[Critique] Les garçons sauvages (L’Étrange Festival 2017)

Caractéristiques

  • Réalisateur(s) : Bertrand Mandico
  • Avec : Vimala Pons, Anael Snoek, Pauline Lorillard, Mathilde Warnier, Diane Rouxe...
  • Genre : Fantastique
  • Pays : France
  • Durée : 1h50
  • Date de sortie : 2017
  • Note du critique : 4/10

Remarqué pour ses courts-métrages étranges, souvent expérimentaux et érotiques  — à l’image de son ensemble de courts-métrages HormonaBertrand Mandico est venu présenter son premier long-métrage, Les garçons sauvages, en avant-première à L’Étrange Festival 2017, avant sa sortie en salles en février 2018 chez UFO Distribution. Un film onirique, principalement en noir et blanc, où les cinq protagonistes masculins sont incarnés par de jeunes actrices. Première “étrangeté” de la soirée : après avoir lâché “ce sont des films comme celui-ci qu’on veut voir”, le président du festival demande aux spectateurs de se lever pour une standing ovation avant même le début de la projection. Curieuse manière de procéder, qui engendre un léger malaise et pose question, même si le réalisateur n’est en aucun cas en tort…

Un film poseur à l’imagerie peu subtile

image cast les garçons sauvages bertrand mandico

Malheureusement, ce sentiment persistera durant les 1h50 de ce film fantastique esthétiquement léché, référentiel, et qui se veut “transgressif”. Le problème ne tient pas à la réalisation, plutôt inspirée, donnant même lieu à de très beaux plans, ni à la qualité de la photo, irréprochable, ni à l’interprétation convaincante de ses actrices ou encore au parti pris de faire jouer des hommes par des femmes afin de mieux tordre le cou à la perception des genres.

Non, ce qui irrite dans Les garçons sauvages, et met souvent mal à l’aise, c’est le ton poseur de l’ensemble, qui se fait parfois racoleur. Dès la scène d’introduction (le viol d’une professeure par les cinq personnages), Bertrand Mandico se plaît à esthétiser le plus possible la violence, en tentant de la rendre à la fois belle et vulgaire, giclées de sperme au ralenti à l’appui. Les cinq adolescents apparaissent masqués, et la référence à Orange Mécanique de Kubrick se voit comme le nez au milieu de la figure, sauf que, contrairement au chef d’œuvre des années 70, on ne peut croire une seule seconde à la violence de ces jeunes, pantins placides et pas très menaçants, présentés au sein d’une séquence volontairement théâtrale, donc artificielle.

Si cette violence est présentée de manière plus crédible par la suite, on se lasse très vite de l’imagerie sexuelle ultra premier degré de Mandico. Il y a certes de l’humour et de l’ironie tout du long, mais le résultat n’est en fin de compte ni drôle ni troublant. Et puis, comment ne pas soupirer lorsque, une fois le groupe arrivé sur l’île où ils doivent être “rééduqués”, l’un des personnages répète pour la dixième fois : “Ca sent vachement l’huître” ? Une réplique qui intervient après que le viril capitaine du navire ait forcé les jeunes arrogants à manger des fruits chevelus en forme de vagins au goût “âcre” et visiblement assez immonde, avant de les récompenser en leur montrant comment se régaler de l’épais jus nacré s’écoulant de fruits en forme de pénis quand on les suce… Une imagerie claire comme de l’eau de roche, ne brillant pas par sa subtilité donc — les allusions à base de fruits sont quand même le degré zéro des métaphores sexuelles — et qui nous est servie jusqu’à la nausée, sans que cela soit franchement justifié.

