Caractéristiques
- Titre : Les Chambre Rouges
- Réalisateur(s) : Pascal Plante
- Scénariste(s) : Pascal Plante
- Avec : Juliette Gariepy, Laurie Fortin-Babin, Elisabeth Locas, Maxwell McCabe-Lokos...
- Distributeur : ESC Films
- Genre : Thriller
- Pays : Canada
- Durée : 118 minutes
- Date de sortie : 17 janvier 2024
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- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Un thriller judiciaire tendu et angoissant
Les Chambres Rouges est le troisième long-métrage du réalisateur montréalais Pascal Plante, dont le précédent film Nadia, Butterfly, avait été retenu en sélection officielle de la 73ème édition du Festival de Cannes en 2020. Dans ce nouveau film, on suit une jeune femme, Kelly-Anne (Juliette Gariépy), qui se rend chaque matin au Palais de Justice pour assister au procès hypermédiatisé d’un tueur en série. Son obsession pour lui la conduira dans les recoins les plus sordides du Dark Web; où les vidéos de meurtres se vendent aux enchères…
Les Chambres rouges est un film coup de poing, inclassable, aussi déstabilisant que fascinant. Le réalisateur plante le décor dans un tribunal, laissant croire que son action s’y déroulera en intégralité. Il expose les règles du procès, présente les différents personnages à grand renfort de travellings et d’un plan séquence introductif brillant, avec un style quasi documentaire et une image très épurée. Mais plus le film avance, plus l’esthétique évolue, surprend, et ne va pas là où on l’attend, avec une mise en scène de plus en plus anxiogène et malsaine.
Un véritable crescendo de tension s’installe, passant du temps réel de l’audience, très immersif, à un rythme plus soutenu, grâce au montage nerveux de Jonah Malak. La musique devient plus présente, les images plus marquantes, et le spectateur ressort du film étourdi, frappé par son énorme impact émotionnel et visuel.
Une réflexion brillante sur la violence
Avec son long-métrage, Pascal Plante dit vouloir s’interroger sur la fascination collective envers les meurtriers et la violence en général. Les films et séries de « serial killers » se vendent à la pelle et chaque procès médiatisé voit s’agglutiner une horde de « groupies » dans les salles d’audience. Les Chambres rouges se pose alors en anti-film de tueur en série pour interroger cet attrait pour le morbide et la glamourisation de ces crimes odieux par les médias. Le réalisateur joue avec le pouvoir évocateur de sa caméra, et choisit tantôt de suggérer, tantôt de montrer, confrontant le spectateur à la brutalité d’un son et au choc d’une image.
Très actuel, le film aborde les thématiques de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle – avec l’IA de Kelly-Anne, Guenièvre, qui apporte une touche de légèreté et d’humour – et des fameuses « red rooms » ayant donné leur nom au long-métrage, ces diffusions en direct de scènes de torture, de meurtre ou de viol sur internet.
Toujours dans l’optique de disséquer cette société hypermédiatisée, Pascal Plante donne aux écrans une place fondamentale dans son film. Ils font partie intégrante de l’histoire et sont souvent filmés en gros plans, qu’il s’agisse d’extraits de journaux télévisés ou de réactions écrites sur des forums en ligne. Cette mise en abyme de l’image est accompagnée d’un travail des cadres très soigné, qui isole ou confronte les personnages, comme cet accusé dans une cage transparente, au centre du tribunal et de tous les regards.
Une mise en scène étudiée et signifiante
Les Chambres Rouges bénéficie d’une mise en scène inventive et originale, qui travaille ses plans et ses transitions, et épouse le point de vue de Kelly-Anne, dont l’état psychologique se dégrade au fil du film. En adoptant sa subjectivité, le langage cinématographique évolue et se complexifie : l’esthétique colle au départ au côté cartésien de la protagoniste, avec des plans statiques et des zooms très précis, puis elle s’assouplit à mesure que Kelly-Anne se détend en se liant à sa nouvelle amie Clémentine (Laurie Babin). Les images deviennent plus spontanées, avec notamment plus de caméra à l’épaule. Enfin, lorsque la paranoïa du personnage s’intensifie, la réalisation devient plus nerveuse et déroutante, par instants totalement oppressante.
