[Critique] Apollo 10 ½ : Les fusées de mon enfance – 1969 au rotoscope

Caractéristiques

  • Titre : Apollo 10 1/2 : Les fusées de mon enfance
  • Titre original : Apollo 10 ½ : A Space Age Childhood
  • Réalisateur(s) : Richard Linklater
  • Scénariste(s) : Richard Linklater
  • Avec : Milo Coy, la voix de Jack Black, Glen Powell, Zachary Levi, Josh Wiggins, Lee Eddy...
  • Distributeur : Netflix
  • Genre : Chronique, Comédie dramatique
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h38
  • Date de sortie : 1er avril 2022 (sur Netflix)
  • Note du critique : 7/10

Apollo 10 ½ se présente comme l’histoire d’un enfant de 9 ans (Milo Coy) auquel la NASA demande de leur voler au secours en devenant astronaute. Et pour cause : les ingénieurs ont conçu un LEM (module lunaire) légèrement trop petit pour les astronautes adultes déjà formés. Bref, le temps presse et le jeune Stan semble leur unique espoir de remporter la course vers la Lune, parce qu’ils ont perçu en lui le potentiel d’un génie mal compris, dont le père (Bill Wise) a le tort à ses yeux de ne pas être astronaute, mais un bureaucrate de la NASA en charge de l’approvisionnement. Qu’on ajoute à ce postulat délirant un procédé d’animation brillamment utilisé et un fort ancrage du film dans l’enfance de son réalisateur Richard Linklater, qui avait lui aussi 9 ans en 1969 à Houston, Texas, et Apollo 10 ½ possède de beaux atouts pour nous séduire.

Fusées, gazon synthétique, insecticides, sandwichs congelés, cannettes de bières jetées par la fenêtre d’une fenêtre d’une voiture (ou au pied des passagers), La Mélodie du Bonheur, La Quatrième Dimension, les Black Panthers, les hippies, The Johnny Cash Show, Janis Joplin et “Interstellar Overdrive” de Pink Floyd : bienvenue en 1969 !

Frustrations et plaisirs : un film en demi-teintes sur une époque ambigüe

Apollo 10 ½ avait tout pour nous plaire et, par bien des aspects, le film est une belle réussite. Mais pour d’autres, c’est la frustration qui domine, au point qu’il est même possible de penser que cette frustration a été voulue par le cinéaste Richard Linklater. Pensez-donc : au lieu d’un récit joliment délirant d’un enfant en partance pour la Lune, Apollo 10 ½ offre au public une multitude d’anecdotes et de détails de la vie quotidienne d’une famille de 6 enfants de la classe moyenne blanche de Houston, Texas, en 1969. Le tout étant accompagné d’une quantité d’extraits de films, reportages ou séries télévisées de l’époque, avec la bande-son de rigueur. Le film semble dès lors se réduire à une chronique familiale sans intrigue et à une description d’un petit monde, un “Je me souviens” digne de Georges Perec en périphérie de la NASA. Richard Linklater déclare à ce propos au Houston Chronicle :

“C’est tellement un privilège de pouvoir faire un film qui non seulement recrée un moment du passé, mais aussi recrée des images filmées à Houston à la fin des années 60. Et c’est un rêve de gamin à la manière de Harry Potter, de Princesse malgré elle, ou d’un truc comme ça, dans laquelle le grand monde a besoin de vous… Donc c’est un fantasme d’enfance : non seulement vous avez été choisi, mais vous devez aider ou sauver votre pays. C’est drôle, mais le truc pour que ça marche dans le film, c’est de le jouer au premier degré.”

Les gamins de la fin des sixties s'amusent à faire décoller des fusées dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix
Les gamins de la fin des sixties s’amusent à faire décoller des fusées dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix

Comme nous allons le voir, Apollo 10 ½, peine malgré sa réalisation et son interprétation brillantes à vraiment assumer cette dimension fantasmatiques, vraiment enfantine. La chronique prend le dessus. Pour autant, le film se réduit-il à une simple chronique nostalgique pour boomers ou pour leurs enfants épuisés par les cris d’alarme de Greta Thunberg ? On peut le croire, car le plaisir de retourner dans le passé est grand, mais ce serait oublier que la nostalgie du film est imprégnée de critique, car le film ne cache pas les problèmes politiques, sociaux ou écologiques de son temps (assassinats politiques, inégalités sociales, discriminations raciales, difficultés pour faire émerger une conscience écologique…) et n’oublie pas que la catastrophe écologique globale d’aujourd’hui était déjà en cours. Il est le récit d’un aveuglement en forme d’innocence, à l’image des gamins s’amusant à pédaler derrière les camions pulvérisant des insecticides. Le film est plutôt empreint d’une mélancolie, dont l’objet principal est symbolique de cette croyance dans le progrès irrémédiable et exponentiel : celui de la conquête spatiale telle qu’elle était pensée dans les années 50 et 60 (à ce titre, nous vous renvoyons à notre analyse sur les enjeux de l’envoi d’hommes dans l’espace). Dans une interview pour Entertainment Weekly, Richard Linklater évoque les illusions et désillusions de son temps à ce sujet, qui étaient déjà le sujet d’un film tel que Capricorn One de Peter Hyams en 1978 :

