement Vôtre : Quand avez-vous pensé à Life Is Strange 2 ?
Raoul Barbet : On a eu un succès qui nous a étonné, sur le premier, on en était très content. Rapidement, Square Enix est venu nous voir pour travailler sur une suite. Et là, on s’est retrouvé tous les trois à essayer de voir ce qu’on aurait envie de faire. Et, surtout, on s’est demandé ce qu’était l’ADN de Life Is Strange. C’est une question qu’on ne s’était pas forcément posée. De cette discussion, en est sortie la conviction que la base du jeu c’était des personnages forts, une histoire forte, des thèmes de société intéressants que l’on voulait aborder à travers le jeu vidéo.
À partir de là, on s’est dit qu’on voulait faire quelque chose de différent : parler d’autres personnages pour aborder d’autres thèmes. Le sujet de l’éducation est venu assez vite, tout comme le format du road trip. Ça, c’était important, ça nous permettait de parler de cette éducation, mais avec des difficultés autour. Être dans la nature avec un petit frère aussi spécial, ça apporte des problématiques intéressantes, tout comme le contact avec des personnage atypiques, qui ont choisi de vivre différemment. Après, c’était un exercice d’écriture assez classique, Jean-Luc (Cano, ndlr) fait des premières versions, on en discute. C’est aussi ce qu’on a fait avec les artistes, les designers, et tout ça emmène des thèmes qu diffèrent de la première saison.
Culturellement Vôtre : Justement, d’où vous est venu l’épiphanie de l’éducation, ce thème qui prend le joueur aux tripes en l’investissant d’une grosse responsabilité ?
Jean-Luc Cano : Dans Life Is Strange 2, et comme pour la première saison, le pouvoir est lié à la thématique qu’on veut explorer. Le Rewind est lié à la faiblesse inhérente de Max, qui est en âge de grandir, ne veut pas assumer ses choix etc. Ici, l’éducation prime. Le thème est venu en discutant entre nous. Mais aussi de notre vie privée. J’ai eu ma fille quand on a commencé à bossé sur Life Is Strange. Et le fait qu’elle grandisse alors qu’on pensait à Life Is Strange 2, c’était fort. Imaginez, on essaie d’éduquer l’enfant, de lui faire comprendre que les gros mots ce n’est pas bien, et elle répond : « oui, mais toi t’en dis beaucoup quand tu conduis ». Quand tu deviens parent, tu es un exemple dans tout ce que tu dis, mais aussi par tout ce que tu fais. Et ça, en fait, c’est une super mécanique de gameplay : l’enfant va réagir non seulement à tes propos, mais aussi à tes actes, bons ou mauvais. On s’est de suite rendu compte qu’on avait de quoi faire des supers scènes, pour capter l’attention du joueur.
Culturellement Vôtre : Après les expérimentations de Life Is Strange : Before The Storm, on remarque que Life Is Strange 2 revient vers des bases de gameplay plus solides. Était-ce voulu ?
Michel Koch : Quand on a commencé le développement de Life Is Strange 2, on a réfléchi aux bases. On savait qu’on avait un jeu d’aventure à la troisième personne, avec des choix de dialogues, des décisions et conséquences, des interactions, de l’exploration. Voilà la base qu’on voulait évidemment garder. Après, il y avait la question du pouvoir, qui était important pour nous dans l’ADN de Life Is Strange. Max avait la capacité de Rewind dans le premier jeu, on voulait une autre capacité, intéressante pour aborder ce thème de l’éducation. Et c’est comme ça qu’on est arrivé, assez vite en fait, à placer le pouvoir de cette seconde saison entre les mains du personnage qu’on ne joue pas. Cela accentue évidemment la problématique : s’occuper d’un gamin c’est compliqué, s’occuper d’un gamin qui peut tout exploser… ça l’est encore plus !
Avec ça, on voulait créer une pression sur les joueurs. Faut-il laisser Daniel faire n’importe quoi parce qu’on veut être cool avec lui, ou est-ce qu’il faut être strict au point qu’il nous trouve ennuyant ? La force de ces questions est décuplée quand on sait que le petit frère a un super pouvoir. Et c’était aussi intéressant que le joueur, qui joue Sean, soit moins puissant que son frère : ça fabrique un rapport de force. Ensuite, on s’est demandé ce qu’on pouvait faire de tout ça avec du gameplay. On a alors développé tout ce qui a un rapport avec l’intelligence artificielle de Daniel : lui proposer de regarder quelque chose, d’utiliser son pouvoir pour aider Sean sur une interaction, ou tout simplement discuter avec lui. On a ces actions directes, mais aussi ce qui est induit, tout ce qui est du ressort des réactions du petit frère. C’était difficile, il fallait que ça ait l’air crédible, qu’on ait l’impression d’avoir un enfant à côté de nous et non pas un robot qui se balade.
