Alors que les deux artistes ont présenté ce mois-ci une Carte Blanche dans le cadre de L’Étrange Festival, c’est près de 40 ans de carrière que la Halle Saint-Pierre de Paris revisite à travers cette belle exposition à deux pas de Montmartre.
Au programme : les maquettes, accessoires et storyboards des films que les compères ont réalisé ensemble (Delicatessen, La cité des enfants perdus, ainsi que deux courts-métrages), mais aussi les objets de leurs projets solo, du Fabuleux destin d’Amélie Poulain à Dante 01, en passant par Alien : la résurrection, Un long dimanche de fiançailles ou L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet.
Un enthousiasmant cabinet de curiosités
Comme on pouvait s’y attendre de la part de cinéastes qui ont su garder leur regard d’enfant, cette exposition est tout sauf conventionnelle et « institutionnelle ». Le visiteur a ainsi l’impression de pénétrer dans un imaginarium farfelu, un drôle de cabinet de curiosités dans une pièce toute ronde où l’on cherchera en vain le moindre texte d’accompagnement ; une volonté de leur part, comme ils nous l’expliquaient au cours de notre long entretien.
Pas de biographie ou de présentation à la Wikipedia, pas d’analyse pointue pour souligner l’originalité de l’oeuvre ou la replacer dans son contexte, juste des maquettes et éléments de décors de toutes les tailles, des dessins, photos, storyboards et objets fétiches accrochés aux murs ou disposés dans des vitrines, au sein d’une scénographie ludique ne respectant aucunement un ordre chronologique. Seules les vignettes permettent de situer les films présentés (pour ceux qui ne les auraient pas tous reconnus) et les auteurs des dessins et maquettes, tandis que des extraits vidéos permettent de découvrir de quelle manière les objets ont été utilisés au sein de chaque oeuvre.
Maquettes et artisanat à l’honneur
Du coup, plutôt que passer des heures à essayer de tout lire et tout voir, on se surprend à fureter d’un recoin à l’autre de la pièce, en revenant parfois sur nos pas, nous arrêtant tantôt devant le nain et les Polaroïds d’Amélie Poulain, avant d’étudier les storyboards très détaillés de chaque long-métrage et d’admirer de près les costumes ou encore la machine steampunk de La cité des enfants perdus abritant le Cerveau. L’excellence artisanale des films de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, leur indéniable savoir-faire — ils mettent également la main à la pâte pour dessiner, peindre ou fabriquer des maquettes, de petits personnages — est mis en avant d’un bout à l’autre à travers leurs meilleures réalisations en la matière, ainsi que celles de leurs nombreux collaborateurs.
On pourra notamment découvrir les nombreuses petites bestioles conçues par Jeunet lui-même pour le court-métrage d’animation Deux escargots s’en vont, réalisé l’an dernier en compagnie de Romain Segard, les croquis de Jean-Paul Gaultier pour les costumes de La cité des enfants perdus, la boucherie miniaturisée de Delicatessen, la main articulée en bois d’Un long dimanche de fiançailles, ou encore la tête du bébé alien d’Alien : la résurrection…
Le quatrième opus de la saga hollywoodienne, mal-aimé de la carrière de Jeunet malgré des qualités indéniables, occupe par ailleurs une place de choix, avec de nombreux concept-arts de Marc Caro, les prothèses de Dominique Pinon, deux faux bustes percés par la tête de l’extraterrestre et plusieurs maquettes des vilaines bestioles, dont le fameux bébé alien blanc qui avait tant fait parler à l’époque… Si cette dernière pièce a été prêtée par le Musée de la Miniature et du Cinéma de Lyon, qui l’expose depuis plusieurs années déjà en compagnie d’autres maquettes, le gros des objets présentés dans cette exposition Caro/Jeunet provient de la collection personnelle de Jean-Pierre Jeunet, qui les stockait jusque-là dans son bureau, à quelques pas d’ici.
Un univers aux nombreuses ramifications
Au-delà de l’univers des deux réalisateurs, cette exposition en propose une extension, puisque des oeuvres d’artistes qui leur sont chers sont également présentées ; des artistes qu’ils avaient pu découvrir à la Halle Saint-Pierre, faut-il d’ailleurs préciser. C’est par exemple le cas des impressionnantes miniatures à l’atmosphère glauque de Charles Matton ou des reliquaires de Jephan de Villiers. Un art brut et décalé stimulant l’imagination, tout comme les films de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, donc.
Si cette exposition Caro/Jeunet ne correspond à aucune actualité cinématographique à proprement parler, on sent en tout cas la volonté de célébrer une collaboration au long cours unique en son genre, qui continue de les inspirer dans leurs projets solo, à travers lesquels ils ont exploré des thématiques plus personnelles. Et, si réaliser des projets aussi décalés est devenu aujourd’hui très compliqué dans un paysage cinématographique français dominé par les pures comédies — le dernier film « français » de Jeunet, Micmacs à tire-larigot, remonte à 2009 — on aurait tort de voir cette exposition rétrospective comme un requiem. Il s’agirait plutôt de la jeunesse de deux créateurs plein de fantaisie, qui tournent à présent leur regard vers l’avenir du cinéma : l’immersion en réalité virtuelle. Aux dernières nouvelles, Jean-Pierre Jeunet planchait sur un script traitant de l’intelligence artificielle, sur laquelle Marc Caro a également réalisé un documentaire, Astroboy à Roboland…
Expo Caro/Jeunet, du 7 septembre 2017 au 31 juillet 2018 à la Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard, 75018 Paris (métro Anvers, ligne 2). Tarifs : 9€ (plein tarif), 7€ (tarif réduit demandeurs d’emploi, familles nombreuses, personnes en situation d’handicap, étudiants de moins de 26 ans), 6€ pour les moins de 15 ans. Ouvert de 11h à 18h en semaine, de 11h à 19h le samedi et de 12h à 18h le dimanche.