“C’est comme lorsque votre équipe gagne le championnat. Vous pensez qu’ils vont aussi gagner l’année suivante, puis deux décennies passent et ils ne gagnent jamais. Et vous vous dites encore ‘C’était une super année’. Nous pensions tous que nous serions sur Mars avant la fin du siècle. Je ne pense pas que quelqu’un à l’époque se rendait compte à quel point c’était éphémère.”

Stanley rêve d'aller sur la Lune, dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix
Stan rêve d’aller sur la Lune, dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix

Pourquoi avoir réalisé Apollo 10 ½ en animation ?

Apollo 10 ½ a été présenté en avant-première au festival South by Southwest le 13 mars 2022, avant sa diffusion mondiale sur Netflix dès le 1er avril 2022. Il s’agit du troisième film d’animation de Richard Linklater utilisant la rotoscopie, après Waking Life (2001) et A Scanner Darkly (2006). C’est-à-dire que les acteurs et actrices sont filmés puis redessinés par une équipe d’animateurs sur ordinateur, grâce à un logiciel spécial. La technique utilisée reprend sous une forme numérique le principe du rotoscope inventé en 1915 par Max Fleischer, puis utilisé notamment pour animer des mouvements complexes des dessins animés Betty Boop ou Popeye réalisés avec son frère Dave. Mais là où Max et Dave Fleischer utilisaient le rotoscope surtout dans le but de décalquer les mouvements filmés de référence (comme ce sera aussi le cas pour la danse de Blanche-neige de Walt Disney), Richard Linklater quant à lui ne transforme par ces personnes filmées en figures cartoonesques, mais tente au contraire de restituer notre réalité sous une forme simplifiée.

La banlieue résidentielle d'Houston, Texas, où se déroule Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater. © Netflix
La banlieue résidentielle d’Houston, Texas, où se déroule Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater. © Netflix

Pour Apollo 10 ½, le cinéaste déclare avoir été influencé par le style d’animation des cartoons du samedi matin : en vérité, il n’y a guère que les aplats de couleurs vives qui peuvent y faire penser, car l’esthétique des images est bien plus réalistes que ces cartoons. Richard Linklater refuse ainsi l’élasticité des corps de dessins animés, que les animateurs connaissent bien parce qu’elle permet de donner de la vie et du comique aux mouvements des personnages animés. Les animateurs de Dave et Max Fleischer, comme ceux de Walt Disney, ajoutaient de l’élasticité à leurs personnages décalqués grâce au rotoscope afin d’éviter qu’ils ne semblent trop raides et qu’ils ne perdent de leur vitalité. Cette raideur des corps est moins perceptible dans Apollo 10 ½ que dans A Scanner Darkly et il faut dire que l’ensemble de l’animation est particulièrement fluide, mais l’origine des plans animés demeure sensible : ce n’est pas un cartoon, mais du cinéma du réel redessiné, avec une grande vitalité qui s’en dégage malgré tout.

Projection d'home movies dans la famille d'Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix
Projection d’home movies dans la famille d’Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix

De ce point de vue, il faut le dire : la réussite est totale. Les plans sont plein de détails qui rendent crédible et même réel ce monde de 1969 reconstitué, tourné en février et mars 2020 dans les studios de Robert Rodriguez à Austin au Texas, souvent devant de simples fonds verts. De ce fait, tout ce que les acteurs et actrices ne touchaient pas au cours du tournage est donc de l’animation, avec pour images de référence de nombreux home movies, des films familiaux réalisés à Houston au cours de la fin des années 60. Le film n’est donc pas juste un décalque des plans tournés, car il s’agit aussi d’un énorme travail d’intégration des personnages de Richard Linklater dans les images d’archives et, plus largement, de recomposition d’un monde disparu. Or, Apollo 10 ½ transpire de vie et de naturel.

