Anthony Denon : le nouveau chef talentueux du Baudelaire
Par une belle journée ensoleillée du mois de juillet, nous avons rendez-vous à midi pour découvrir le menu de dégustation du restaurant Le Baudelaire de l’Hôtel Burgundy par le nouveau chef Anthony Denon, qui a pris ses quartiers en avril et succède à Pierre Rigothier et Guillaume Goupil.
Fils du chef du Bouillon Chartier, Anthony Denon a passé ces dernières années à L’Auberge du Jeu de Paume à Chantilly et a auparavant fait ses armes dans des établissements de renom comme l’Hôtel de Crillon sous la houlette de Jean-François Piège. Aimant travailler plus que tout le végétal sur le mode du zéro déchet, il construit toujours sa carte à partir de celui-ci avant de sélectionner la protéine, de manière à ce que celle-ci ne prenne pas le dessus sur les légumes, mais que l’un révèle les seconds et inversement. Toutes les parties du légume sont utilisées, y compris dans les bouillons, les sauces, d’où les déclinaisons autour de la betterave, du céleri ou encore de l’artichaut dans le menu dégustation en 5 temps que nous avons testé.
Un cadre agréable et intimiste
Avant d’en venir au repas, il nous faut parler un moment du cadre. Le Baudelaire s’étend au rez-de-chaussée de l’hôtel spa Le Burgundy, dans le 1er arrondissement parisien, en plein cœur du quartier de la Madeleine, près de la rue Saint-Honoré. L’hôtel a ouvert ses portes en 1850 et a su évoluer avec son temps, au fil de ses propriétaires successifs. Aujourd’hui, il apparaît particulièrement moderne et son restaurant est le reflet de ce dynamisme.
Après avoir traversé une jolie verrière où est servi le tea time, nous pénétrons dans une grande salle à la décoration et au mobilier à la fois épurés et contemporains, avec de belles chaises jaunes. Ce midi, la salle est ouverte sur le patio, une cour carrée où se trouvent plusieurs tables espacées aux quatre coins pour offrir de l’intimité. C’est là que nous décidons de prendre place.
Le personnel est prévenant et le standing des lieux se voit ne serait-ce que par le choix d’eaux pétillantes disponibles (3, dont une originaire de Corse). La carte du Baudelaire offre 3 options au choix : Le Rendez-vous primeur (entrée-plat ou plat-dessert à 64 ou 68 €), Le Menu Baudelaire (entrée-plat-dessert à 105 € par personne) ou le Menu Dégustation (entrée, 2 plats, fromages et dessert, 160 € par personne hors boissons). Tandis que le Rendez-vous primeur possède une entrée, un plat et un dessert uniques, les mets proposés au sein des menus Baudelaire et dégustations sont plus variés et la carte, à l’exception des fromages, est la même – seul le nombre d’assiettes change.
Mises en bouches : déclinaisons autour de la betterave
Le menu dégustation s’ouvre par trois mises en bouches servies avec l’apéritif, qui sont comme autant de déclinaisons autour de la betterave. Pour la première mise en bouche, le chef a ainsi travaillé de la peau de betterave, servie avec un condiment aux algues et parsemée d’oxalys, sur un lit de graines de courgettes. Dès cette première bouchée, l’originalité est de mise. Le condiment est frais et juteux et le goût de la betterave équilibré. L’algue apporte un goût légèrement vinaigré-citronné qui se marie bien à l’ensemble. Le craquant de la peau de betterave nous a en revanche divisés : on peut le trouver agréable et penser que cela crée un contraste intéressant avec la texture crème fondante du condiment… ou bien être un peu gêné par cette texture légèrement « papier mâché » justement, qui a tendance à rester en fin de bouche.
La seconde mise en bouche (jus de betterave, limonade, gingembre-citron), servie dans une petite verrine, étonne par son mélange particulièrement frais et par la présence de la limonade, qui continue de pétiller en fin de bouche, ce qui crée une sensation surprenante et assez originale qui s’harmonise bien avec le reste des saveurs. Le jus est fin, léger, acidulé et équilibré. Il possède une très légère amertume..
