Un restaurant gastronomique clandestin caché derrière la boutique
Début octobre, nous avons été invités au restaurant gastronomique étoilé de la Maison du Whisky, ERH, situé 11 rue Tiquetonne à Paris 2ème afin de découvrir les principaux partenariats artistiques 2023 de l’enseigne autour d’un déjeuner imaginé par le chef japonais Ryuichi Utsumi et inspiré de l’actuel menu en 4 séquences de la carte automnale du restaurant.
Si nous n’avons pas goûté les whiskys dont les très belles boîtes et bouteilles conçues en collaboration avec des artistes (le designer japonais Katsumi Komagata, ancien directeur artistique de la marque de prêt-à-porter de luxe Comme des Garçons et ses tableaux abstraits colorés, les extraits de poèmes très imagés du poète français, Prix Goncourt de Poésie 2019 Yvon Le Men qui donnent leur nom aux bouteilles de la gamme Ex-Libris) nous ont été présentées, cela a été l’occasion de découvrir ce restaurant caché derrière les panneaux en bois de la boutique, à la manière d’un restaurant clandestin.
Premier élément à préciser et qui permet de mieux comprendre le repas qui nous a été servi : ERH était depuis 2015 le restaurant de la Maison du Saké, qui a fusionné avec La Maison du Whisky (qui avait déjà un bar à whisky speakeasy installé à cette même adresse) au moment du Covid. Du coup, différents sakés accompagnent les différents moments du repas, à l’exception du dessert, mais le chef cuisine parfois avec les whiskys de la maison, qu’il incorpore par exemple aux sauces.
Ryuichi Utsumi, qui a commencé à exercer l’art du sushi dans son pays natal, est ensuite venu vivre à Paris afin d’apprendre la gastronomie française. Cette double culture se traduit par une manière élégante, raffinée et toujours pertinente de travailler les ingrédients et saveurs des deux pays en utilisant les techniques culinaires qui leur sont propres.
Le restaurant en lui-même évoque une maison japonaise traditionnelle avec sa verrière caractéristique et sa cuisine ouverte, où l’on a le plaisir d’observer les cuisiniers découper finement les poissons et dresser les assiettes. Peu de tables sont disponibles, ce qui fait du restaurant un lieu privilégié… à l’image de ses prix : 150 euros le menu dégustation en 7 séquences pour le dîner et 80 euros le déjeuner en 4 séquences, boissons non incluses. Les menus, non indiqués sur le site (La Maison du Whisky nous a communiqué celui du déjeuner d’octobre afin que nous puissions faire la comparaison avec ce qui nous a été servi), changent plusieurs fois chaque saison.
La chronique qui suit n’est donc pas un test gastronomique classique puisque, à l’exception du dessert et des alcools, le reste du repas ne correspond pas à ce qui est servi actuellement, bien que les assiettes soient dans le même esprit et possèdent la même qualité de présentation et (si l’on se fie aux photos des menus du restaurant disponibles sur Internet) soient servies dans des quantités comparables. La principale différence est que le menu servi chez ERH possède 2 entrées, 1 plat et 1 dessert, sans compter les amuse-bouche en ouverture de repas, tandis que nous n’avons pour notre part dégusté qu’une seule entrée.
Une jolie entrée en matière avec de beaux accords mets-alcools
En guise d’apéritif, pour accompagner quelques jolies mises en bouche que nous n’avons pas relevées dans le détail mais semblent assez similaires avec celles servies le mois dernier (une délicieuse tuile de Saint-Jacques avec mascarpone, concombre et algue nori, notamment), un saké pétillant Matsumi Sparkling Origarami nous a été servi. Original et produit en quantités limitées, ce saké ressemble un peu au prosecco, avec lequel il partage une même pointe d’acidité… mais avec la saveur propre au saké. Un alcool très léger et agréable en bouche, qui permet de découvrir le saké (ici fermenté en bouteille et non filtré sur les lies) sous un autre jour.
Le repas peut alors commencer. En entrée, nous découvrons une soupe de bardane (une herbe employée à des fins médicinales, et dont les racines peuvent être torréfiées pour pouvoir les consommer) très fine avec une émulsion de truffe aérienne. La saveur de l’ensemble n’est pas sans rappeler le panais. Le maquereau fumé disposé en cercle au centre possède une chair presque aussi dense que de la viande tout en étant assez tendre à l’intérieur, ce qui contraste avec la couche de friture à l’extérieur, qui apporte un peu de croquant avec les croustillants de riz façon chips longues déposés sur l’assiette. Ajouté aux quelques lamelles de champignon cru, on obtient une entrée légère et raffinée aux saveurs automnales très agréables.
