Caractéristiques
- Titre : L'art de demander ou Comment j'ai appris à ne plus m'inquiéter et à laisser les autres me venir en aide
- Traducteur : Raphaël Emery
- Auteur : Amanda Palmer
- Editeur : Au Diable Vauvert
- Date de sortie en librairies : 11 avril 2024
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 416
- Prix : 22 euros
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Paru aux Etats-Unis en 2014, L’art de demander d’Amanda Palmer, qui est autant un essai de développement personnel à destination des artistes et créateurs de projets qu’une autobiographie franche, drôle et souvent émouvante, est enfin paru en France ce printemps aux éditions Au Diable Vauvert. Ce délai de traduction et de parution, inhabituellement long, est à garder en tête lorsqu’on entame la lecture du livre puisque certaines choses ont bien entendu changées depuis – le traducteur a d’ailleurs eu la bonne idée d’inclure quelques notes biographiques à ce propos.
Une fois cela posé, quel plaisir de se plonger dans cette lecture, aussi riche que stimulante ! Bien sûr, l’auteure de cet article appréciant la musique d’Amanda Palmer – tout comme l’œuvre de l’auteur Neil Gaiman, désormais ex-mari de la chanteuse et dont elle parle beaucoup ici – cela a bien sûr joué sur mon appréciation. Cependant, même des non-fans intéressés par la thématique principale pourront retirer beaucoup de cet ouvrage généreux.
La première artiste à atteindre 1 million de dollars sur Kickstarter
En 2013, Amanda Palmer était invitée à donner un discours pour la célèbre série des TedTalks sur l’art de demander en se basant sur son expérience d’artiste punk ayant pas mal galéré à ses débuts… Membre du groupe punk The Dresden Dolls avec Brian Viglione dès 2001 avant de se lancer en solo à partir de 2008, cette bostonienne a exercé tous les petits boulots pour joindre les deux bouts, dont statue humaine, costume qu’elle enfilait juste après avoir effectué ses heures de service en tant que serveuse. Au fil des ans et de l’évolution de sa carrière, elle a su construire une fanbase très solide avec laquelle elle interagit sur ses réseaux sociaux et son compte Patreon sans langue de bois – quitte à se retrouver à faire la fête chez ses fans et à poser nue à côté d’eux pendant qu’ils inscrivent des messages au marqueur directement sur son corps !
Surtout, en 2012, elle est devenue la première artiste à récolter 1 million de dollars en ligne pour une campagne Kickstarter – ce qui a donné lieu à toute une controverse au sein des médias et sur les réseaux sociaux, beaucoup la découvrant à ce moment-là et se demandant comment une artiste considérée comme punk voire « underground » avait pu réunir une telle somme en demandant de l’argent à ses fans.
Au-delà de certaines suspicions idéologiques qui furent évoquées à l’époque et touchant à la Scientologie (ni elle ni Neil Gaiman ne sont scientologues, mais les parents et la précédente femme de Gaiman faisaient effectivement partie de cette organisation), d’autres voix s’étaient également élevées pour dénoncer le fait qu’elle ait osé faire appel à sa communauté de fans et supporters alors que, sans être mainstream, elle bénéficiait d’une aura d’artiste culte sur la scène alternative… et des contacts de son mari de l’époque, riche et célèbre. Alors que la vérité est que… ses fans étaient tout à fait prêts et désireux de la soutenir dans son projet, et les contreparties qu’elle leur proposait étaient plus qu’honnêtes et ont même contribué à resserrer ses liens avec la communauté.
Mais le fait de demander (de l’aide, de l’argent) ne va pas de soi, et encore moins pour une femme ou un artiste. En effet, pour beaucoup de personnes, il est entendu que la musique devrait être gratuite ou alors que, s’il est normal que les musiciens soient rémunérés pour leur travail (enregistrements, performances live), ils ne devraient pas demander « la charité » au public pour pouvoir vivre de leur art. Et bien sûr, quand on parle d’artistes bénéficiant déjà d’une certaine réputation ou attention au sein de la scène musicale, le problème est encore plus épineux car passer par le crowdfunding est vu, par méconnaissance du fonctionnement de l’industrie, comme de l’opportunisme.
