Caractéristiques
- Titre : La passion selon Béatrice
- Réalisateur(s) : Fabrice du Welz
- Scénariste(s) : Fabrice du Welz
- Avec : Béatrice Dalle, Clément Roussier, Abel Ferrara...
- Distributeur : Carlotta Films
- Genre : Documentaire
- Pays : France, Belgique
- Durée : 1h20
- Date de sortie : 20 novembre 2024
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- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Avant la sortie du prochain long-métrage de fiction de Fabrice du Welz (Vinyan, Inexorable, Message from the King), Maldoror, présenté récemment à la Mostra de Venise, on peut actuellement découvrir en salles sa première incursion dans le documentaire avec La passion selon Béatrice, pour lequel il a filmé Béatrice Dalle, accompagnée de son co-scénariste Clément Roussier, sur les traces du cinéaste Pier Paolo Pasolini lors d’un voyage en Italie en septembre 2022.
A la recherche du réalisateur de Théorème
La star du cinéma français à la personnalité résolument rock’n’roll, devenue célèbre dans les années 80 avec 37°2 le matin, est en effet une immense fan du réalisateur de Théorème et Accatone, pour lequel elle est tombée en admiration après avoir vu Salo et les 120 journées de Sodome. Amoureuse de son œuvre comme de sa personnalité et de son parcours, elle évoque dans le film la manière dont l’artiste et ses films la touchent personnellement tout en se rendant dans différents lieux où il a vécu, évolué ou tourné : Rome évidemment, mais aussi Bologne, Venise ou encore, lors de la conclusion, les ruines de Ginosa où fut tourné La passion selon Saint Matthieu.
Certaines séquences la montrent discuter à bâtons rompus avec Clément Roussier, tandis que d’autres se présentent comme des entretiens avec différents interlocuteurs : l’archiviste Roberto Chiesi autour de La Passion selon Saint Matthieu et de la perception de l’artiste de son vivant au regard de ses engagements politiques, de sa vie, son œuvre ; le cinéaste Abel Ferrara ; le restaurateur Sergio Leoni ; la scénariste Dacia Maraini…
Dalle ou Pier Paolo : quel est le vrai sujet du film ?
Si le film de Fabrice du Welz est agréable à regarder et souvent intéressant, voire touchant si tant est qu’on apprécie Béatrice Dalle et l’œuvre de Pasolini, il apparaît également en partie déséquilibré dans la construction de l’ensemble : pour des spectateurs ne connaissant pas suffisamment l’œuvre de Pasolini, il manquera clairement des éléments leur permettant de davantage apprécier le film comme l’artiste à sa juste valeur. Pour des personnes connaissant au contraire bien l’œuvre du cinéaste italien, si les images des lieux emblématiques de sa vie et sa carrière et les références visuelles à son œuvre dans la réalisation retiendront l’attention, on pourra trouver que le documentaire reste bien trop en surface et n’apporte rien de véritablement neuf au sujet, que cela concerne sa vie, son œuvre ou sa mort.
Et ce probablement parce que l’actrice de Trouble Every Day « cannibalise » un peu trop le film par sa présence, brouillant quelque peu les pistes sur l’angle et le sujet véritable du projet. S’agit-il d’un portrait du cinéaste vu à travers les yeux d’une actrice qui aurait clairement pu être le personnage de l’un de ses films ou bien d’un portrait de l’actrice par le biais de son amour pour Pasolini et son œuvre ? Si le titre du film en lui-même, en faisant référence à la fois à La passion selon Saint Matthieu et à La passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, met clairement en avant l’aura de la comédienne, le problème majeur est que le film ne va pas suffisamment loin dans le portrait de celle-ci.
De ce côté-là, le film pourra en partie sembler frustrant car il aurait été intéressant que les discussions avec Clément Roussier permettent d’approfondir sa vie et son parcours plutôt que de nous offrir des fragments, tout aussi flamboyants fussent-ils. D’autant plus que ceux qui connaissent déjà bien la vie de la star n’apprendront pas vraiment grand-chose au-delà d’une lettre d’admiration étrange que lui avait adressée Jean-Luc Godard, pour lequel elle n’a jamais tourné.
Des échanges passionnés autour de l’art
Le film de Fabrice du Welz possède malgré tout des qualités, à commencer par le noir et blanc élégant de Marco Graziaplena et une réalisation souvent inspirée dans les différents lieux-clés qui atteint son apogée lors du final en forme d’hommage ouvert à La passion selon Saint Matthieu.
Dans une séquence, Béatrice Dalle parle de sa communauté d’esprit avec le cinéaste italien et les compare à des « fleurs du macadam », des coquelicots qui ont éclot au milieu des pavés. Lorsqu’elle assiste à une projection de La passion selon Saint Matthieu restauré, la caméra capte son émotion et reste fixé sur son visage en larmes en gros plan. Une séquence (parmi d’autres), qui prouve que, au-delà d’être touchante, l’actrice est toujours aussi charismatique.
Mais elle n’est jamais plus magnétique – et le film plus intéressant – que lorsqu’elle parle librement de son amour pour l’art – pas uniquement pour celui de Pasolini d’ailleurs, mais aussi pour l’art italien (Vivaldi, l’art du XVIIIème siècle…), l’art en général ou encore sa fascination pour les mathématiques.
Cela permet quelque peu de faire abstraction de quelques légers moments de gêne, où le réalisateur belge fait le choix de garder des images de l’actrice s’exprimer en étant quelque peu défoncée – bien qu’elle soit tout à fait cohérente dans ses propos. Après tout, cela fait partie de sa personnalité et du « personnage » comme on dit, qui assume ouvertement ses excès, ses fêlures et son amour des artistes à la personnalité tout aussi bigger than life que la sienne – dont Amy Winehouse. Évidemment, on pourra être quelque peu réservé sur le choix de voir la vie et la mort de Pasolini (ou la souffrance de certains artistes) sous un angle à ce point romanesque – Pasolini qui aurait eu l’intuition de sa mort pour renforcer le côté tragique et inéluctable de sa fin – mais, là encore, cela correspond aussi à la vision défendue par l’actrice.
Au final, La passion selon Béatrice est un documentaire imparfait, mais qui se regarde assez agréablement d’un bout à l’autre. Quoique incomplet sur ses deux sujets principaux (Pasolini et Béatrice Dalle), ce qui s’avère par moments source de frustration, il se révèle souvent touchant et donne envie de se replonger dans l’œuvre du cinéaste italien, mais aussi dans la filmographie de Béatrice Dalle, qui est au final peu évoquée.