Caractéristiques
- Titre : Bones and All
- Réalisateur(s) : Luca Guadagnino
- Scénariste(s) : David Kajganich d'après le roman de Camille DeAngelis
- Avec : Taylor Russell, Timothée Chalamet, Mark Rylance, Kendle Coffey...
- Distributeur : Warner Bros France
- Genre : Horreur, Fantastique, Drame
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 2h10
- Date de sortie : 23 novembre 2022
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- Note du critique : 4/10 par 1 critique
Une histoire de cannibales mal ficelée
Huitième long-métrage de fiction du réalisateur italien Luca Guadagnino (A Bigger Splash, Call Me By Your Name…) et adaptation d’un roman culte aux Etats-Unis, Bones And All est un film initiatique fantastique mettant en scène deux jeunes cannibales en rupture familiale qui se rencontrent dans l’Amérique de Reagan. Errant avec des marginaux au problème similaire, ils tentent de vaincre leurs démons. Toute la question étant de savoir s’ils pourront le faire ensemble…
Drôle de film que ce Bones And All, dont le début, dans lequel nous découvrons la particularité de l’héroïne, Maren (Taylor Russell, découverte dans le très mauvais Escape Room), n’est pas sans rappeler le Grave de Julia Ducournau. Malheureusement, contrairement au film de la réalisatrice française, le film qui nous intéresse ici véhicule fort peu de trouble et se révèle bien trop bavard, se perdant dans les atermoiements et questionnements sans fin de ses protagonistes. Il y avait un certain potentiel dans le concept sur le papier (le cannibalisme et sa transmission héréditaire comme une métaphore de la pauvreté et de la « dégénérescence » qu’elle entraîne à l’ère du capitalisme à tout crin), mais celui-ci n’est jamais véritablement exploité, la faute à une écriture paresseuse et particulièrement lâche, qui fait que l’intrigue n’est jamais réellement transcendée.
Davantage de rigueur et de structure aurait été nécessaire pour donner de la puissance à ce récit et nous émouvoir tout en nous faisant frissonner. Malgré la violence de certaines scènes, le film ne fait jamais réellement peur (sauf, peut-être, vers la fin) et le seul personnage de cannibale véritablement charismatique et inquiétant (le vieux vagabond Sully incarné par Mark Rylance, impressionnant) ne suffit pas à relever le niveau à lui seul d’un métrage qui tire clairement en longueur et manque souvent de subtilité.
Questionnement philosophique mollasson et défauts d’écriture
Les héros sont-ils condamnés, par leur condition, à se repaître de la chair d’autrui ou à être exclus de la société et éloignés du commun des mortels à l’image de la mère de Maren (Chloë Sevigny), qui s’est elle-même fait interner en hôpital psychiatrique pour ne faire de mal à personne ? Perpétuer le comportement ou les fautes des parents est-il inévitable ou bien s’agit-il d’un conditionnement, voire d’un choix, à l’image du vieux vagabond solitaire Sully, qui a mis en place tout un système proche de celui d’un serial killer pour se nourrir sans se poser de questions morales ? Ce questionnement n’est pas raconté ni mis en scène de manière passionnante bien que le film coche toutes les cases du film indé, et la caractérisation des personnages n’aide pas.
Si Taylor Russell est plutôt bonne actrice, la relative apathie de son personnage pendant les deux premiers actes n’aide pas vraiment et elle arbore souvent les mêmes expressions – la faute, de toute évidence, à la direction d’acteurs du réalisateur, puisqu’elle arbore une palette de jeu bien plus riche lors du dernier acte, où elle se montre assez impressionnante, permettant d’emporter (tardivement) l’adhésion. Timothée Chalamet, quant à lui, est certes plus torturé que le Edward de Twilight auquel on ne peut s’empêcher de penser mais, là encore, son personnage de jeune cannibale manque de charisme et n’apparaît pas assez magnétique pour vraiment emballer, même si son secret le rend au final plutôt touchant et que l’on ne saurait remettre en question l’implication de l’acteur, qui a également participé à la production. Le duo a beau plutôt bien fonctionner à l’écran, leur histoire peine à passionner en raison des défauts d’écriture du scénario de David Kajganich, ce qui fait que l’on s’ennuie gentiment pendant une partie non négligeable du métrage.
Un thème fantastique qui ne sert que de simple prétexte
En définitive, il est déconcertant que la question du cannibalisme, qui a donné lieu à plusieurs films marquants, soit ici « balancée » sans façon dès les 5 premières minutes, désamorçant ainsi tout impact et tout suspense. Même si la métaphore que ce thème sert à appuyer est au final perceptible, la platitude globale du traitement rend la chose peu palpitante, d’autant plus, que, visuellement, le film est trop peu inventif et pas assez évocateur, à quelques exceptions près là encore. D’un point de vue horrifique par exemple, les scènes avec le personnage de Sully sont clairement les plus convaincantes et apportent à la fois angoisse et étrangeté. Côté road movie, on pourra toujours se consoler avec les beaux plans des paysages américains (notamment le plan final), mais sur 2h10, cela fait assez peu à se mettre sous la dent.
On se retrouve ainsi en présence d’un film dont on peine souvent à voir où il veut véritablement aller et qui manque ironiquement de chair alors que le récit appelait un traitement plus viscéral… sans mauvais jeu de mots. Cette dimension plus charnelle, si l’on excepte une scène de nourrissage au bord d’une route, il faudra attendre les dernières minutes et le dénouement du récit pour l’obtenir, ce qui est quand même sacrément dommage !
Entre film fantastique, chronique sociale des laissés pour compte de l’Amérique, road movie et film initiatique, Bones and All a du mal à trouver du liant et à tendance à se disperser malgré quelques bonnes idées. Une occasion manquée !