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[Critique] Et au milieu coule une rivière : Souvenirs au fil de l’eau

Caractéristiques

  • Titre : Et au milieu coule une rivière
  • Titre original : A River Runs Through It
  • Réalisateur(s) : Robert Redford
  • Scénariste(s) : Norman Maclean & Richard Friedenberg
  • Avec : Brad Pitt, Craig Sheffer, Tom Skerritt, Brenda Blethyn, Emily Lloyd...
  • Distributeur : Pathé
  • Genre : Drame, Biopic
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 2h03
  • Date de sortie : 9 octobre 1992 (Etats-Unis) et 20 janvier 1993 (France)
  • Note du critique : 8/10

Redford-Pitt : jeu de miroirs

Et au milieu coule une rivière, troisième long-métrage derrière la caméra de Robert Redford et sans aucun doute son oeuvre la plus aboutie, devant L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, est un récit autobiographique à plusieurs niveaux. Le premier est relativement évident : il s’agit de l’adaptation d’un roman de Norman Maclean, qui y racontait sa propre jeunesse dans le Montana, marquée par la religion et la pêche à la mouche. Une histoire qui a profondément touché l’acteur-réalisateur, lui-même élevé dans le Montana et adepte de la pêche à la mouche depuis ses douze ans, et qui s’est beaucoup reconnu et projeté dans le rôle de Paul, incarné à l’écran par un Brad Pitt au visage encore poupin.

Si Pitt a grandi au Texas, il a en revanche également reçu une éducation religieuse assez austère et s’est rebellé contre l’autorité parentale. Hormis un certain penchant pour la boisson (exploré par ailleurs dans Vue sur mer), qu’il a révélé récemment et qu’il a développé assez tôt, l’acteur avait également un temps envisagé une carrière de journaliste et suivi des études en ce sens à la fac. C’est donc à un troublant jeu de miroir auquel s’est livré Redford ici, en dirigeant un comédien entretenant une ressemblance assez frappante avec lui, et qu’il retrouvera grâce à Tony Scott en 2001, sur Spy Game.

image brad pitt et au milieu coule une rivière

Un film nostalgique sans être passéiste

On se souvient souvent de cette comédie dramatique réalisée en 1992 comme ce film des années 90 qui se déroulait dans les paysages luxuriants du Montana et parlait de pêche à la mouche. Et, si le sujet peut prêter à sourciller pour un long-métrage de 2h, on n’aura rarement vu une ode à la vie et au Montana aussi simple et puissante, avec une mise en scène magnifiant ces fameuses séances de pêche. Robert Redford respire cette histoire et ses paysages, et cela se sent au sein de chaque plan tant Et au milieu coule une rivière exsude de nostalgie. Une nostalgie pas si éloignée de celle de Beignets de tomates vertes, mais qui se manifeste de manière plus réaliste et subtile, à travers un ton doux-amer et une mélancolie sous-jacente qui se dissimule derrière les silences de ce père pasteur et de ses fils, ou bien les mots poétiques de Norman Maclean, lus en voix-off par Redford lui-même, dont le rythme quasi-musical berce et touche profondément, sans avoir recours au pathos.

 

Fait assez rare pour être souligné, il ne s’agit en aucun cas d’un film passéiste et, si certains souvenirs de jeunesse de Maclean apparaissent idéalisés dans toute leur splendeur, le cinéaste a le bon goût de ne pas brandir la banderole du « c’était mieux avant ». A ce sujet, le scénario de Richard Friedenberg reprend les vers de Wordsworth lus par Natalie Wood dans le chef d’oeuvre d’Elia Kazan, La fièvre dans le sang (1961) — des vers parlant de jeunesse, nostalgie et fatalité — mais va plus loin en continuant la lecture du poème au-delà, qui révèle une tonalité moins sombre, plus optimiste. Cette séquence, où Norman Maclean continue le poème que son père est en train de lire, est assez représentative de la force contenue du film, dont les moments les plus dramatiques se déroulent hors champ. Un refus du mélo qui n’allait pas forcément de soi au début des années 90 à Hollywood, et qui rend cette histoire de transmission et d’amour fraternel d’autant plus touchante.

image pêche et au milieu coule une rivière robert redford

Deux frères

Car, hormis une célébration de la nature et du Sud des États-Unis, Et au milieu coule une rivière est aussi et peut-être avant tout l’histoire de deux frères diamétralement opposés, très proches et pourtant éloignés l’un de l’autre par les circonstances, mais aussi un manque de communication qui est au coeur de leur famille aimante et pourtant gouvernée par le non-dit en raison de la pudeur du père. Craig Sheffer (qui a un faux air de Mark Ruffalo) et Brad Pitt campent ces deux personnalités avec charme et aplomb. Le second, en jeune chien fou, possède ce charme inimitable qui rend le personnage de Paul lumineux et charismatique. Si l’on serait de prime abord tentés de dire que son interprétation est plus lisse que les rôles plus « sombres » de sa filmographie ultérieure, l’acteur est en réalité capable de distiller la mélancolie de Paul de manière très subtile, au creux d’un sourire, par exemple, qualité que possède également Robert Redford, ainsi qu’un autre monstre sacré du cinéma, Vittorio Gassman. L’interprétation de Brad Pitt évoque par moments, à sa manière, celle de l’acteur italien dans Le fanfaron (1962), bien que le personnage de Paul soit plus authentique, moins dans le paraître.

Redécouvrir Et au milieu coule une rivière aujourd’hui dans cette belle version restaurée, c’est donc se prendre en pleine figure la beauté sauvage de cette nature luxuriante, mais aussi la profonde émotion qui se dégage de cette tranche de vie simple, dont émerge une authentique poésie. Dans les mémoires, on a étrangement classé un peu vite ce film dans la catégorie des mélodrames, pourtant, Robert Redford n’appuie jamais lourdement sur la corde sensible, et pare souvent les séquences de longs silences, qui peuvent être pesants, mais aussi tout à fait sereins. Des moments où la vie jaillit avec force, sans avoir recours aux poncifs du genre. La retenue du cinéaste force ici le respect, et sa mise en scène intimiste est parfaitement équilibrée d’un bout à l’autre ; chose qu’il n’est pas nécessairement parvenu à reproduire au-delà de L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux. La nostalgie inhérente au film et à l’oeuvre de Norman Maclean s’inscrit ici dans la pierre et les cours d’eau du Montana, ceux-ci semblant se confondre aux êtres chers au narrateur, les ressuscitant l’espace d’une partie de pêche à la lumière déclinante.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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