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Roqya : Chasse aux sorcières à l’ère du numérique

Caractéristiques

  • Titre : Roqya
  • Réalisateur(s) : Saïd Belktibia
  • Scénariste(s) : Saïd Belktibia, Louis Pénicaut
  • Avec : Golshifteh Farahani, Jérémy Ferrari, Denis Lavant, Amine Zariouhi et Isma Kébé.
  • Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
  • Genre : Action, Thriller
  • Pays : France
  • Durée : 97 minutes
  • Date de sortie : 15 mai 2024
  • Note du critique : 7/10

Après deux courts-métrages, Ghettotube en 2015, sélectionné au Festival du film de Tribeca et Le Casse du siècle diffusé sur Canal +, le réalisateur et scénariste Saïd Belktibia réalise, avec Roqya, son premier long-métrage.

Occultisme et nouvelles sorcières

Passionné de cinéma de genre, il met en scène Nour (Golshifteh Farahani), qui vit principalement de contrebande d’animaux exotiques et décide de créer une application destinée à trouver facilement un guérisseur, une sorte de Doctolib de marabouts. Lorsqu’une consultation dérape, Nour est accusée de sorcellerie et pourchassée par les habitants de son quartier. La traque commence…

Avec ce point de départ haletant, Roqya aborde le business de l’ésotérisme, l’un des marchés les plus lucratifs du monde et pourtant peu traité au cinéma. Le réalisateur dresse un portrait critique d’une société fragilisée où les superstitions et la violence gagnent du terrain, favorisées par la perte de confiance envers l’institution et les services publics. Il dresse un portrait peu reluisant des charlatans qui exploitent sans vergogne la misère humaine, et des représentants pervertis de la religion.

En parallèle, Saïd Belktibia construit avec Nour un personnage nuancé : une femme moderne qui élève seule son fils, tiraillée entre la morale et le sens des affaires. Dans un monde dominé par les hommes, Nour inquiète par son indépendance et constitue une cible parfaite dans cette chasse aux sorcières des temps modernes. Le film présente à la fois une course-poursuite et le chemin vers la rédemption de cette femme qui exploitait la crédulité des autres avant de se retrouver prise à son propre piège.

image Golshifteh Farahani roqya
Copyright ICONO CLAST – LYLY FILMS – FRANCE 2 CINEMA – 2024

Un film sous tension…

Dès sa séquence d’introduction au format carré, faisant se succéder images d’archives en noir et blanc et plans plus contemporains au format vertical, le film annonce qu’il sera versatile, ambitieux et dynamique. L’ère du numérique conduit à une accélération effrénée de l’information, et tout le monde y va de sa dénonciation calomnieuse par le biais des réseaux sociaux. Construit sur un crescendo sans cesse renouvelé, Roqya bénéficie d’un excellent sens du rythme et devient un thriller aux multiples rebondissements, qui ne laisse pas le moindre répit à ses personnages.

Très généreux dans sa mise en scène, le film propose un véritable divertissement, avec de beaux plans urbains, une caméra très mobile et des cadres originaux. Le travail sur les couleurs, notamment lors des scènes d’exorcisme, est très réussi, et Saïd Belktibia n’a pas épargné ses acteurs, leur donnant une partition très physique, avec de nombreuses scènes de nuit et d’extérieur.

Comme dans Ghettotube (2015), le réalisateur continue d’explorer le thème de la violence exacerbée par les réseaux sociaux. Nour se retrouve aux prises avec des haters qui exploitent la crédulité et l’ignorance des masses pour la dévaloriser et la maltraiter. Le film n’hésite pas à montrer de manière très frontale la brutalité de ces personnages, et à l’opposer à l’indifférence – parfois tout aussi cruelle – des autres.

image jeremy ferrari roya
Copyright ICONO CLAST – LYLY FILMS – FRANCE 2 CINEMA – 2024

… qui met notre suspension d’incrédulité à rude épreuve

Malgré la volonté du réalisateur de se rapprocher le plus possible de la réalité – les centres de roqya présentés dans le film existent réellement en France – les rebondissements du scénario sont souvent poussifs, à la limite du rocambolesque. L’intrigue est sans cesse renouvelée, certes, mais cette accélération constante manque souvent de crédibilité et comporte de nombreuses incohérences.

Par ailleurs, si le traitement de l’hystérie collective et de la désinformation sont passionnants, tout comme la réflexion sur la sorcellerie moderne, le film s’égare parfois dans un propos trop caricatural, au risque de perdre l’intérêt du spectateur. A trop vouloir en dire, Saïd Belktibia devient outrancier et néglige la nuance dont il savait pourtant faire preuve dans les passages les plus réussis de son long-métrage.

Cette intensité, parfois excessive donc, fait cependant aussi la force de Roqya, notamment dans son casting. Les acteurs – souvent filmés en gros plans – sont très investis, Golshifteh Farahani en premier lieu. Charismatique et flamboyante, elle incarne un personnage aux multiples facettes pour qui l’on éprouve une grande empathie malgré ses décisions parfois immorales et discutables. Quant à Jérémy Ferrari, dans l’une de ses premières apparitions au cinéma, il s’avère très crédible dans le rôle de l’ex-mari violent et antipathique.

Roqya est donc un premier long-métrage sympathique, qui explore une thématique plutôt rare au cinéma : la médecine occulte. Dynamique, bien que souvent excessif, il propose un rôle féminin de premier plan, nuancé et puissant, et esquisse une critique intéressante du monde moderne gangréné par l’individualisme et le diktat des opinions.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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