article coup de coeur

[Critique] Sailor et Lula, le Magicien d’Oz sous ecstasy

Caractéristiques

  • Titre : Sailor et Lula
  • Titre original : Wild at Heart
  • Réalisateur(s) : David Lynch
  • Avec : Nicolas Cage, Laura Dern, Isabelle Rossellini, Willem Dafoe, Harry Dean Stanton, Grace Zabriskie...
  • Genre : Road-Movie, Drame, Romance
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 2h05
  • Date de sortie : 24 octobre 1990 (France)
  • Note du critique : 9/10

Sailor et Lula (Wild at Heart) de David Lynch - Laura Dern et Nicolas Cage

Baroque, violent, noir, déjanté, tendre, émouvant: les adjectifs ne manquent pas pour décrire un film qui est en soi… indescriptible. Sailor et Lula nous fait sortir radicalement des sentiers battus et emprunte des chemins aussi tortueux que palpitants pour nous faire vivre une équipée sauvage dont on se souviendra.

Dès la séquence d’ouverture on se demande ce qu’est cet étrange objet cinématographique dopé aux hallucinogènes où hystérie et violence se côtoient mais qui pourtant emporte notre adhésion. Car ce film de Lynch est bel et bien fascinant, malgré quelques défauts qui le placent un peu en retrait des chefs d’oeuvres du cinéaste.

Tout l’univers de Lynch est là, avec un supplément de tendresse pour ses personnages principaux, Sailor (Nicolas Cage, dans l’un de ses meilleurs rôles) et Lula (Laura Dern, bien loin de la naïve Sandy de Blue Velvet). L’histoire d’amour atypique et folle entre ce gentil voyou marginal au coeur sauvage et cette gamine traumatisée  mais exaltée et folle de son corps est en effet fort touchante malgré des dialogues souvent trash et bien peu romantiques entre les deux tourtereaux et un côté bigger than life qui pourrait tomber dans la caricature mais joue habilement avec elle avant de donner bien vite chair à de véritables personnages, aussi lumineux que barrés.

Un conte moderne étonamment lumineux

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Car c’est bien là que se trouve la particularité la plus étonnante du film : malgré certaines scènes d’une grande violence et d’une grande noirceur, il s’agit du film le plus optimiste du cinéaste (fin comprise), le seul à se présenter comme un conte moderne dont l’aspect utopique ne cède pas suite à la perte d’innocence nécessaire de ses héros au milieu de l’histoire.

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D’où un kitsch assumé (les passages Magicien d’Oz notamment) et une bonne dose de romantisme aussi étonnante que réjouissante qu’elle est en décalage total avec la violence du monde dans lequel se trouvent Sailor et Lula, qui ne semblent pas s’en apercevoir. La scène de la boîte de nuit est en ce sens une des plus marquantes du film: dansant avec enthousiasme sur un morceau de métal déjanté, les amants sont séparés par un type lourdingue qui attire Lula pour la draguer. Il suffit d’un mouvement de bras de la part de Sailor pour que le groupe s’arrête de jouer comme par magie puis, une fois le différent réglé, le jeune homme obtient tout aussi facilement des musiciens le micro pour interpréter une ballade d’Elvis Presley à sa dulcinée en transe. Les héros, malgré leur rebelle attitude, sont bien des enfants qui croient encore à la pensée magique; ils pensent pouvoir modeler à leur guise un monde semblant fait pour eux et durant toute la première partie, David Lynch semble nous laisser penser que c’est le cas.

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Il y aura bien entendu une traversée du miroir ou plutôt, comme le cinéaste fait de nombreuses références au Magicien d’Oz deVictor Fleming ici, une levée de rideau qui fera perdre au couple leurs illusions d’amour et d’ivresse. Une perte d’innocence qui prendra la forme d’une très belle scène nocturne (dont je vous laisse la surprise) qui obligera Sailor et Lula à arrêter momentanément leur fuite en avant.