Enfin, la dernière mise en bouche est très joliment servie dans un petit bol et se révèle triple. A l’intérieur du bol, nous avons une tuile de tapioca soufflée avec de la betterave en brunoise parsemée de raifort râpé. En travers du bol, sur deux cuillères, nous avons enfin un morceau de betterave en pâte de fruit pétillante et une bouchée de betterave cuite croustillante, en ketchup et en meringue à l’italienne bicolore orange et rose. Là encore, le résultat est aussi étonnant que plaisant. La tuile est croquante et légère, particulièrement agréable en bouche.
L’assaisonnement au raifort de la betterave en brunoise relève quant à elle la saveur acidulée de la betterave. En ce qui concerne la betterave en pâte de fruit, sa texture lisse est proche de la pâte de haricot rouge, mais en plus acidulé et « pétillant », pour une vraie touche gourmande où la saveur de la betterave est là encore très équilibrée. Enfin, pour la dernière bouchée, la chips de betterave est croustillante et salée juste ce qu’il faut. La texture fondante de la meringue est très agréable en bouche et le ketchup acidulé de manière mesurée. Cette mise en bouche, avec son jeu de saveurs et de textures déclinant la betterave dans toute sa subtilité, est très convaincante.
Ces mises en bouche nous sont servies accompagnées d’un champagne brut rosé Prestige des Sacres (30% Chardonnay, 30% Pinot Noir, 40% Pinot Meunier) léger et fruité, très agréable pour un repas estival.
Des entrées maîtrisées autour du canard et de l’artichaut
On attaque ensuite les choses sérieuses avec les entrées : nous optons pour l’entrée Le Potager (Fleur d’artichaut à la romaine, vin jaune, anguille) et La Ferme (Maïs fumé, foie gras, tamarin). Celles-ci nous sont servies accompagnées de beurre doux et beurre aux algues citronné et de différents types de pains dont pain comté et lard et pain boule.
Avec sa présentation florale, Le Potager séduit les yeux avant de charmer les papilles. L’entrée décline l’artichaut (velouté de cœur d’artichaut et chips d’artichaut) et est accompagnée d’une crème de vin jaune versée sur le dessus et d’anguille confite coupée en brunoise. La texture du velouté d’artichaut et de la crème de vin jaune, qui enrobe bien l’anguille, est particulièrement crémeuse et épaisse. Le poisson est quant à lui délicieusement fondant et son goût très subtil. L’association artichaut-vin jaune est particulièrement bien trouvée, les deux saveurs s’enrichissant mutuellement. Le vin jaune, par sa touche finement acidulée, relève la légère amertume de l’artichaut. Là aussi, on relève un jeu de textures avec les chips d’artichaut, qui forment presque des pétales sur le dessus de l’entrée… Une dimension fleurie redoublée par les jolies fleurs comestibles roses délicatement posées sur l’assiette. Le goût du vin est présent et reconnaissable, tout en restant équilibré – il disparaît et revient en bouche.
La Ferme se déguste quant à elle en trois temps. Nous avons d’un côté une raviole de canard dans un bouillon de canard épicé, une tartelette au magret de canard & pickles de maïs et enfin du foie gras confit servi avec de la pâte de tamarin et le maïs en déclinaison avec tuile sur le dessus.
La tartelette craquante au maïs et magret de canard donne une impression de dégustation du terroir. L’association canard (au goût fumé)-maïs apporte un esprit « ferme » et fait un peu penser à la cuisine du Sud des Etats-Unis. La tartelette possède une texture de feuillantine-gâteau fort agréable. La raviole de canard est goûtue et servie avec un très bon bouillon légèrement épicé, qui relève le goût du canard de manière subtile. Un met simple et chaleureux.
Enfin, le foie gras confit est la vraie surprise de cette entrée : la pâte de tamarin lui apporte une acidité étonnante, tandis que la texture crémeuse du foie gras fond en bouche. Cette association permet de redécouvrir ce produit-phare de la gastronomie française sous un autre jour. Le goût du foie gras en lui-même se révèle davantage en fin de bouche. Sa texture crémeuse permet d’adoucir l’ensemble et d’équilibrer les saveurs. On constate ainsi une vraie évolution au palais.
