Après deux premières performances créées en 2012 et 2013 pour le Festival d’automne à Paris, Olivier Saillard et Tilda Swinton remettent le couvert cette année avec Cloakroom – Vestiaire obligatoire, présenté du 22 au 29 novembre au Palais Galliera. Le principe ? Les vestiaires sont transportés sur scène et tenus par l’actrice écossaise, qui accueille chaque spectateur qui dépose un vêtement ou accessoire de son choix. Elle s’approprie ensuite chaque objet déposé pour le faire vivre à sa manière, en le portant, en jouant avec… « La collection qui naît, construite sur l’acquis et non sur la nouveauté, arpente les chemins opposés à ceux officialisés par la mode. Ce n’est pas du podium à la rue, mais bien à l’inverse de la rue aux podiums que les vêtements ainsi détournés et habités s’offrent le luxe rare de défiler », écrit ainsi Olivier Saillard dans le programme de la performance.
Sauf que… tout aussi intéressant soit ce parti pris, celui-ci n’est malheureusement pas poussé jusqu’au bout, simplement ébauché. Il faut dire que le programme laisse espérer un défilé une fois tous les vêtements collectés, ce qui donnerait l’occasion à l’actrice de véritablement s’approprier ces uniformes divers et variés de manière originale. Après tout, Tilda Swinton est une icône de mode et son physique androgyne si particulier lui donne des airs de toile blanche malléable à souhait. Tout styliste inspiré peut faire des merveilles avec elle et c’est donc à l’assemblage d’une collection particulière que nous pouvions nous attendre. Or, il n’en est rien. La performance consiste uniquement en la collecte des vêtements et s’achève au bout d’une heure sans nous avoir montré autre chose.
Un concept insuffisamment exploité
Alors certes, dans la performance, le concept est roi. Mais celui-ci est exploité de manière insuffisante. Là où il y avait matière à transcender le dispositif, on reste finalement en surface tout du long. Et, de fait, que voit-on au juste ? Tilda Swinton dire bonjour au spectateur, prendre le vêtement, donner un ticket, regarder le vêtement, puis jouer avec quelques secondes avant de le mettre de côté. Parfois, elle laisse un souvenir au propriétaire avant que le vêtement ne soit rangé : une banderole de papier avec une devise futile, un cheveu, une herbe, un mouchoir avec une trace de son rouge à lèvres… A deux ou trois occasions seulement, elle porte le vêtement (parfois littéralement, en le tenant à bout de bras) et défile avec d’un coin à l’autre de la salle. Elle saute aussi la tête la première dans les manteaux, joue à cache-cache avec les foulards en passant sous la table, parle aux vêtements en leur chuchotant des paroles inaudibles…
Tout cela est amusant, certes, il y a bien une mécanique, qui évolue sensiblement au fil du spectacle, mais on en attend plus or, rien ne vient. Pire que tout, alors que Olivier Saillard prétend faire passer ainsi la mode de la rue aux podiums, la vision donnée demeure assez élitiste. Ainsi, que doit-on penser de l’idée que l’actrice laisse un souvenir de type un mouchoir portant une trace de son rouge à lèvres, soigneusement mis sous enveloppe ? Que le propriétaire du manteau fait partie des happy few ayant pu approcher l’icône ? On a l’impression que les vêtements sont en quelque sorte « adoubés » par la mode, mais avec toujours cette espèce de distance qui va à l’encontre du message qui voulait être donné au départ. A moins qu’on ait mal lu… Après tout, Saillard écrit bien que les vêtements se paient le « luxe rare de défiler ». Comme si, en tant que spectateurs, nous venions pour faire ainsi partie d’un monde privilégié.
Cette performance aurait pu parler de la mode, de l’histoire de la mode… Elle parle un peu de notre rapport aux vêtements, rapport tour à tour ludique et plus quotidien, elle montre bien qu’un vêtements vit, a une odeur, etc. mais elle ne le fait que trop peu au final et de manière bien trop artificielle. Si l’artifice et l’aspect mécanique sont revendiqués dès le départ, encore une fois, ces partis pris auraient mérité d’être davantage poussés dans leurs retranchements.
Pour finir, c’est en réalité la moitié de la salle qui était invitée à venir déposer un vêtement (la performance se serait éternisée autrement), décevant forcément une partie du public qui aurait aimé voir la comédienne réagir face à leur article… Au final, Cloakroom n’est pas déplaisant, mais trompeur et inutilement gonflé. Tel quel, 30 minutes auraient suffi. Si le concept était intéressant, on regrettera qu’il n’ait pas été suffisamment exploité. Enfin, contrairement aux apparences, on n’a au final pas forcément la vision d’une mode démocratique et on reste un peu sur l’impression d’un milieu qui se regarde le nombril. Dommage !