Lorsque l’éditeur Rouge Profond a publié en 2021 Outrages, de Daniel Lang à Brian de Palma (lisez notre critique sur le site), une étude très épaisse (586 pages) de Casualties of War de Brian De Palma (Outrages en français, sorti en 1989), le film ne nous disait presque rien. Il était souvent absent des listes des œuvres essentielles de son réalisateur et peu cité parmi les grands films sur la guerre du Viêt-Nam. Nous avons interrogé Nathan Réra (maître de conférences en histoire de l’art à l’université de Poitiers) sur son rapport personnel au film Outrages qui, comme nous allons le voir dans cet article, a connu un accueil difficile avant d’être réévalué. Un film bouleversant qui engendre des débats, que nous évoquerons aussi dans cet article synthétisant les conditions de sa réception et de sa redécouverte récente.
Culturellement Vôtre : Par l’écriture de cet ouvrage, Outrages doit occuper une place unique dans votre vie de spectateur. Quelle était la sienne auparavant ?
Nathan Réra : J’ai découvert Outrages (Casualties of War) à la fin de mon adolescence, bien après d’autres films de Brian De Palma comme Phantom of the Paradise, Carrie, Les Incorruptibles, Scarface ou Mission : impossible. J’admirais son œuvre même si, à l’époque, je méconnaissais ses premiers longs métrages, qui étaient marqués par le spectre du Viêt-Nam. À cette même période, j’avais vu un certain nombre de films portant sur la guerre du Viêt-Nam, à vrai dire les plus fameux : Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now, Platoon, Full Metal Jacket… Ces œuvres m’avaient marqué, chacune à sa manière. J’ai donc très naturellement cherché à voir Outrages, qui me semblait s’inscrire dans cet ensemble de films incontournables sur le trauma viêtnamien, tout en ayant la vague impression qu’il s’agissait d’un De Palma quelque peu déconsidéré.
J’ai attendu fébrilement sa première sortie en DVD – je me revois l’acheter le jour de sa sortie –, je l’ai visionné le soir même et j’en suis ressorti terrassé : je ne m’attendais pas à être si profondément bouleversé, non seulement par l’histoire racontée dans le film, mais aussi par la manière dont De Palma l’avait mise en scène, par l’interprétation des acteurs, par la musique de Morricone… Les images m’ont hanté pendant plusieurs jours, et je crois même me souvenir que je n’ai pu voir un autre film durant les deux semaines qui ont suivi. C’est sans doute pour retrouver l’émotion du premier visionnage qu’est née progressivement dans mon esprit l’idée de consacrer un texte à Casualties of War. Il m’a fallu quelques années pour que ce projet aux contours très flous finisse par se concrétiser.
Outrages, « le plus grand film sur la guerre du Viêt-Nam »
Outrages adapte un livre du journaliste du New Yorker Daniel Lang (Casualties of War, 1969) consacré à ce qui a été appelé « l’incident de la colline 192 ». Il relate assez fidèlement les faits réels survenus en novembre 1966 dans la province de Bình Định : l’enlèvement, le viol collectif et le meurtre prémédités de Phan Thi Mao (Tran Thi Oanh dans le film), puis l’action du soldat de la patrouille Robert M. Storeby (transposé en Eriksson) pour faire arrêter et condamner les coupables. Comme nous n’allons pas faire ici la critique du film, nous vous renvoyons à Culturopoing pour un point de vue assez complet sur Outrages, mais aussi à notre article sur la représentation du féminicide pour mieux comprendre ses enjeux (avec un entretien avec Nathan Réra) et, bien sûr, à l’ouvrage publié par Rouge Profond qui développe de manière bien plus complète et profonde ce qui est esquissé ici.
Le récit de Daniel Lang a aussi inspiré Les Visiteurs (Elia Kazan, 1972), un film trop méconnu tourné en 16 mm dans la maison d’Elia Kazan, racontant le retour de deux anciens soldats du Viêt-Nam ayant retrouvé le camarade qui les a dénoncé à la justice militaire comme violeurs d’une Vietnamienne. Outrages peut donc être vu comme une sorte de prequel des Visiteurs.