De l’autre côté de l’arc-en-ciel

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C’est dans cette dernière partie du film que le couple se retrouvera coincé à Big Tuna en compagnie de personnages tordus qui ne sont pas sans rappeler les mafieux et putes de Blue Velvet, en plus exubérants et plus risibles mais offrant un contrepoint pessimiste et violent à l’amour absolu des héros. Willem Dafoe, dans le rôle du ridicule mais cependant flippant Bobby Peru (un Frank Booth comique en somme), focalise notre attention dans cette partie et livre une performance culte. David Lynch navigue entre malaise réel (la scène entre Lula et Bobby Peru) et grand guignol (le braquage), s’attache à la pourriture et la saleté et englue ses personnages dans une monotonie qui les rend plus graves, moins caricaturaux. La force du film est de savoir nous surprendre en nous amenant sur des chemins de traverse qui donnent une autre dimension à l’histoire de ce couple en cavale.

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Cette fuite effrénée constitue un parcours initiatique que Lynch rapproche de celui du Magicien d’Oz puisqu’il a un rapport avec la notion du foyer (home), immatérielle en elle-même puisqu’elle ne désigne pas nécessairement un lieu tangible, physique, mais un sentiment d’appartenance forcément subjectif, une utopie nichée au cœur de la culture américaine, qui a souvent érigé la famille en mythe, notamment au cinéma. Et dans Sailor et Lula, il est évident que le foyer des héros est bel et bien ce monde rêvé qu’ils se construisent au milieu d’une Amérique au bord de l’implosion puisque leur famille de sang fait soit défaut (Sailor n’a pas d’attaches, le père de Lula est mort) soit est néfaste au point de symboliser un danger de mort et de destruction qui plane constamment au dessus de leurs têtes (la mère de Lula, Marietta, maquerelle folle furieuse et ultra possessive qui pourchasse Sailor de sa haine en lui envoyant des assassins).

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Malgré le côté parfois trop littéral des clins d’oeil au classique de Fleming, ceux-ci sont en ce sens parfaitement légitimes et le plus émouvant est sans doute le plan où Lula, ne parvenant plus à échapper à la réalité  de leur situation, entrechoque en vain ses escarpins rouges l’un contre l’autre… le même geste qu’effectue Dorothy (Judy Garland) pour rentrer chez elle à la fin.

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Sailor et Lula est bien, ainsi, un Magicien d’Oz sous ecstasy, un film aussi déjanté que touchant, et cette virée sous le soleil est tout à fait euphorisante. Mais, bien plus encore, le film de Lynch touche droit au coeur et on peut comprendre l’enthousiasme du jury du Festival de Cannes qui lui décerna en 1990 la Palme d’Or même si, rétrospectivement, Lost Highway (1997) et surtout Mulholland Drive (2001) l’auraient bien plus méritée.

Trop explicite sur certains points, la mise en scène n’en demeure pas moins, une fois de plus, somptueuse et la musique joue un rôle prépondérant. Sans être une comédie musicale, loin s’en faut (Sailor ne chante que deux chansons du King), le film et les héros puisent leur force et leur folie dans celle-ci, tour à tour très début des 90’s (« Wicked Game » de Chris Isaak), 50’s, métal survolté ou lyrique, avec le magnifique score d’Angelo Badalamenti.

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Sans être le meilleur film de David LynchSailor et Lula n’en demeure pas moins un film à voir ou revoir absolument et qui, par le motif central des lignes jaunes de la  « yellow brick  road » que suivent les personnages, annonce le long-métrage suivant du cinéaste, Lost Highway, lui-même précurseur de Mulholland Drive qui s’ouvre sur un accident de voiture dans les lacets de la célèbre route hollywoodienne.

Critique initialement publiée en 2010 sur Culturellement Vôtre, puis en 2014 sur Ouvre les yeux. Rapatriée le 2 décembre 2017. 

Cet article analysant le film Sailor et Lula fait partie du dossier consacré au réalisateur David Lynch et à son œuvre.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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