Retour aux sources visuelles du film

Le réalisme pop d’Apollo 10 ½ le rapproche plutôt de deux autres types de figuration florissant dans les années 60 : l’illustration publicitaire et la peinture hyperréaliste. De l’illustration publicitaire, encore souvent dessinée ou peinte, Richard Linklater reprend l’efficacité des compositions, la simplicité des lignes et l’éclat des couleurs, avec beaucoup d’aplats.

Le style visuel d'Apollo 10 1⁄2 est très proche de celui des illustrations des années 60. © Netflix
Le style visuel d’Apollo 10 1⁄2 est très proche de celui des illustrations des années 60. © Netflix

De la peinture hyperréaliste, il reprend le jeu des textures, dans lesquels on croit apercevoir les traces des images filmées originelles (notamment de la nourriture), mais aussi les éclats de lumière et les jeux d’ombres. Il nous semble clair que ce n’est pas la métamorphose du réel qui intéresse Richard Linklater lorsqu’il utilise l’animation dans Apollo 10 ½, mais plutôt la possibilité de superposer au réel une sorte de filtre l’idéalisant, un peu comme s’il était possible de voir notre monde à la manière d’une peinture de Norman Rockwell (pour les nostalgiques des 50’s) ou de David Hockney (pour les 60’s). Au sujet des relations très étroites entre le cinéma numérique et la peinture, nous vous renvoyons d’ailleurs à notre analyse “Fausses caméras et nouveaux pinceaux”.

Nostalgie d'une époque où les enfants étaient plus libres... Mais étaient plus souvent victimes de violences physiques et d'accidents domestiques. © Netflix
Nostalgie d’une époque où les enfants étaient plus libres… Mais étaient plus souvent victimes de violences physiques et d’accidents domestiques. © Netflix

Mais Richard Linklater ne va pas jusqu’à transformer le monde en aplats à la Hockney ou façon comics comme Roy Lichtenstein. On mesure l’écart entre sa première incursion dans l’animation, Waking Life, et Apollo 10 ½ : dans le premier, la rotoscopie maladroite faisait vibrer le monde et le rendait aussi instable que le monde des rêves qui est le sujet de Waking Life (dans lequel il rend hommage à l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick) : tout était susceptible de basculer, pas d’une manière systématique que dans les films de Bill Plympton, mais c’était latent. Comme nous l’avions déjà signalé dans notre analyse de A Scanner Dakly (adaptation de Philip K. Dick), Richard Linklater n’utilise pas l’animation pour métamorphoser la réalité dans son second film d’animation (ou si peu) : il s’en tient à l’impression d’instabilité et d’étrangeté du procédé technique utilisé. Dans Apollo 10 ½, la rotoscopie par ordinateur s’améliorant, les images sont beaucoup plus stables, l’animation plus fluide et le réalisme accru.

En fait, Richard Linklater a surtout recours à l’animation pour faire ce qui lui est impossible de réaliser avec des images réelles : reconstituer la ville de Houston en 1969 et une mission lunaire fantasmée. Mais l’animation n’aurait-elle pas pu permettre d’aller beaucoup plus loin ?… Cette frustration est-elle prévue par le cinéaste ? La même question se pose en ce qui concerne l’histoire et le récit d’Apollo 10 ½.

Stan apprécie à sa manière la zéro-G, dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix
Stan apprécie à sa manière la zéro-G, dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix

Pourquoi Richard Linklater refuse-t-il la dramaturgie ?

Nous distinguons ici histoire et récit afin de rappeler qu’une bonne histoire (ce qui est raconté) peut être desservie par un récit médiocre (comment l’histoire est racontée). Tout l’art de la dramaturgie consiste (en résumé) à trouver comment raconter une bonne histoire, certes, mais avec le meilleur récit possible. Or, nous avions déjà montré dans notre analyse d’A Scanner Darkly comment Richard Linklater réduit considérablement les possibilités dramaturgiques du roman de Philip K. Dick qu’il adapte (Substance Mort en français) en racontant son histoire quasi uniquement sous la forme d’une chronique, avec des séquences assez déconnectées les unes des autres (réparer un vélo en étant défoncé, paniquer sur l’autoroute…). Quant à Boyhood (2014) duquel Apollo 10 ½ peut aussi être rapprochée, il était encore plus dépourvu de dramaturgie, si bien qu’il nous a semblé bien linéaire tout du long de ses 2h46, assez dépourvu finalement de ces rebondissements dont la vie est féconde. C’est pourquoi Boyhood nous avait passablement ennuyé, malgré son ambition incroyable (un tournage étalé sur 12 ans), ses qualités et la beauté qui s’en dégage, parce que c’est le temps qui y est donné à percevoir.

