[Critique] El Club de Pablo Larraín (2015) : Trouble repentance

elclub_pablo larrain_afficheEn Patagonie, un groupe de prêtres chiliens est rassemblé dans une maison gérée par une religieuse au passé trouble. Tous ont dû quitter leur paroisse, des années plus tôt, pour des faits tels que pédophilie ou complicité de meurtres. Un homme, alcoolique et déséquilibré, violé dans son enfance par l’un d’eux, parvient à retrouver leur trace, provoquant le suicide du prêtre incriminé. Suite à ce drame, un religieux de la “nouvelle génération” est dépêché sur place pour découvrir ce qu’il s’est passé, interroger chacun d’eux et décider du sort de la maison. Mais les choses ne vont pas se dérouler comme prévu…

Pablo Larraín s’attaque à un sujet difficile, très peu traité au cinéma (le dernier exemple marquant à ce sujet était La mauvaise éducation de Pedro Almodovar) : les prêtres criminels. Plutôt que de s’intéresser aux méfaits en eux-mêmes, le réalisateur chilien a eu la bonne idée de se pencher sur ce qui arrive aux prêtres accusés de pédophilie et autres crimes, qui perdent leur paroisse mais font toujours partie de l’Eglise. Réponse : ils sont exilés dans des coins reculés et placés dans des maisons de repentance où ils demeurent durant des années, à l’abris du monde et de la justice. Leur liberté est limitée, ils ne peuvent interagir avec l’extérieur que de manière très contrôlée, doivent prier, se confesser… Soucieuse de conserver sa réputation, l’Eglise préfère étouffer ces affaires du mieux qu’elle peut en gérant elle-même ces prêtres criminels plutôt que de les livrer à la justice.

Le club des prêtres perdus

el club pablo larrain 1Ceci étant posé, le film nous plonge au cœur de son sujet en se plaçant aussi bien du point de vue des prêtres exilés que de celui du jeune prêtre dépêché sur place et qui incarne un certain ordre moral. Filmé dans un numérique à l’image brute, El Club ne se permet pas de juger ses personnages, dont on ignore pour certains ce qu’ils ont fait. Bien évidemment, le cinéaste ne se range pas à leurs côtés, mais, en nous plaçant en grande partie de leur point de vue, il parvient en quelque sorte à nous les rendre proches, bien que la répulsion ne soit jamais loin. Ainsi, si nous sommes à certains moments en empathie avec tel personnage, ses déclarations au détour d’une scène d’interrogatoire ou dans la vie quotidienne nous rappellent immédiatement à qui nous avons affaire. Cependant, Pablo Larraín ne tombe pas dans le piège de la diabolisation : ces hommes, en très grande partie dans le déni de ce qu’ils ont fait, sont complètement perdus et ne s’en rendent même pas compte. Face à eux, le jeune prêtre est en plein désarroi et c’est également son cheminement que nous suivons.

El Club, film brut de décoffrage, est également, dans sa première moitié, une œuvre au rythme assez lent qui nous plonge dans cette maison où le temps semble ne pas s’écouler normalement. Les prêtres y mènent une vie de reclus, rythmée par les prières et les courses de chiens puisqu’ils ont recueilli un animal, un petit bâtard pour lequel ils éprouvent beaucoup d’affection et sur lequel ils parient. C’est dans sa deuxième partie que l’intrigue s’emballe, se déglingue autour de ce personnage d’homme abusé dans son enfance, utilisé comme ressort finalement assez comique dans un premier temps (il ne cesse de déblatérer sur les fluides et les sexes des prêtres) et dont la présence finira par prendre un tour tragique. Chaque personnage révèle sa vraie nature et la fin, assez pessimiste, ne viendra pas adoucir les cœurs. La violence, qui était jusque-là sous-jacente, se fait aussi bien physique que morale.

Une oeuvre atypique, forte et dérangeante

el club pablo larrain 3La réalisation est à la fois sobre et sèche, elle colle au plus près des protagonistes, ne vient pas enjoliver le propos. Film au ton particulier, glaçant par son sujet et son approche, mais non dépourvu d’humour, El Club fascine autant qu’il met mal à l’aise. C’est un film qu’on se prend en pleine tête mais qui, pour autant, ne cherche jamais à choquer, à en faire trop. Les virages abrupts sont de mise et les nombreux changements de ton désarçonnent régulièrement le spectateur. Il s’agit d’une œuvre forte, provocatrice par certains aspects, qui ne tombe jamais dans le travers de la posture faussement provoc’. Le réalisateur, finalement, essaie de comprendre ce qui se trame dans la tête de ces hommes auxquels nous ne voulons pas nous identifier. En témoigne le portrait de l’un d’eux, tour à tour pathétique et touchant. Il interroge aussi, bien sûr, l’hypocrisie de l’Eglise, qui craint le scandale plus que tout et est prête à bien des compromis. En cela, El Club n’est pas un film qui devrait plaire au Vatican… Si l’on devait résumer en quelques mots le film de Pablo Larraín, cinéaste habitué aux sujets difficiles, qui s’était déjà penché sur la dictature chilienne, on pourrait dire qu’il met en avant les paradoxes de la nature humaine, sur laquelle il porte un regard sans concessions, sans pour autant nier aux personnages leur dignité. Une tragicomédie glaçante, récit d’une impossible repentance, qui secoue et a amplement mérité son Grand Prix du Jury au dernier festival de Berlin.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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