C’est peu dire que le film de Brian De Palma a été largement mésestimé, sinon oublié. La cause : son échec public lors de sa sortie. Pourtant, la réussite et l’importance du film a semblé indéniable aux yeux de certains initiés. Invité par Brian De Palma à une projection privée d’Outrages avant sa sortie, Steven Spielberg a déclaré à la directrice de Columbia Pictures ayant produit le film, Dawn Steel : « Vous y penserez pendant une semaine ». Si le film a divisé les critiques aux États-Unis lors de sa sortie en 1989, certains commentaires ont été assez élogieux. Et lorsqu’Outrages sera quasi oublié, Quentin Tarantino le qualifiera de « plus grand film sur la guerre du Viêt-Nam ». Rien de moins. Mais a-t-il vraiment cette guerre pour sujet ?
Fin de partie pour les films sur la guerre du Viêt-Nam
Désavoué par le scénariste David Rabe considérant que Brian De Palma avait altéré son scénario, ainsi que sous le feu des critiques scandalisées de certains groupes de vétérans du Viêt-Nam, le film de Brian De Palma a été un cuisant échec public : le film n’a rapporté que 18 671 317 $ au box-office américain, pour un budget de production d’environ 25 500 000 $. (346 000 entrées en France). Après l’immense succès des Incorruptibles (1987), c’est la douche froide, qui se poursuivra avec les échecs publics et critiques du Bûcher des vanités (1990) et de L’Esprit de Caïn (1992). Le retour en grâce viendra avec L’Impasse (1993) et, surtout, l’immense succès de Mission : Impossible (1995).
Au milieu de cette série de succès, d’échecs et de nouveaux succès, Outrages a eu du mal à trouver sa place dans le cœur des amateurs de De Palma, mais aussi dans la série de films sur la guerre du Viêt-Nam, après ceux de Michael Cimino (Voyage au bout de l’enfer, 1978), Francis Ford Coppola (Apocalypse Now, 1979), Oliver Stone (Platoon, 1986) et Stanley Kubrick (Full Metal Jacket, 1987) aux impacts publics et critiques majeurs. En 1987, Jardins de pierre (Francis Ford Coppola) connait quant à lui un échec public. L’année de la sortie d’Outrages, le second film sur le sujet du vétéran de la guerre du Viêt-Nam Oliver Stone sort sur les écrans : Né un 4 juillet est le dernier succès, énorme, des films de cette série.
L’échec public d’Entre Ciel et Terre (Oliver Stone, 1993) clôturera pendant longtemps ce qui est devenu un vrai sous-genre cinématographique, avec ses figures (les soldats livrés à eux-mêmes, les ennemis introuvables, l’état-major sans visibilité, les vétérans traumatisés, les prostituées, les civils soupçonnés et violentés…), ses thèmes (la paranoïa, l’anticommunisme, la poursuite d’un conflit jugé absurde et impossible à gagner…) et ses codes (les marches dans la jungle, les attaques nocturnes, les abris de bambous, la boue, la mousson…). Outrages, à ce titre, ne déroge pas à ces règles, mais s’en distingue aussi radicalement, au point qu’il peut être tentant de le rejeter de la liste des films traitant de la guerre du Viêt-Nam au titre que cette dernière ne serait qu’un cadre aux faits qui s’y déroulent, essentiellement individuels. Du rôle de ce contexte (le conflit armé) va naître certains débats, comme nous l’évoquerons plus bas.