Des plats travaillés entre Terre et Mer
Viennent ensuite les plats, accompagnés d’un verre de pinot noir Nuits Saint Georges 1er Cru, Clos des Forêts Saint-Georges 2017 du Domaine de l’Arlo. Un vin équilibré, de caractère, fruité au nez comme au palais, avec une légère pointe d’acidité, aux tanins présents sans être trop prononcés.
Pour le premier plat, nous choisissons l’assiette La mer : du Saint-Pierre poché dans un bouillon de céleri, accompagné de sa vinaigrette céleri-caviar, de céleri en crème et de tagliatelles de céleri. En accompagnement à part dans un petit bol en fonte, un bouillon de céleri et flocons de bonite séchée avec brunoise de céleri.
Commençons tout d’abord par dire que le poisson poché, à la fois ferme et moelleux, est préparé de manière exceptionnelle. Il est assaisonné d’une vinaigrette joliment orangée au sein de laquelle le caviar a été parsemé, ce qui apporte une texture intéressante (presque comme une petite gelée) et permet de relever et encore mieux mettre en valeur le Saint-Pierre. La petite crème de céleri, très agréable au palais, s’apparente à une fine purée et fait ressortir, par son assaisonnement particulièrement réussi et sa préparation, la saveur doucement acidulée du légume.
En revanche, le nid de tagliatelles de céleri sur le côté de l’assiette constitue notre première réserve : il crée un contraste un peu trop acide avec le reste, même si la volonté pour ce plat était manifestement d’utiliser toutes les parties du céleri, que l’on retrouve aussi dans le bouillon servi à part. Sauf que l’acidité prend le dessus sur le goût subtil du reste de l’assiette (et notamment sur le poisson) si on met un peu de tout en bouche.
Enfin, le bouillon est bon et étonnamment équilibré pour un bouillon de céleri servi avec une brunoise de céleri (la partie verte). La présence de la bonite séchée apporte une petite touche asiatique assez agréable, un petit goût fumé et crée un contraste dans la texture avec le croquant du céleri cru. Cet accompagnement joue à la fois sur la douceur et une pointe d’amertume.
Pour continuer sur les produits de la mer, on nous apporte ensuite l’assiette Les crustacés : une émulsion de crustacés, avec araignée de mer et tourteau émiettés et une crème de crustacés avec zeste de citron noir. En accompagnement à part : une jolie gelée de crustacés orangée au fenouil croquant et caviar.
L’émulsion est bonne, mais comme elle est froide, cela donne une certaine lourdeur avec les crustacés – surtout si l’on considère le fait qu’il s’agit du deuxième plat et qu’on n’en est plus aux entrées. Revenir à du froid après du chaud et pas à du tiède, par exemple, n’est pas le mieux. Le goût du tourteau ressort davantage, tandis que l’araignée complète la bouchée. L’accompagnement, servi à part, est à ne pas mélanger avec l’assiette principale lors de la mise en bouche sous peine que cela prenne le dessus – ce qui fait sens puisqu’il s’agit d’une gelée de crustacés. Cet accompagnement est cependant très appréciable dégusté à part : assez acide en raison de la présence du fenouil croquant, homogène et agréable, il constitue un ensemble délicat au sein duquel les différentes saveurs se marient bien.
Vient enfin l’assiette Le Bovin : cœur de filet de bœuf mariné aux épices douces, jus court de bœuf à la mélasse, millefeuille aubergine-comté, crémeux d’aubergine condiment aux épices douces. En accompagnement à part : bœuf fumé avec espuma d’aubergine, quinoa rouge grillé et bœuf séché sur le dessus.
Il s’agit sans doute là de notre plat préféré. Le jus de bœuf à la mélasse se marie très bien avec la viande : le goût est très dense, mais possède une certaine douceur et une pointe d’acidité. Le bœuf est à la fois ferme et fondant en bouche, délicatement rosé à l’intérieur. Tout simplement excellent et préparé à la perfection, il apporte un vrai plaisir gustatif. Le petit coulis « millefeuille » à l’aubergine-comté est fin, avec une petite touche acidulée des plus plaisantes qui contraste avec le jus bœuf-mélasse. L’accompagnement à part, quant à lui, se situe entre une douceur aérienne et le croquant apporté par le quinoa délicatement grillé, dont la saveur s’accommode à merveille avec le bœuf séché.