Le casting est brillant, avec un personnage principal magnétique incarné par Juliette Gariépy. Kelly-Anne est une protagoniste complexe sur laquelle on ne sait que peu de choses : elle est mannequin, dopée au sport et gagne beaucoup d’argent grâce au poker en ligne. Rien n’est révélé sur son passé ni ses motivations. Elle laisse alors le spectateur à distance, empêchant toute tentative d’identification, et crée un parallèle pertinent entre l’attraction qu’elle éprouve pour le tueur en série et celle que le public ressent pour elle. Avec sa beauté et sa froideur énigmatique, elle fascine autant qu’elle repousse. Impressionnante, elle peut également devenir effrayante, lors notamment de shootings photo épileptiques mémorables. Son acolyte Clémentine amène quant à elle une grande fraicheur et spontanéité, sorte de pendant naïf de Kelly-Anne.
Jouant de zooms et de travellings, la caméra devient le regard de la protagoniste et suit les principaux acteurs de la salle d’audience avec une froideur et une précision effrayante. A d’autres moments, elle vagabonde et joue sur le flou pour orienter le spectateur. Enfin, lorsque la caméra finit par se détacher de Kelly-Anne, permettant à cette dernière de nous fixer directement, nous interdisant de détourner les yeux, le réalisateur signe son coup de maitre et un moment à la fois glaçant et inoubliable.
Les Chambres Rouges est donc un film intense, inventif et fascinant, mettant en scène un personnage complexe et énigmatique. Un long-métrage dont on ressort transformé et dérouté, mais également ébloui par la réalisation radicale et très personnelle de Pascal Plante. Un réalisateur et une actrice principale à suivre, assurément !
Thriller psychologique anxiogène où presque toute la tension découle de l’attitude de son personnage principal féminin, en apparence impassible et indéchiffrable, Les chambres rouges sonde les raisons de la fascination exercée par les serial killers et les faits divers d’une manière qui, si elle est détournée, n’en est pas moins passionnante. De même que les personnes fascinées par les tueurs en série (soit par empathie, soit par intérêt morbide) projettent sur eux certaines choses d’elles-mêmes pour tenter de comprendre leur comportement (ou le nier en bloc, comme Clémentine, qui croit longuement à une erreur et à un acharnement judiciaire et médiatique), le spectateur tentera ainsi de comprendre le comportement de la très souvent froide et mutique Kelly-Ann en tentant d’interpréter son comportement, en lui attribuant des intentions. Qu’est-ce qui pousse cette belle et talentueuse jeune femme à se rendre chaque matin au procès de l’accusé et à se focaliser sur l’affaire, ses détails sordides et tout ce qui concerne la dernière victime ? Enquête-t-elle en mode profileuse solitaire pour connaître la vérité et éventuellement aider à établir la culpabilité ou l’innocence de l’accusé ? Pour sa jouissance personnelle ? Par traumatisme ? Ou un peu de tout ça à la fois ?
Dense et souvent dérangeant (l’interdiction aux moins de 12 ans nous a paru un peu légère), le film de Pascal Plante permet au spectateur de s’interroger également sur lui-même et son propre rapport aux images (puisqu’il est question de vidéos de meurtres dont l’accès est monnayé sur le dark web dans le film), la distance que celle-ci induit par rapport à la réalité, mais aussi sur nos propres mécanismes de projection et d’interprétation. Un phénomène de vases communicants s’établit entre le tueur et Kelly-Ann, de sorte qu’on ne sait plus toujours bien qui est la proie et qui est le prédateur.
La mise en scène du réalisateur québécois est par ailleurs épurée et élégante, jamais complaisante avec les crimes décrits, que nous ne voyons jamais à l’écran, et juste et pudique en ce qui concerne la représentation de la souffrance des familles des victimes, éprouvées par un procès au long cours médiatisé de manière voyeuriste par les médias. On saluera également une utilisation discrète et puissante de la musique. La tension et la puissance d’évocation de l’ensemble sont renforcées par le recours (dans l’écriture comme à l’image) aux symboles liés au numérique et au hacking, mais aussi au cinéma fantastique et à l’imagerie arthurienne (Guenièvre, La Dame de Shalott…) et par le jeu de ses deux comédiennes, aux personnages à priori opposés, mais en réalité complémentaires.