Une approche artificielle

image visuel nb les garçons sauvages bertrand mandico

Bertrand Mandico souhaite explorer les fantasmes homosexuels et les clichés associés à ce qui relève de la masculinité ou de la féminité. Mais est-il obligé, pour cela, d’aligner les gros plans sur de faux pénis sous toutes les coutures possibles ? Un sexe en érection résume-t-il à lui seul sa vision de la virilité ou de la violence masculine ? Tout cela semble bien forcé et l’ironie de la chose, censée faire passer la pilule, est toujours empreinte d’une bonne dose de prétention. C’est bien simple : il est en fin de compte facile de faire dire tout et son contraire au film, qui ne donne jamais vraiment l’impression d’explorer véritablement son sujet, annoncé dès la scène d’ouverture, celui de la métamorphose des corps et de la fluidité des genres.

On pourra par exemple voir une revanche féministe dans le fait que les jeunes violeurs se transforment en femmes et embrassent cette partie de leur anima, tout comme on pourra déceler le ton goguenard du réalisateur lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages “Ces seins ont fait de moi un être respectable” alors même que la fin prouve que la métamorphose des jeunes gens n’a certainement pas éradiqué la violence en eux, même si celle-ci change alors de visage. Sur ce dernier point, ne pas cantonner les femmes à des êtres doux est bien entendu bienvenu, mais la mise en œuvre de l’ensemble interroge par son artificialité assumée, loin de la poésie des films de Cocteau, vers lequel Mandico semble parfois lorgner.

Entre beauté formelle et vacuité

image visuel affiche les garçons sauvages bertrand mandico

On a souvent l’impression d’admirer une œuvre de surface, parfois fascinante par la beauté de certains plans, mais en fin de compte assez vaine. Même le passage à la couleur au cours d’une scène onirique et orgiaque, curieux mélange de Fassbender (les marins) et Zéro de conduite de Jean Vigo (les plumes d’oreillers) passés par le filtre du clip “L’instant X” de Mylène Farmer se révèle assez pompier dans son approche, malgré là encore une certaine beauté plastique. Que nous raconte-t-on de la violence en fin de compte, au-delà de ce parti pris de gender bending ? Bien malin celui qui saura répondre… Il aurait sans doute fallu, pour cela, que ces Garçons sauvages prennent des chemins plus viscéraux, plutôt que de nous coller une seconde scène de viol où l’attention est davantage portée sur le rendu esthétique plutôt que la violence de l’acte. On pourra bien entendu rétorquer que le film n’est peut-être que la rêverie de l’un des personnages, d’où cette distance, mais on ne peut s’empêcher de trouver cela assez superficiel et oui, encore une fois, poseur.

Cela est d’autant plus dommage qu’il serait bien difficile de ne pas reconnaître un vrai talent à Bertrand Mandico à filmer cette odyssée maritime, où l’île serait une version hardcore du Pays Imaginaire de Peter Pan, et les adolescents des “garçons perdus”, dont la cruauté fait également écho à celle des héros de Sa majesté des mouches. Certains plans sont superbes, comme lorsque les garçons tombent à la mer avec une corde, par exemple.

Enfin, si l’on devait citer une scène convaincante autour de cette inversion des genres, nous n’aurions pas besoin d’aller plus loin que le premier quart d’heure du film, lors de la parodie de procès des jeunes délinquants sexuels, qui mentent effrontément pour rejeter la culpabilité de leurs actes sur l’enseignante, en débitant d’un air innocent des petites phrases assassines à même d’être utilisées contre les femmes en pareille situation. Dans cette scène, la mise en scène théâtrale, très fantasmatique, s’accorde parfaitement au contexte, et le fait que ces répliques masculines soient prononcées par des actrices fait alors sens et en renforce l’impact. Il est donc regrettable que les 90 minutes qui suivent ne retrouvent pas cette force et cette cohérence.

En l’état, Les garçons sauvages est donc un film formellement abouti et interprété avec brio, mais qui reste continuellement en surface, dans une pose supposément transgressive assez irritante à force de répétition et d’allusions sexuelles à la subtilité pachydermique. Bertrand Mandico est sûr de faire parler de lui pour son esbroufe et ses plans provocateurs et le simple parti pris de l’inversion des genres, mais son premier long-métrage manque cruellement de substance dans le traitement même de ces thématiques, apparaissant comme une expérimentation belle mais creuse.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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