Raoul Barbet : Comme le dit Michel (Koch, ndlr), la base c’est l’interaction et le dialogue. On a essayé de la faire évoluer, il y a beaucoup plus de dialogues dynamiques, certains personnages parlent à la volée, pour avoir un feeling plus réaliste. Après, on a essayé de placer des petites interactions, des phases comme le lancer de couteau, des petite choses comme lorsqu’on travaille. Mais on a voulu que ça reste basique, pour que ça parle à notre public. Il fallait aussi que ces moments racontent quelque chose. Je ne considère pas que c’est une révolution, loin de là, ça devait nous permettre de mieux aborder les sujets.
Culturellement Vôtre : Concernant le format épisodique de Life Is Strange 2. Ce format se comprend de par l’écriture. N’avez-vous pas pensé à faire comme Netflix : propose l’entièreté de la saison, puis laisser le public piocher ?
Jean-Luc Cano : Comme vous l’avez souligné, le format épisodique fonctionne avec notre style de jeu, parce qu’on écrit chaque saison comme on le fait pour une série destinée à la télé. Ici avec six épisodes (en comptant Captain Spirit, ndlr), qui ont leur propre histoire, mais toujours avec un arc narratif fort qui va emmener du liant. Après, ça nous permet aussi de faire quelques petits ajustements, épisode par épisode, en fonction de ce qu’on peut voir avec les retours. On sait où on va dès le début, mais ce rythme permet un certain confort pour modifier le caractère d’un personnage, par exemple.
En revanche, c’est vrai que dans cette seconde saison, à la différence de la première qui se passait à Arcadia Bay avec des personnages secondaires récurrents, on a un format road trip. Ça demande la création de nouveaux environnements, l’introduction de nouveaux personnages, donc c’est comme si on sortait un nouveau jeu pour chaque épisode. C’est pour ça que, sur Life Is Strange 2, on a un peu plus de temps entre chaque sortie. Pour ce qui est des prochains jeux qu’on a envie de faire… je ne vous cache pas qu’on est tellement dans la saison en cours qu’à part lancer des idées qui nous passent par la tête, on ne sait pas vers quoi on se dirige.
Raoul Barbet : Après, c’est aussi un choix du publisher. On pourrait très bien décider de garder chaque épisode en stock, et tout sortir d’un coup, ça s’est fait sur certains jeux. On a même vu certains qui ont été faits d’un coup, puis coupés après. Nous, ce n’était pas l’idée de base : il faut sortir les épisodes dès qu’ils sont prêts. Ce qui est tout de même intéressant, c’est que si les gens n’aiment pas l’épisodique, ils peuvent attendre que tout soit sorti et tout jouer à la suite. Aussi, on sait qu‘avec ce rythme de sortie, qui provoque des expériences de trois heures, les joueurs vont parcourir les épisodes de bout en bout. Les expériences courtes deviennent importantes, c’est quelque chose qui me va. On vieillit, on a moins de temps. Ça correspond à beaucoup de joueurs, il en faut pour tout le monde, et il y aura toujours des Red Dead Redemption 2.
Culturellement Vôtre : Avez-vous pensé l’univers Life Is Strange comme une série à long terme, comme une sorte de Life Is Strange-verse ?
Raoul Barbet : Quand on a fait le premier Life Is Strange, on ne savait même pas si on allait faire plus qu’un épisode. Donc on ne se pose pas trop ce genre de question. Ce n’est qu’au moment de lancer la production de cette seconde saison qu’on a commencé à réfléchir, un peu. Il ne faut pas oublier que la licence appartient à Square Enix, c’est aussi à eux de prendre ce genre de décision, de se demander qu’est-ce qu’un jeu Life Is Strange ? Non, ce n’est pas que Max et Chloe, non ce n’est pas qu’Arcadia Bay, non ce n’est pas que le lycée : c’est aussi d’autres choses. Et si on s’engouffre là-dedans à l’avenir, on se posera encore la question de l’ADN, on suivra le même cheminement créatif.
Jean-Luc Cano : Pour répondre très clairement à la question, on n’a pas de Life Is Strange universe, pas de plans pour le futur. On aurait très bien pu arrêter après la première saison, le jeu se suffisait à lui-même. Pareil pour Life Is Strange 2. Même si on les a placé dans le même univers, à trois ans d’écart, il n’y a pas de volonté de méta-plan dans nos esprits. On n’a pas prévu de les relier, parce qu’on n’a pas créé la licence dans ce sens. Après, on pourrait l’imaginer, mais ce n’est pas d’actualité.
Michel Koch : On a pensé l’approche comme une anthologie. Le premier jeu, qui n’avait pas vocation à devenir une licence, a rencontré un succès qui a provoqué cette suite. Ça nous permet aussi de ne pas nous enfermer dans un méta-univers, mais plutôt de construire des personnages intéressants. Ce qui nous plaît, c’est penser une histoire forte, qui a un début et une fin.
Retrouvez aussi nos tests de l’Épisode 1, de l’Épisode 2, et de l’Épisode 3.