Caractéristiques
- Titre : Mignonnes
- Réalisateur(s) : Maïmouna Doucouré
- Avec : Fathia Youssouf, Medina El Aidi, Esther Gohourou...
- Distributeur : Bac Films
- Genre : Drame
- Pays : France
- Durée : 1h35
- Date de sortie : 19 août 2020
- Note du critique : 5/10 par 1 critique
Retour sur l’une des polémiques du cinéma français en 2020
Le film de Maïmouna Doucouré, Mignonnes, a fait débat à la rentrée 2020, avant la fermeture des cinémas pour cause de Covid-19. Alors que le film est disponible sur Canal + Cinéma et en streaming depuis le 2 mai, nous tenions à revenir sur la question au sein de nos colonnes. Alors, y-a-t-il matière à polémique ?
Mignonnes est à la fois un film capable de beaucoup de subtilité, mais également entravé par certains partis pris trop lourdement appuyés, pour ne pas dire un peu « pompiers », comme pouvait l’être à l’époque le Polisse de Maïwenn, qui était un film avec beaucoup de pêche et de qualités et une certaine sensibilité, mais dont on pouvait également difficilement ignorer les défauts lors d’un second visionnage.
On retrouve en partie ces défauts dans Mignonnes, qui est un premier long-métrage. On sent que la réalisatrice a voulu dire et mettre beaucoup de choses, essayer pas mal de choses d’un point de vue stylistique aussi, et l’on reconnaît de-ci de-là certaines inspirations, y compris du côté de Polisse, d’ailleurs.
Par exemple, la scène où le cousin adulte de l’héroïne essaie de récupérer son téléphone portable qu’elle lui a volé évoque l’une des scènes du film de Maïwenn, où les policiers de la brigade pour mineurs sont choqués d’apprendre ce qu’une adolescente a fait pour récupérer son téléphone. Et, pour le coup, que ce ce clin d’œil soit volontaire ou non, force est de constater que le traitement était bien plus juste et pertinent dans Polisse par rapport au côté « choc ».
Un début prometteur, tout en subtilité
Commençons par les aspects positifs : les interprétations sont particulièrement convaincantes. Les jeunes actrices, dont c’est à priori le premier rôle, sont impressionnantes. La réalisatrice porte également un regard qui est à hauteur de ces petites filles qui n’en sont plus vraiment, mais ne sont pas encore tout à fait des adolescentes, même si la puberté pointe le bout de son nez. Les collégiennes ont 11 ans dans le film, et les actrices maximum 2 ans de plus que leurs personnages, ce qui contribue à rendre l’histoire crédible, mais aussi dérangeante.
Nous suivons donc cette jeune fille, Amy, qui arrive à Paris avec sa mère et son petit frère dans un logement social. Il y a une chambres interdite, qu’elle voudrait occuper, mais dont la mère lui refuse l’accès. On comprendra assez vite qu’elle est destinée à la deuxième femme de son père, qui doit rentrer à une date indéterminée en France pour convoler avec sa seconde épouse, à la détresse de la mère de l’héroïne.
En tout cas, qu’il s’agisse de la situation familiale de l’héroïne ou de son arrivée au collège, on sent véritablement le sentiment de découverte et la manière dont Amy va s’approprier ce nouvel environnement, sans que la réalisatrice ait vraiment besoin d’appuyer son propos.
On comprend très bien comment l’environnement familial de la jeune fille peut être oppressant, même si sa mère est montrée comme une femme aimante. Il y a beaucoup de subtilité, par exemple, pour aborder la polygamie au travers du regard de l’héroïne, et aussi dans la manière de montrer simplement comment la femme est enfermée dans son rôle d’épouse, dont le corps est prisonnier des volontés du mari et de la tradition religieuse.
Le regard de l’héroïne pendant toute la première partie en dit d’ailleurs bien plus que de longs discours, et ces scènes sont réalisées de manière très intelligente, donc il s’agit vraiment d’un très bon point car il n’y a pas de facilités, pas de bons sentiments factices, ni de volonté d’alourdir le trait plus que nécessaire.
Hypersexualisation de jeunes filles en fleurs ?
Le film a fait débat cet été (avant sa diffusion sur Netflix aux Etats-Unis) par sa manière d’aborder l’hypersexualisation de jeunes filles de moins de 12 ans à travers la danse, les vêtements et l’influence des réseaux sociaux tels qu’Instagram et Snapchat. C’est là le cœur du film : la manière dont ces enfants vont absorber sans recul beaucoup d’images d’une certaine pop culture qui, à la base, n’est pas forcément destinée aux enfants. Avec la question, en creux, de savoir ce qui les pousse à vouloir imiter ce qu’elles voient au travers des écrans. Une question complexe à laquelle on peut trouver un certain nombre de réponses ou pistes de réflexion au travers du film, sans que celles-ci soient nécessairement servies de manière facile aux spectateurs.
L’héroïne est fascinée par les filles avec lesquelles elle va devenir amie, les Mignonnes, qui veulent participer à un concours de danse ouvert à tous à Paris. Elles ont un look sexy pour leur âge, mais finalement pas énormément plus qu’au milieu des années 90, malgré une influence R’n’B plus prononcée, époque oblige.