Montrer un féminicide : Outrages, un regard qui dérange
Cette série de films et leur réunion au sein de ce sous-genre du « film de guerre du Viêt-Nam » a pu contribuer à les assimiler les uns aux autres, alors que bien de ces films empruntent des chemins différents (par exemple, Voyage au bout de l’enfer est plutôt la proposition d’un contre-mythe américain qu’un film sur ce conflit). En cinéphile construisant ses films en référence aux films précédents, Brian De Palma était parfaitement conscient de cela : il lui fallait satisfaire le besoin de reconnaissance du sous-genre par le public, tout en l’emmenant dans un terrain jamais défriché jusque là par les films hollywoodiens de la série. Toutefois, comme le dit Nathan Réra : « on perçoit une différence assez nette entre la manière dont Coppola filme la guerre dans Apocalypse Now, à la manière d’un trip hallucinatoire, et celle qu’a choisie De Palma dans Casualties of War, qui refuse d’en faire un simple spectacle. »
De Palma a insufflé au film de guerre son sens du découpage au service du suspense hitchcockien, pour mieux nous faire devenir les témoins de l’horreur, avec toutefois une retenue qui témoigne d’une volonté de ne pas spectaculariser le féminicide qu’il raconte. Or, le spectacle de la guerre et de ses horreurs est bien un élément du programme des films de guerre, dont le cinéaste est conscient, au point de jouer avec la crainte de voir le viol collectif de la jeune femme (ou le désir inavouable de le voir), pour mieux le refuser.
Outrages est radicalement différent des films précédents sur la guerre du Viêt-Nam par son sujet, sans volonté d’instrumentaliser l’atroce calvaire de la victime Phan Thi Mao pour faire de son histoire une parabole de l’absurdité de la guerre (comme peut être interprété o. k. de Michael Verhoeven, sorti en 1970), ou le produit d’une destruction des valeurs collectives dont les coupables du féminicide seraient aussi les victimes, comme peut le sous-entendre Les Visiteurs d’Elia Kazan. Nous vous renvoyons, sur ce point comme pour l’ensemble de cet article à l’ouvrage de Nathan Réra, ainsi qu’à notre article sur les enjeux éthiques de la représentation de ce féminicide.
En pleine période de réaffirmation de la puissance américaine sous Ronald Reagan et George Bush, le film était trop dur, trop atroce à supporter. En effet, il place le public en position de spectateur impuissant, comme Eriksson (transposition de Storeby incarnée par Michael J. Fox) qui échoue à empêcher ses camarades menés par le charismatique sergent Meserve (Sean Penn dans le film) d’enlever, violer et tuer Tran Thi Oanh (nom de la victime dans le film). S’il est de plus en plus actif, prenant tous les risques et permettant la condamnation des coupables, force est de constater que la jeune femme est morte et la justice a condamné, puis libéré précocement les kidnappeurs, violeurs et assassins. L’apaisement final peut sembler, à ce titre, assez illusoire.
Eriksson, joué par Michael J. Fox : un héros pour #MeToo ?
D’un autre côté, des voix se sont élevées pour dénoncer ce qui serait dans Outrages une entreprise de blanchiment de l’armée américaine, au sens où elle est dégagée de sa responsabilité dans le féminicide raconté dans le film, puisqu’il s’agit d’actes individuels de quelques soldats et non un produit de l’action militaire, ou un moyen de destruction planifié. Eriksson le dit clairement à Meserve : « Ce n’est pas l’armée », ce qui a satisfait des vétérans du conflit ne souhaitant que le public croit que de tels actes étaient banalisés.
Dans un article de 1994 (« Casualties of War: History, Realism, and the Limits of Exclusion », publié dans Journal of Popular Film and Television), Kathryn McMahon écrit que le film peut contribuer à « re-imaginer une société juste dans laquelle les interventions militaires dans les pays du tiers-monde sont motivées par le désir d’aider les peuples », en ayant recours pour cela à des stratégies de « disruptions historiques » : la mise en avant de figures héroïques pouvant servir cette stratégie idéologique est un moyen au service de ce projet1. A ce soupçon de froide visée propagandiste s’oppose le fait que Brian De Palma s’est très intimement investi dans Outrages depuis sa lecture du scénario en 1979.