Stan et sa famille au complet devant la télévision, dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix
Stan et sa famille au complet devant la télévision, dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix

Apollo 10 ½ se présente assez tôt comme une chronique de son temps et, dès lors, le public peut l’apprécier (ou pas) comme telle, avec toutes toutes ses longues énumérations d’anecdotes, de loisirs, de programmes télévisés ou de sandwichs congelés. Si l’histoire du film consiste principalement à raconter son époque, c’est réussi, même si on est aussi libres de s’ennuyer et de penser qu’il y avait sûrement une manière moins rébarbative de mettre cela en récit. Or, Apollo 10 ½ est aussi l’histoire d’un fantasme d’enfant, rêvant qu’il a été choisi pour marcher sur la Lune, un fantasme qui est peut-être plutôt celui de Stanley adulte lorsqu’il se remémore ses rêves d’enfant.

Apollo 10 ½ tient alors sa promesse de raconter ce fantasme, cette histoire d’enfant astronaute, et délivre quelques beaux moments, particulièrement lorsque Stanley contemple mélancoliquement l’espace ou la surface lunaire. Mais le récit de cette histoire, lui aussi, semble réaffirmer le refus de la dramaturgie par Richard Linklater au profit de la chronique (à moins que cela ne témoigne de son incapacité à utiliser la dramaturgie) : en effet, le cinéaste utilise très peu les possibilités offertes par cette histoire d’enfant astronaute pour confronter Stanley et l’équipe de la NASA à des obstacles. Or sans obstacle, à quoi le personnage de fiction est-il réduit ? A être là, comme un figurant, avec sa vie, certes, mais sans offrir la possibilité d’un développement.

Stan s'apprête à monter dans la capsule de la fusée Saturn V, pour la mission Apollo 10 1⁄2. © Netflix
Stan s’apprête à monter dans la capsule de la fusée Saturn V, pour la mission Apollo 10 1⁄2. © Netflix

Qui est Stanley, l’enfant d’Apollo 10 ½ ?

L’enfant astronaute décalque complètement la mission Apollo 11 (“L’Aigle s’est posé” dit-il comme Neil Armstrong), comme un enfant rejoue un récit déjà connu sans se l’approprier. Or, nous attentions au contraire que Richard Linklater s’en écarte et profite d’avoir un enfant sur la Lune pour insuffler de l’enfance dans le monde ultra-technocratique de l’astronautique. Mais non, rien de cela. Mis à part la lecture du magazine Mad et d’autres clins d’oeil, Stanley agit comme on le lui demande, ne sort jamais des cases de sa checklist, les choses se passent et c’est tout. Peut-être n’est-ce pas plus mal ? Libre à vous d’en juger.

Le jeune Stanley lit Mad dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix
Le jeune Stanley lit Mad dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix

Peut-être le film permettra-t-il de donner envie de s’intéresser aux véritables missions Apollo ? Peut-être, mais il n’était pas interdit d’utiliser les magnifiques moyens de Richard Linklater pour raconter cette partie du film Apollo 10 ½ avec suffisamment de dramaturgie pour nous passionner et, au final, nous émouvoir vraiment. Le cinéaste passe alors complètement à côté de la possibilité d’affranchir Stanley, le petit frère, de son entourage familial : par le fantasme, il aurait pu affirmer sa singularité en tant qu’individu. Parce que le personnage principal, Stanley, n’existe guère hors du milieu dans lequel il évolue et, hormis sa voix d’adulte qui dit “je”, il est finalement noyé dans cet ensemble, au point que sa destinée risque de laisser indifférent.

Ce défaut d’Apollo 10 ½ est aussi peut-être, paradoxalement, sa qualité essentielle : montrer que l’enfant est dépendant de son milieu, existe en relation avec lui, au travers des personnes, des objets, des images et des récits de son environnement. Mais le défaut essentiel du film demeure : il est difficile de s’identifier à Stanley enfant, hormis par la voix de lui-même adulte (Jack Black). Peut-être n’est-il qu’un reflet du spectateur, ou sa projection.

Qui est vraiment Stan dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater ? © Netflix
Qui est vraiment Stan dans Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater ? © Netflix

Que reste-t-il de nos enfances ?