Quand elles dansent, elles veulent reproduire ce qu’elles voient à la télé et sur Internet, mais ça reste finalement assez innocent et enfantin. Le pivot du film ? Amy va vouloir rejoindre le groupe de danse de ses amies lorsque l’une des filles du groupe se fâche avec les autres à quelques jours de l’audition qui pourrait les qualifier pour le concours. A ce moment-là, ses amies l’apprécient mais la trouvent trop timide et coincée. Elle va donc, en réaction, vouloir frapper un grand coup pour leur prouver le contraire. Amy va faire une démonstration à sa meilleure amie, la chef de la bande, et reproduire devant elle une danse de twerk à quatre pattes qu’elle a trouvée en naviguant sur le compte Instagram de son cousin dont elle a volé le portable.
C’est aussi à ce moment-là qu’il y a un changement d’approche dans le traitement du sujet par la réalisatrice, qui va devenir beaucoup plus démonstratif, alors qu’elle arrivait à faire passer beaucoup de choses sans en faire trop. Du coup, il y a un certain paradoxe dans le film : d’un côté, il y a des choses subtiles et peu appuyées et de l’autre, cet aspect démonstratif assez forcé, pour ne pas dire voyeuriste, dans le fond comme dans la forme, avec une dimension esthétisante qui n’était pourtant pas vraiment nécessaire pour porter sa réflexion et la rendre compréhensible.
Du coup, une gêne s’installe lors d’une poignée de scènes (4-5, mais des scènes importantes) qui pourront sembler complaisantes, même si ce n’était visiblement pas la volonté de la réalisatrice.
Le point de vue en question
Il y a une question de point de vue au final qui pose problème dans le traitement de ces scènes. Penchons-nous, par exemple, sur la scène où Amy va faire sa première démonstration à sa meilleure copine Angelica : il y a un clair changement dans la réalisation à ce moment-là. Alors qu’auparavant, on voyait la jeune fille regarder ces vidéos hypersexualisées sur les réseaux sociaux en conservant son point de vue d’enfant troublée par ces images, quand elle va se mettre à danser devant son amie, la caméra commence à la filmer de manière très rapprochée avec des gros plans sur ses fesses, ce qui ne peut que mettre le spectateur profondément mal à l’aise.
Alors, bien sûr, on sent bien où la réalisatrice veut en venir avec toutes ces images : la jeune héroïne souhaite se projeter dans ces images et se met en scène en reproduisant des postures qu’elle a vues à ce moment-là. La réalisatrice fait donc le choix de la filmer comme dans un clip de Nicki Minaj, en gros. Donc, même s’il semble extérieur, finalement, on est en réalité encore dans le point de vue d’Amy.
Le problème, c’est que cela n’est pas forcément suffisamment clair pour le spectateur – qui se sentira agressé par ces images plutôt que de se projeter dans la peau de l’héroïne. Le spectateur est renvoyé à sa condition d’adulte et ne peut qu’avoir un sentiment de rejet, alors même qu’il aurait fallu que nous restions à hauteur d’enfant… en respectant davantage de distance.
En l’état, de la manière dont ces scènes ont été filmées et montées, le parti pris semble un peu facile et surtout très maladroit. Parce que finalement, en adoptant un point de vue qui est plus esthétique – même si cela fait écho à l’esthétique dans laquelle sont immergées ces jeunes filles – la réalisatrice semble faire preuve d’une fascination pour ces images qui est aussi grande que celle de ces gamines… ce qui n’était sans doute pas le but recherché.
Du coup, même si la réalisatrice veut dénoncer l’hypersexualisation de ces enfants, ce parti pris n’apporte rien à son propos et dérange d’une manière différente de la réflexion qu’elle voulait sans doute provoquer chez les spectateurs. Dans le même ordre d’idée, il y a une scène sur un grand escalier en extérieur (la première scène où les quatre filles vont danser de cette manière-là) où Amy tend le smartphone à son petit frère pour qu’il les filme, et, lorsqu’il prend la caméra, la scène est soudain filmée comme un clip professionnel avec des gros plan sur les fesses, les cuisses, et même l’entrejambe des gamines.
Etant donné l’âge du petit frère, il s’agit clairement d’un point de vue fantasmé par les Mignonnes, qui se projettent dans ce type de clips. D’accord… Mais la scène dure tellement longtemps (le temps d’un vrai clip), que le spectateur ressent un malaise important, et pourra se sentir en colère qu’on lui inflige cela. Là encore, même si nous comprenons les intentions de la réalisatrice, la méthode adoptée et, surtout, le résultat final se retourne clairement contre celles-ci. Quelques images montrant le point de vue des adolescentes une fois la vidéo publiée aurait suffi en réalité.
Mais peut-être n’a-t-elle pas eu suffisamment de recul sur l’effet que cela aurait sur les spectateurs, qui, pour la plupart, ressentiront ces scènes comme une provocation gratuite.
Parti pris esthétique justifié ou provocation gratuite ?