Si le film de Brian De Palma a été pensé pour servir un tel but de « disruption » comme le croit Kathryn McMahon, force est de constater que l’entreprise a largement échoué, car le film a globalement été rejeté par le public américain, qui n’a pas souhaité s’identifier à une figure comme Eriksson, même s’il ne remet pas en cause l’armée américaine (comme il le dit lui-même).
En notre ère post #MeToo, où les colleuses n’hésitent pas à dénoncer sur les murs le silence et l’inaction face aux féminicides, le personnage d’Eriksson et le soldat Robert M. Storeby qui l’a inspiré apparaissent comme des figures fortes de lanceurs d’alerte, des héros dont notre société a peut-être besoin. Homme dans un milieu où un véritable culte de la virilité peut dicter ses règles au mépris des droits humains, avec le contexte de guerre pour lui donner le champ libre, Eriksson/Storeby s’insurge au cours d’Outrages parce qu’il croit dans la légitimité des droits humains universels et en la nécessité de les faire respecter : cette faiblesse énoncée par le colonel Kurtz dans Apocalypse Now, l’empathie, le lanceur d’alerte d’Outrages en fait sa force. Parce qu’il ne peut pas en être autrement. Cette emphase sur les émotions, renforcée par la musique poignante d’Ennio Morricone (assez prégnante), est son message et sa force. Au risque d’irriter le public jugeant le film trop sentimental.
« Échouer en faisant quelque chose de banal est un désastre. Le sujet du film est ce que vous êtes prêt à risquer sans rien gagner en retour » déclarait Michael J. Fox au New York Times le 10 août 1989, pour signifier qu’il était prêt à assumer l’échec du film. Parce qu’il a cru intimement qu’il existe des causes justes justifiant de prendre des risques jugés importants (mais il ne s’agit pour lui que de sa réputation), Michael J. Fox a mis en jeu son image de star familiale (de la sitcom Family Ties à la trilogie Retour vers le futur dont les volets 2 et 3 sortaient cette même année). En interprétant ce rôle, il savait qu’il risquait de concentrer sur lui la déception du public n’ayant pas compris que son personnage est plus héroïque que Marty McFly (que nous adorons pourtant !).
Kathryn McMahon déclare que l’identification à un tel héros « aide à reconstruire le fantasme d’une société qui n’est pas fragmentée par des divisions internes, mais dans laquelle les relations sociales sont complémentaires ». C’est sans doute, en effet, le cas d’Eriksson dans Outrages et c’est aussi l’effet des films de la trilogie Retour vers le futur. Mais Outrages se révèle non seulement l’entreprise d’un grand manipulateur du récit filmique, mais aussi (surtout) d’un cinéaste sensible croyant aux idéaux qu’il exalte dans le film. C’est cette sensibilité qui a touché Nathan Réra et lui a fait entreprendre ses recherches.
Culturellement Vôtre : Vous débutez votre ouvrage par les larmes de Brian de Palma, qui constituent l’origine de vos recherches sur Outrages. Après ces dernières, portez-vous un regard différent sur le cinéaste ?
Nathan Réra : Pas fondamentalement. J’ai toujours senti la grande fibre émotionnelle de De Palma, qui a souvent été dépeint comme un cinéaste distant, bourru et manipulateur, mais que j’ai au contraire perçu dès le départ comme un cinéaste très humain, extrêmement sensible (un « grand trou noir émotionnel », pour reprendre les mots que m’a confiés John C. Reilly). Les larmes de De Palma, qui ont très rarement coulé en public, je les imagine littéralement sur son visage lorsque je visionne des films comme Obsession, Les Incorruptibles, L’Impasse, et bien évidemment Outrages. De Palma a été sincèrement et profondément bouleversé par le texte de Daniel Lang, au point de tenter, pendant vingt ans contre vents et marées, de livrer son adaptation. Peu de cinéastes auraient été si opiniâtres ! D’autant que De Palma savait très bien que faire ce film risquait de porter un sérieux coup à sa carrière – ce qui s’est effectivement produit. Toutes les histoires qui entourent le film, que je relate dans le livre, contribuent à mieux comprendre pourquoi les larmes de De Palma ont coulé à la Cinémathèque ce jour de juin 2018…
Sortie DVD et director’s cut : le début de la réhabilitation du film de Brian De Palma
Le film Outrages a bénéficié depuis sa sortie d’une réévaluation grâce à sa sortie DVD en 2001 aux États-Unis, à distance de l’effet des chiffres de sa sortie en salles, à la manière de bien des films devenus cultes (comme Blade Runner, Tron ou The Thing, pour citer ces trois échecs publics mémorables de l’année 1982). Mais il faut du temps pour que l’échec public cesse d’écraser de son poids le film dans les représentations.
