Caractéristiques
- Titre : Soul
- Réalisateur(s) : Pete Docter & Kemp Powers
- Avec : (les voix originales de) Jamie Foxx, Tina Fey et Angela Bassett (et les voix Frances de) Omar Sy, Camille Cottin et Ramzy Bedia
- Distributeur : The Walt Disney Pictures Company
- Genre : Animation, Famille
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 1h40
- Date de sortie : 25 décembre 2020 sur Disney +
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Un Vice-Versa métaphysique sur fond de jazz
Après En avant qui avait divisé la critique et pâti du confinement au printemps dernier, Pixar est de retour avec Soul, un film d’animation dont le concept original pourrait être assimilé à un Vice-Versa version mystique. Présenté en avant-première au Festival Lumière de Lyon en octobre dernier, le dernier-né du studio devait sortir en salles en cette fin d’année. La pandémie et l’évolution de la politique des studios Disney en auront finalement décidé autrement puisque le long-métrage de Pete Docter (Monstres & Compagnie, Là-haut, Vice-Versa), cette fois-ci assisté de Kemp Powers, sera disponible sur Disney+ à partir du 25 décembre 2020. Un événement qui devrait logiquement booster la plateforme, moins d’un mois après la sortie du live action Mulan.
Mais revenons au film : Soul fait définitivement partie des pépites du studio d’animation et rassure sur sa capacité à se renouveler, deux ans après l’éviction de John Lasseter et trois ans après la sortie de leur précédent chef d’œuvre, Coco. En effet, si Les Indestructibles 2 était tout aussi excellent que le film original, un Toy Story 4 en dents de scie pouvait laisser craindre que les artistes ne sombrent dans la redite en enchaînant les suites lucratives tout en perdant peu à peu ce qui faisait la force de leurs films : l’authenticité.
Avec ce nouveau projet, on sent que Pixar s’est remis en question et a cherché à aller encore plus loin. Lors du Q&A organisé à distance pour la presse le 17 décembre, c’est d’ailleurs ce que Pete Docter a confirmé : un pic a été atteint avec Vice-Versa et il a craint, à un moment donné, que tout ce qu’il ferait ensuite ne pourrait être que moins bien. Cette réflexion a visiblement nourri le film, qui pose des questions existentielles aussi variées que « qu’est-ce que l’âme et d’où vient-elle ? », mais aussi « naissons-nous tous avec une vocation ? », « la personnalité est-elle innée ou se forme-t-elle au gré des expériences ? », « qu’est-ce que l’accomplissement ? » ou encore « comment faire évoluer sa vie dans une direction satisfaisante ? ». Le tout à travers le regard d’un jazzman new-yorkais et d’une âme en devenir au comportement d’ado rebelle.
Ces questions pourraient sembler, pour un adulte, un peu trop métaphysiques et abstraites pour qu’un enfant puisse les apprécier, et pourtant ! Soul est conçu de telle manière que toute la famille pourra y trouver son compte, même si (comme c’était déjà le cas pour Coco et Là-haut), les réactions émotionnelles des adultes différeront forcément de celles des plus jeunes.
Un concept original et poétique
Commençons par ce qui fait LA grande force du film de Pete Docter et Kemp Powers : Soul allie la dimension ludique et cérébrale de Vice-Versa, l’émotion en plus. Le récit est bien évidemment ouvertement poétique puisqu’il nous montre un espace « entre deux », ni purgatoire, ni vraiment au-delà, et la manière dont les âmes sont « formées » avant d’arriver sur Terre. Pourtant, s’il brasse un certain nombre de croyances et représentations, le dessin animé ne possède pas pour autant de dimension religieuse et pourra parler à tous, quelles que soient ses croyances personnelles.
Pixar s’est amusé à imaginer un espace métaphysique géré de manière très bureaucratique par des employés androgynes s’appelant tous Terry et semblant sortir tout droit d’une toile de Picasso. Des salariés zélés du nom de Michel se chargent quant à eux de gérer les entrées et sorties, s’assurant notamment que l’âme des personnes décédées passe bien de « l’autre côté ». Quant aux âmes en devenir, elles doivent trouver leur raison d’être afin d’obtenir le badge qui leur permettra de faire leurs premiers pas sur Terre et donc dans la vie.
De grandes questions métaphysiques traitées avec humour et sensibilité
Tout au long de l’intrigue, nous oscillerons constamment dans cet espace entre-deux et la ville de New York où évolue Joe, un jazzman en galère contraint de donner des cours de musique dans une école élémentaire en attendant de percer. Le jour où sa chance se présente enfin, il tombe malheureusement dans une bouche d’égout ouverte et se retrouve dans cet espace surréaliste où il se retrouve dans une file d’attente pour passer de « l’autre côté ».
Déterminé à retourner dans le monde des vivants pour jouer aux côtés d’une grande dame du jazz, il va réussir à tromper la vigilance des Michel lorsqu’il est pris par erreur pour un coach, l’âme d’une personne décédée qui doit accompagner une âme en formation afin qu’elle trouve sa vocation. Par un drôle de concours de circonstances, le voilà de retour sur Terre, catapulté dans la peau d’un chat, tandis que son « élève », 22, occupe son corps à lui.
Le comportement de 22 étant celui d’un adolescent qui ne sait pas encore ce qu’il veut faire de sa vie, Soul joue ainsi sur plusieurs niveaux de lecture et permet d’aborder la question du sens que chacun donne à sa vie en se penchant sur différents stades de notre existence. Les réactions et émotions de Joe toucheront une corde sensible chez les adultes : que se passerait-il si l’on devait disparaître demain ? Quels regrets laisserions-nous derrière nous ? Combien de rêves inachevés ? Peut-on vraiment « planifier » sa vie ou ne sommes-nous pas, au fond, tous contraints d’improviser en route, comme le font les jazzmen ?
Soul réussit ainsi le pari d’émouvoir et de faire réfléchir sans jamais se départir d’un humour toujours aussi rafraîchissant qui saura faire mouche auprès des petits comme des grands. Aussi inventif dans le fond que dans la forme comme en témoignent les paysages surréalistes de l’entre-deux ou la forme des Terry et Michel rappelant La Linea, Soul prouve une nouvelle fois, si besoin était, toute l’inventivité des artistes de Pixar, qui ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils se mettent en danger. Le sujet était casse-gueule et le pari risqué, mais le résultat est une pure pépite, et sans conteste l’une des œuvres les plus originales du studio.