En ce sens, le problème soulevé par le film de Maïmouna Doucouré n’est pas si différent (à des degrés différents) de celui soulevé par des films comme le Polisse de Maïwenn, le Climax de Gaspar Noé ou encore le Spring Breakers de Harmony Korine – ces deux derniers ayant joué de la provoc’ de manière beaucoup plus consciente que ces dames, d’ailleurs. Climax et Spring Breakers sont en effet des œuvres où les réalisateurs sont en effet en empathie avec leurs personnages, mais où la fascination plastique pour leur sujet peut aussi être perçue comme une complaisance, une forme d’opportunisme voyeuriste au-delà des qualités de réalisation évidentes et de certaines prouesses techniques que l’on pourrait difficilement remettre en cause.
A partir de ce moment-là, la réalisatrice s’enlise et commence à sortir de gros sabots qui vont jouer en partie contre elle, notamment avec une séquence au ralenti qui a été utilisée pour l’affiche française du film où l’on voit les filles bras dessus-dessous courir joyeusement avec des sacs de shopping. L’une d’elle porte un soutien-gorge en satin par-dessus son pull façon Jean-Paul Gaultier, l’autre a un string rose fluo par-dessus son jean, le petit frère suit derrière sur un air de musique classique… A ce moment-là, on a un peu l’impression que la réalisatrice a voulu flirter du côté de Lars von Trier période Antichrist ou Melancholia, mais n’est pas Von Trier qui veut…
Ici, cette séquence et le procédé du ralenti sont utilisés pour appuyer le fait que ces filles sont en perdition et le propos se fait beaucoup trop démonstratif et pourra être interprété de telle sorte qu’on pourra voir là tout et son contraire. Ce sera aussi le problème de la dernière scène de ce type dans le film, la scène du concours de danse.
Cependant, en ce qui concerne cette dernière scène, la chute explicite le fait que cet enchaînement de gros plans et de plans de plus en plus rapides et anxiogènes sur le corps des gamines est en fait la vision de l’héroïne, qui se retrouve finalement débordée par ses émotions et cette dualité qui l’habite.
Une fin ouverte de toute beauté, qui renoue avec une plus grande subtilité
Si l’on écarte ces scènes beaucoup trop lourdes et dérangeantes, il y a malgré tout (et heureusement !) dans la seconde partie du film et dans sa conclusion des éléments beaucoup plus subtils, à commencer par la réconciliation touchante entre Amy et sa mère. La mère prend la défense de sa fille face à la tante ultra-religieuse, ce qui vient tempérer la solution du retour à un milieu conservateur oppressant que l’on aurait pu voir, autrement, comme un rejet culturel puisque la jeune héroïne semble alors fuir ses amies pour se réfugier auprès des enfants de son immeuble.
Si la mère semble rester prisonnière de sa situation, elle indique clairement à sa fille que elle n’a pas d’obligation vis-à-vis de son père et de ces traditions, et il y a du coup quelque chose de très émouvant dans ce plan tout simple, mais qui en dit beaucoup, où l’on aperçoit la robe traditionnelle africaine cousue par la mère laissée sur le lit de l’héroïne et dont le bas vol légèrement au vent. Une manière de nous faire comprendre, de manière implicite, qu’Amy a décidé de ne pas assister au second mariage de son père et qu’elle refuse donc la polygamie et ce devenir femme issu des traditions de son milieu.
C’est à ce moment-là qu’elle décide finalement, tout simplement, de remettre ses anciens vêtements et d’aller jouer à la corde à sauter avec les voisins en bas de chez elle. Evidemment, ce n’est plus vraiment une petite fille et tout juste une adolescente qui vient d’avoir ses premières règles. On sent encore cette dualité, cette tension et ces questionnements chez elle, mais cette fin nous ramène au fait qu’elle était bien trop jeune pour se projeter dans ces attitudes qui n’étaient que des poses, des mimiques d’enfant tentant d’imiter les adultes ou, du moins, la vision déformée qu’elle a de ce qu’est une femme adulte « libre » ou « libérée » au sein de notre société.
Si Amy n’est plus une enfant innocente jouant à la corde à sauter, il s’agit ici d’une fin ouverte, juste et suffisamment belle pour nous faire d’autant plus regretter les scènes trop démonstratives que l’on a vues auparavant.
Au final, Mignonnes est un film qui possède de vraies qualités, mais ses maladresses se retournent beaucoup trop contre son propos. Il faut cependant garder en tête qu’il s’agit d’un premier film, et que, si elle ne réitère pas les mêmes erreurs, Maïmouna Doucouré semble avoir le potentiel pour évoluer de manière intéressante.
On sent, au-delà des défauts adressés plus haut et qui peuvent venir d’un manque d’assurance ou d’une volonté d’affirmer sa patte en en faisant trop, une sensibilité et une capacité réelle à faire passer beaucoup de choses de manière implicite. On lui souhaite alors de prendre confiance en sa vision (et les producteurs avec elle) pour éviter ces errances sans lesquelles Mignonnes aurait pu être un film véritablement marquant sur l’adolescence et ce que cela signifie de devenir un sujet désirant plutôt qu’une femme-objet – avec tous les paradoxes que cela soulève dans notre société.