La mauvaise réputation a du mal à se défaire, à moins que le film n’acquiert l’aura d’une œuvre maudite, ce qui n’est pas le cas d’Outrages. En effet, le film a bénéficié d’un budget à la hauteur des ambitions de Brian De Palma, du soutien de sa productrice Dawn Steel et de la confiance de la Paramount envers le cinéaste ayant fait des Incorruptibles un tel succès. Bien sûr, bien des obstacles ont dû être dépassés, mais la version director’s cut révélée en 2006 (sortie en DVD) confirme que le film sorti en salles correspond majoritairement aux intentions de De Palma (à la différence d’un Blade Runner largement remonté), avec seulement 6 minutes supplémentaires :
- la première montre deux agents du gouvernement, habillés en civil, qui interrogent Eriksson sur l’incident ayant impliqué sa section ;
- la deuxième est l’interrogatoire d’Eriksson par l’avocat de la défense au cours du procès des coupables.
Ces deux scènes renforcent le personnage interprété par Michael J. Fox en insistant sur sa résistance, lui qui n’a pu empêcher l’enlèvement, le viol et le meurtre de Tran Thi Oanh.
Découvrir ou revoir Outrages, comme il n’a jamais été montré
En 2021, Outrages est ressorti en salles en France dans sa version director’s cut et c’est à cette occasion que nous l’avons vu pour la première fois, au cours du Festival Lumière de Lyon où l’espace librairie a mis en valeur l’ouvrage essentiel de Nathan Réra, paru chez Rouge Profond la même année. L’auteur d’Outrages, de Daniel Lang à Brian De Palma a aussi collaboré à la conception du contenu de l’édition Blu-ray collector du film paru dans la foulée chez Wild Side, comprenant les deux versions du film. Une demande qui l’a amené à de nouvelles découvertes, comme il nous l’a raconté…
Cuturellement Vôtre : Comment avez-vous été amené à concevoir le livre pour le coffret Blu-ray d’Outrages pour Wild Side ? Aviez-vous déjà achevé l’écriture de votre ouvrage publié chez Rouge Profond ? Il vous fallait trouver une approche pour ne pas vous répéter, ou vous contenter d’un « digest », d’un condensé…
Nathan Réra : Wild Side m’a contacté alors que mon livre allait sortir en librairie, en avril 2021, pour me proposer de participer à l’édition collector d’Outrages. Ce fut un heureux concours de circonstances car le coffret aurait dû sortir bien avant… Il se trouve qu’au même moment, Eric Schwab, le réalisateur de deuxième équipe d’Outrages, m’avait mis en contact avec l’ancienne assistante de Brian De Palma, Monica Goldstein, qui avait retrouvé des cartons remplis de photos inédites du tournage. C’était assez inespéré car toutes mes tentatives pour contacter Monica s’étaient, jusqu’alors, révélées infructueuses – d’où son absence dans mon livre. Elle était désormais disponible et prête à contribuer à l’édition collector d’Outrages. Elle m’a livré ses souvenirs du tournage, et a constitué des sortes de planches-contact pour que je puisse sélectionner les images que je voulais voir figurer dans le coffret.