Un livre stimulant sur la confiance, l’audace et le lâcher prise
Le discours d’Amanda Palmer chez TedTalks devint l’un des plus visionnés de leur chaîne YouTube – au moment de l’écriture de cet ouvrage du moins. D’où l’idée d’aborder plus amplement le sujet au sein d’un livre autobiographique.
Franche et extravertie, Amanda Palmer commence par expliquer qu’elle n’a jamais eu peur de demander quoi que ce soit et commence par un exemple de demande de tampon dans les toilettes pour femmes, geste de solidarité féminine on ne peut plus ordinaire et quotidien, mais qui demande malgré tout de ne pas avoir peur de faire un pas vers l’autre. Dans le reste du livre – et plus particulièrement de sa première partie – elle n’aura de cesse de montrer comment le fait de faire confiance aux gens et d’aller vers eux encore et encore lorsqu’elle avait besoin de leur aide (même lorsque certains ne réagissaient pas positivement) lui a permis de gagner sa vie, tisser des relations durables, se constituer un réseau et l’a grandement aidée dans sa carrière. Le tout sans jamais compromettre sa vision artistique. Consciente que cela peut être vu comme une naïveté, elle a décidé de faire de ce trait de caractère confiant une force qui la porte – et ce même quand certains événements viennent lui prouver que tout le monde n’est pas digne de confiance, comme le montre un passage glaçant avec deux fans.
Nous suivons donc Amanda Palmer alors qu’elle tente de joindre difficilement les deux bouts en exerçant toutes sortes de petits boulots, de serveuse à maîtresse dominatrice, en passant par statue de rue. Ce dernier exemple est parmi les plus émouvants du livre car nous assistons à la création quasi-improvisée de ce personnage de statue mariée et à des scènes tour à tour étonnantes et touchantes quand l’artiste raconte les multiples réactions des passants à son égard. Sans dire un mot, juste par quelques gestes et regards, elle a partagé des moments d’intimité parfois intenses avec de parfaits inconnus, auxquels elle tendait une fleur en guise de remerciement pour leur contribution, qu’elle quelle soit. Ce qui lui a permis de ne pas avoir peur de demander malgré la peur du rejet ou les regards posés sur elle, mais lui a aussi enseigné à exprimer sa gratitude et permis de comprendre qu’il n’y avait pas de « petite contribution »… Quelque chose qui lui servira dans ses relations avec ses fans et sa manière de communiquer avec eux, notamment. Parce-que cette expérience lui apprenait beaucoup, elle continua, par intermittence, de jouer à la statue vivante bien après le décollage de sa carrière. Ainsi, elle raconte un rendez-vous étonnant dans un parc avec Neil Gaiman, qu’elle ne fréquentait pas encore, et auquel elle est venue en jouant à la statue plutôt qu’en allant à sa rencontre.
Il serait fastidieux de résumer tout le reste du livre, mais une partie assez importante se concentre sur la préparation de sa campagne Kickstarter, sa gêne à accepter une aide financière de son mari alors qu’elle n’avait aucun mal à en demander des inconnus, mais aussi sa relation avec son meilleur ami Anthony (aujourd’hui décédé), qui découvrait qu’il était atteint d’un cancer rare et virulent à la même période. Une bonne partie du livre évoque ainsi des sujets comme accepter de se montrer vulnérable et arriver à lâcher prise, qui sont autant de choses essentielles pour aller vers les autres et demander de l’aide, mais aussi tout simplement mener une vie épanouie qui ait du sens. Ces sujets sont toujours abordés de manière frontale, mais authentique et sincère, ce qui rend cette lecture souvent touchante. Il y est évidemment beaucoup question du milieu du rock alternatif et de l’industrie musicale, de la volonté d’Amanda Palmer de rester dans un circuit à part et de ne pas transiger avec ses exigences artistiques malgré la pression des labels.
Au final, si on le conseillera bien évidemment en premier lieu aux admirateurs d’Amanda Palmer, nous ne saurions que trop conseiller L’art de demander aux lecteurs amateurs de rock alternatif qui la connaissent peut-être moins mais sont intéressés par la thématique développée au sein de livre, qui n’est ni un guide de développement personnel, ni une autobiographie au sens traditionnel du terme. A lire tout en écoutant les albums de l’artiste, comme Who Killed Amanda Palmer? (2008) et There Will Be No Intermission (2019).