Si nous avons trouvé la chronique des sixties du film touchante, intéressante, mais aussi un peu ennuyeuse, tandis que l’histoire de la mission de Stanley est trop dénuée de dramaturgie pour emporter l’adhésion, c’est l’acheminement du film vers sa conclusion qui nous a le plus convaincu. La mission de Stanley n’a d’intérêt que lorsqu’elle se trouve confrontée, au cours d’un très beau montage alterné, à la réalité de la perception de l’évènement des premiers pas sur la Lune par l’enfant et sa famille. Nous ne dévoilerons rien de plus dans cette critique, car il s’agit de la plus grande réussite d’Apollo 10 ½, mais ce dernier mouvement vaut à lui seul de voir le film, en plus des belles choses qui précèdent. En fait, on comprend mieux alors pourquoi Richard Linklater s’est tant attardé sur l’accumulation d’anecdotes et de détails de la vie en 1969 à Houston, Texas, parce qu’elle lui permet de confronter cette hyper-mémoire du narrateur (qui semble se souvenir de tout) avec le souvenir réel que l’enfant gardera de cette année, fragmentaire, lacunaire, recomposé.

Les premiers pas de l'homme sur la Lune, dans Apollo 10 1⁄2. Mais par qui ? © Netflix
Les premiers pas de l’homme sur la Lune, dans Apollo 10 1⁄2. Mais par qui ? © Netflix

Apollo 10 ½ peut ainsi toucher le public, malgré tout ce qu’il a de frustrant. On peut apprécier au contraire ces frustrations comme des gages de l’authenticité de la démarche du cinéaste, comme si user de dramaturgie était forcément insultant (juste digne des faiseurs hollywoodiens), ou insister sur le fait que lorsque cela lui semble nécessaire, comme dans les dernières séquences du film, Richard Linklater n’hésite pas à adopter un autre langage que celui de chroniqueur. Apollo 10 ½ mérite d’être vu pour sa description d’une époque et la réflexion sur l’évolution de la société américaine depuis, ainsi que pour son évocation de l’enfance, même s’il décevra les aficionados de la conquête de l’espace attendant plus qu’une recréation nostalgique de la mission Apollo 11. Le film parvient toutefois pleinement à nous plonger dans la vie d’une famille de cette époque et, à travers elle, de sa perception des événements de l’année 1969 et de l’avenir. Intéressera-t-il un public jeune ? “Je crois que les jeunes l’aiment bien” déclare Richard Linklater au Houston Chronicle, avant d’ajouter :

“Les gens sont naturellement curieux de connaître la vie d’avant. Je le vois avec mes propres enfants. J’ai deux adolescents de 17 ans, des lycéens, et ils sont vraiment intéressés. Ils adorent les années 80. Ils en aiment la musique. Ils aiment sa culture. Ils aiment les années 90. Ils veulent explorer. Certainement, c’est ce que j’ai fait. J’ai aimé des époques dans lesquelles je ne vivais pas.”

Stanley s'apprête à décoller de la Lune à la fin d'Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix
Stanley s’apprête à décoller de la Lune à la fin d’Apollo 10 1⁄2 de Richard Linklater © Netflix

Apollo 10 ½, ou le cinéma anti-dépresseur

Ce qui peut être un repliement dans un passé nostalgique peut aussi permettre de comprendre mieux notre présent. C’est cette ouverture vers un récit de notre propre monde que permet Apollo 10 ½, pour faire son propre film d’un rêve industriel et capitaliste de consommation et de soumission de l’environnement virant de plus en plus au cauchemar. Sa vigueur enfantine et adolescente est, sans aucun doute, un antidote à la dépression de notre temps, partagé entre l’attente d’un retour des humains sur la Lune, ou de la réalisation du vieux rêve martien, et la nécessité de trouver d’enrayer durablement la destruction de notre environnement planétaire. L’histoire de Richard Linklater se conclue par le rappel que nul n’a remis le pied sur la Lune depuis 1972, mais de son visionnage il est aussi possible de ressortir en songeant à comment faire rêver (les enfants et les adultes) de rendre notre monde meilleur. Dans cinquante ans, quel film de nos années 2020 ferons-nous ?…

 

Article écrit par

Jérémy Zucchi est auteur et réalisateur. Il publie des articles et essais (voir sur son site web), sur le cinéma et les arts visuels. Il s'intéresse aux représentations, ainsi qu'à la science-fiction, en particulier aux œuvres de Philip K. Dick et à leur influence au cinéma. Il a participé à des tables rondes à Rennes et Caen, à une journée d’étude sur le son à l’ENS Louis Lumière (Paris), à un séminaire Addiction et créativité à l’hôpital Tarnier (Paris) et fait des conférences (théâtre de Vénissieux). Il a contribué à Psychiatrie et Neurosciences (revue) et à Décentrement et images de la culture (dir. Sylvie Camet, L’Harmattan). Contact : jeremy.zucchi [@] culturellementvotre.fr

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