Wild Side m’avait commandé un texte, mais je ne souhaitais pas me contenter d’une version « condensée » du livre publié aux éditions Rouge Profond. J’ai donc eu l’idée de partir du regard et des images de Monica, ce qui offrait au lecteur une perspective complémentaire sur le tournage. Je disposais de très peu de temps puisqu’il me fallait rendre le manuscrit en juillet, au plus tard en août 2021. L’éditeur m’a aussi proposé de faire une interview pour les bonus, mais je craignais que mon propos soit redondant avec le livre… Monica Goldstein m’a alors informé qu’elle avait retrouvé deux films 8 mm enregistrés lors du tournage en Thaïlande, avec des images en grande partie inédites, où l’on voit les acteurs répéter, De Palma diriger son équipe, toute la logistique militaire mise en place, etc. J’ai donc proposé à l’éditeur de réaliser un montage du meilleur de ces images, et Aurore Malétras, qui supervisait l’édition du coffret, m’a suggéré de les monter en split-screen avec des extraits du film.
Mi-août, j’ai aussi réalisé un entretien de 40 minutes avec Eric Schwab, dont j’ai assuré le montage. L’édition comporte donc ces deux bonus inédits, en plus du livre de 200 pages que je considère comme un complément à mon premier opus. Je n’ai pas chômé et, pour être honnête, j’ai bien cru que je n’arriverais pas à terminer dans les délais. Si j’y suis parvenu, c’est grâce à l’investissement sans faille de chacun : Monica et Eric, qui se sont montrés d’une générosité remarquable, et bien entendu Aurore Malétras, qui s’est démenée sur tous les fronts pour livrer une édition à la hauteur du film de De Palma.
Le film Outrages a donc maintenant les honneurs d’un coffret prestigieux, dont vous pouvez lire un test complet sur dvdclassik.com :
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- Des ténèbres à la lumière, entretien de Nathan Réra avec Eric Schawb, réalisateur de deuxième équipe sur Outrages (41 min) ;
- Casualties of War Journal, un documentaire réalisé à partir d’images 8 mm inédites du tournage (26 min) ;
- Le making-of du film (33 min) ;
- La guerre d’Eriksson, entretien avec Michael J. Fix (20 min) ;
- Une obsession vietnamienne, livre inédit de Nathan Réra (200 pages).
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Culturellement Vôtre : En plus de votre livre et de l’édition Blu-ray, le film a eu droit à une ressortie en salles. Pensez-vous que cela va changer sa place dans la filmographie de De Palma ?
Nathan Réra : J’espère que mon travail contribuera à montrer qu’Outrages n’est pas un De Palma « mineur » mais bien l’une des pièces maîtresses de son œuvre. C’est un film éprouvant, à fortiori dans le contexte anxiogène que nous vivons ; il faut vouloir s’y mesurer ! Mais je crois qu’il n’a rien perdu de sa force et de son actualité. J’ai eu l’occasion de le présenter en salles à plusieurs reprises depuis la sortie de mon livre, et à chaque fois, j’ai été ravi de voir l’intérêt renouvelé du public pour le film. J’ai surtout été très surpris de recevoir des courriers de gens que je ne connaissais pas, me faisant part de leur bouleversement à la lecture de mon livre. Cela a donné lieu à quelques rencontres stimulantes ; c’est sans doute ma plus belle récompense.
Nous avons consacré deux autres articles consacrés au film Outrages de Brian De Palma et à l’ouvrage exceptionnel de Nathan Réra publié par Rouge Profond. Vous pourrez y poursuivre l’entretien avec son auteur :
- Outrages, de Daniel Lang à Brian De Palma (critique du livre de Nathan Réra)
- Outrages : un féminicide au Viêt-Nam
Entretien réalisé par mail en juillet et septembre 2022. Nous remercions vivement Nathan Réra d’avoir pris le temps de répondre en profondeur à nos questions.