Fromages et desserts : la belle touche finale d’un repas enthousiasmant
Après ces trois assiettes aussi goûtues que copieuses, on passe à l’assiette de fromages : une sélection de trois fromages des Frères Marchand. Le Saint-Nectaire, moelleux à souhait, est excellent et obtient notre préférence, tandis que le comté s’apprécie particulièrement avec le condiment miel-noix de macadamia servi à part. Enfin, le fromage de chèvre Sainte Maure de Touraine avec sa pâte cendrée est délicieusement crémeux. Cette jolie sélection est accompagnée d’un bol de mesclun en salade parsemé de fleurs comestibles et de son terreau végétal : une crème végétale à base de mesclun, très fraîche et crémeuse, douce avec juste une pointe d’acidité et de petits croûtons noirs.
Enfin, les desserts du chef pâtissier Pierre Jean Quinonero apportent la touche finale parfaite à ce beau menu de dégustation. Nous choisissons La Fraîcheur (framboise, jasmin, faisselle de chèvre) et L’Audace (chocolat du Pérou 65%, piment chipotle et huile d’olive noire).
La Fraîcheur est un joli vacherin aux framboises avec une meringue fine et délicate, garni de faisselle de chèvre, d’une glace framboise-jasmin et de gel de jasmin (à l’intérieur des framboises), arrosé de sauce balsamique vieilli et framboise. Une flûte de thé au jasmin frais est servie à côté pour renouveler le palais.
Ce dessert est léger, équilibré et délicatement fruité. Différents niveaux de goûts se succèdent en bouche entre la framboise, le sorbet framboise-jasmin, la faisselle et la meringue sans que l’un prenne le dessus sur l’autre. Le thé au jasmin fleuri, frais et délicatement infusé (aucune amertume), constitue un bel accompagnement.
Enfin, L’audace se compose d’un crémeux et d’un sorbet au chocolat du Pérou 65% servis sur un sablé au grué de cacao et accompagnés de gavottes au cacao parsemées de flocons de piment chipotle, avec une sauce au chocolat à l’huile d’olive noire.
Il s’agit là d’une très belle surprise. Le sorbet est très fin et d’une belle légèreté, même avec un chocolat à 65%. Le crémeux est doux et possède un goût dense sans jamais être écœurant, même à la fin d’un repas nourrissant. Les gavottes, aussi fines que jolies, apportent quant à elles une touche de croquant, tandis que le piment chipotle agit comme un révélateur du chocolat. Le coulis, très fin, permet de percevoir le trait d’huile d’olive noire qui sublime le tout. Le sablé ajoute une texture plus sèche à cet ensemble de douceur et de légèreté et complète ce joli tableau culinaire, à la présentation remarquable.
Après ce beau repas, au moment du café (en dehors du menu, donc), des bouchées sucrées nous sont apportées. Il s’agit ici de déclinaisons de certaines de celles découvertes lors du tea time de l’hôtel : des tartelettes fraise-verveine (à la gelée délicatement fruitée) et des bouchées caramélisées façon Paris-Brest à la noix de pécan – concassée sur le dessus, et en crème fondante et légère à l’intérieur.
Au final, ce menu dégustation en 5 temps nous a convaincus et agréablement surpris par son inventivité et la qualité de sa préparation, où chaque ingrédient est joliment mis en valeur au sein de véritables tableaux culinaires. Malgré les petites réserves émises sur deux des assiettes, il s’agit là d’une proposition intéressante et enthousiasmante, qui permet même de redécouvrir certains légumes sous un jour nouveau et inattendu grâce aux déclinaisons proposées par Anthony Denon. Les desserts sont à l’avenant et séduisent véritablement. Enfin, on louera la beauté de la vaisselle et des différentes présentations, très originales d’un bout à l’autre. On notera cependant que le tarif (160 € par personne, hors boissons) reste assez élevé pour un menu de ce type malgré sa qualité.