Caractéristiques
- Titre : Hana-Bi
- Réalisateur(s) : Takeshi Kitano
- Avec : Takeshi Kitano, Kayoko Kishimoto, Ren Ôsugi, Susumu Terajima...
- Distributeur : La Rabbia
- Genre : Drame, Polar
- Pays : Japon
- Durée : 1h43
- Date de sortie : 9 août 2017 (ressortie en salles)
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Après Memories of Murder de Bong Joon-ho le mois dernier, le distributeur La Rabbia ressort en salles trois classiques de Takeshi Kitano à partir du 9 août : Kids Return (1996), L’été de Kukujiro (1999) et Hana-bi, feux d’artifices donc, 7e long-métrage du cinéaste japonais, sorti en 1996 et récompensé du Lion d’Or au Festival de Venise.
Kitano et la mort : instants fragiles
Ce drame tragique aux accents poétiques ne marque pas seulement un tournant car cette reconnaissance internationale permit au cinéaste d’acquérir un nouveau statut dans son pays, mais aussi parce-que Kitano, frappé par un grave accident de moto au moment où il vient d’achever Just Getting Any? en 1994, y révèle une approche de la mort différente, plus frontale en un sens, où l’artiste semble « accepter cette fatalité », comme il le formulera lui-même. Si Hana-bi a tous les airs d’une tragédie tranquille quoique implacable, la beauté de la vie y filtre avec une rare force et le cinéaste, quasi-mutique dans le rôle du flic usé Nishi, s’y montre surtout très vulnérable, livrant l’une de ses performances les plus touchantes en quelques gestes et regards.
L’histoire du représentant des forces de l’ordre brillant, mais trempant avec les yakuzas pour régler des dettes personnelles est un classique, mais, en dépit des scènes de fusillade et d’exécutions en règle, Takeshi Kitano choisit un angle différent dès le départ, où Nishi et son co-équipier Horibe sont confrontés à l’impuissance à l’état brut. Le premier a perdu sa fille quelques années plus tôt et sa femme se meurt d’une leucémie en phase terminale, le second, laissé paraplégique suite à une fusillade, a vu sa carrière stoppée net, et ne se remet pas du départ de son épouse et leur enfant. Leurs jeunes collègues les considèrent avec un respect teinté de compassion et de tristesse et, dans la résignation de ces êtres brisés, toute la tragédie du film est déjà là, sous nos yeux. La mort rôde, et Nishi ne pourra pas la tromper, mais il est bien décidé à offrir de dernières vacances à son épouse pour apaiser ses souffrances et ressouder leurs liens dans un dernier élan…
Une tragédie tranquille d’une remarquable puissance
A partir de là, Hana-bi mêle passé et présent en un feu d’artifices de séquences à contre-temps, où l’on ne distingue pas toujours immédiatement les flash-backs, et où tout semble, dans tous les cas, déjà joué d’avance. Le rythme est relativement lent, ponctué de séquences contemplatives, et, en dehors de la trame policière et criminelle, où nous assistons aux échanges avec les yakuzas ou au drame qui a fait basculer la vie d’Horibe, le long-métrage se concentre sur ces moments à priori anodins où la force et la beauté de la vie sont irrépressibles, même si cela n’éloigne en rien la mort : une balade au milieu des cerisiers, Horibe reprenant sensiblement goût à la vie en se consacrant à la peinture (comme Kitano), Nishi profitant de moments de bonheur et de complicité simples avec son épouse, en pleine nature, alors qu’il a effectué un braquage et qu’il ne fait aucun doute que les mafieux, comme ses collègues, ne tarderont pas à rappliquer…
La force du film ne tient pas à la finalité de son intrigue à proprement parler — Kitano ne joue jamais sur le suspense ici — mais plutôt dans la manière mélancolique mais sereine dont il embrasse sa thématique autour de la mortalité, sans céder aux coups d’éclats tapageurs, ni au pathos facile. D’ailleurs, l’aboutissement du drame, qui survient après un plan représentant en quelque sorte une image d’éternité idyllique, se déroule hors champ. Seul le son, et le regard caméra de la petite fille au cerf-volant jouant sur la plage, nous permet de comprendre ce qu’il s’est très certainement passé. Pas de voyeurisme ni de complaisance donc, mais une force décuplée pour cette conclusion douce-amère à travers laquelle Takeshi Kitano, qui a par ailleurs lui-même réalisé l’ensemble des peintures vues dans le film, exorcise visiblement les nombreux démons qui l’habitaient depuis des années à ce moment-là. Si sa vie a connu une évolution positive, à l’inverse de ses personnages, ses problèmes aussi bien personnels que professionnels lui ont longtemps pesé, à tel point qu’il n’hésitera pas, en interview, à présenter son accident de moto, où il roulait sans casque, comme un suicide inconscient.
Plus de 20 ans après sa sortie en salles, force est de constater que Hana-bi, feux d’artifice n’a en rien perdu de sa superbe. Présenté dans une superbe version restaurée permettant de rendre justice au travail du chef opérateur Hideo Yamamoto, assistant de son habituel directeur de la photo, le 7e long-métrage de Takeshi Kitano marque un tournant dans sa carrière et frappe par la beauté des instants fragiles qu’il met en scène — comme la séquence des cartes, dans la voiture, entre Nishi et son épouse — à contre-courant de la violence qui se dégage de certaines scènes, et de la mort qui flotte au-dessus des personnages, attendant l’heure de réclamer son dû.