Cette entrée nous a été servie avec un verre de saké Kinryo Setouchi Olive Junmai Ginjo. Il s’agit d’un saké brassé avec des levures extraites d’olives Sanuki, cultivées dans la province de Kagawa près de la mer de Seto. Pour la petite histoire, c’est à cet endroit que les olives ont été cultivées pour la toute première fois au Japon. Cela donne un saké dont l’acidité joliment fruitée n’est pas sans rappeler celle du muscat, avec juste une toute petite pointe d’amertume. Un accord parfait avec l’entrée, qui ne prend jamais le dessus au niveau du palais.
Un classique revisité pour le plat principal
Le plat, un pitiviers au bar et à l’épinard servi avec une endive caramélisée à l’orange avec une sauce au vin blanc et au whisky single malt yoichi et quelques éclats de noisettes grillées, est un exemple parfait d’un classique revisité de manière faussement simple. Le choix du bar apportait un certain caractère. Le poisson, fondant à souhait, s’associait parfaitement avec les épinards. La croûte du feuilleté était quant à elle croustillante tout en étant d’une finesse exceptionnelle. L’endive caramélisée à l’orange et la sauce très fine et veloutée (le seul élément du repas comportant du whisky !) apportaient une pointe d’acidité bienvenue et achevaient de dresser un joli tableau automnal dans la continuité de l’entrée.
Ce plat était accompagné d’un saké Kitajima Natural I, un saké nature au goût plus amer que le saké traditionnel, avec des notes céréalières et forestières, qui se développe longuement en bouche.
La dernière touche d’un déjeuner sous forme de tableau culinaire automnal
Le dessert (également servi au sein du menu en 4 séquences d’octobre) apportait la note finale parfaite à ce joli déjeuner, réalisé d’une main de maître. Chemin d’automne est une couronne avec un biscuit à la cacahuète, servie avec des marrons grillés, une crème de marrons au Grand Marnier, une crème de clémentine posée en petites boules élégantes et un fin coulis de chocolat noir au centre. Une douceur absolument délicieuse, où la clémentine se démarque pas mal sans prendre le dessus pour autant ni jamais écœurer (l’auteure de cet article ayant souvent des difficultés avec les associations chocolat et agrumes, ce qui n’a pas été le cas ici). Le coulis de chocolat contrastait en apportant une rondeur bienvenue à l’ensemble et le biscuit et son délicieux goût grillé achevait de convaincre.
Pour accompagner cette dernière assiette, un petit verre de liqueur Matsumi Umeshu nous a été servi. Il s’agit d’un alcool de prunes obtenu à partir de la macération de prunes dans du shochu, une eau de vie issue de la distillation de saké. Une liqueur très agréable en bouche, à la fois fruitée et avec de jolies notes de miel.
Enfin, avec le café (ou le thé), deux délicieuses petites mignardises (mini tarte tatin au Yuzu et carré matcha et chocolat) venaient clôturer ce déjeuner presque parfait, quoique assez léger en quantité. Non pas que ce soit un reproche à proprement parler pour un repas gastronomique, mais comme nous avons goûté des alcools différents à chaque étape du repas (non inclus dans les menus), l’auteure de cet article est ressortie quelque peu éméchée.
Cependant, au-delà de ce détail (à prendre en compte néanmoins en fonction de ce que vous attendez d’un repas gastronomique à 80 euros – qui comporte une seconde entrée, donc), l’expérience a été plus que concluante. Nous sommes ressortis assez impressionnés par l’art de Ryuichi Utsumi, qui sélectionne ses ingrédients de saison avec la même délicatesse qu’un peintre ses couleurs pour créer un menu qui constitue un véritable tableau culinaire, ce qui s’exprime aussi bien au palais qu’au niveau visuel, un grand soin et une grande précision étant accordés à la présentation de chaque assiette, à la fois artistique et minimaliste. Les alcools qui nous ont été présentés étaient tous très bien choisis avec les différentes séquences du repas. Si vous connaissez peu les sakés, nous ne pouvons donc que vous recommander de demander conseil au personnel, qui saura par ailleurs vous apporter des explications techniques sur la préparation de chacun.
Et le whisky et les collaborations artistiques dans tout ça ?
Parce-qu’il nous semblait important de découvrir au moins un whisky issu d’une des collaborations artistiques de l’enseigne avant de partir, nous avons demandé si nous pouvions en goûter et on nous a présentés deux whiskys fonctionnant ensemble, le Face A et le Face B, en référence à la musique et aux titres principaux d’un album (les Face A) et les titres Bonus (Face B, qui doivent leur nom au fait qu’il s’agissait du ou des titres sur la face B d’un vinyle 45 tours). Chacun peut être acheté et dégusté séparément, mais aussi être associés ensemble pour créer un mix, pour continuer à filer la métaphore musicale, en respectant un dosage précis indiqué sur la bouteille (ou dans le coffret les réunissant). Le concept derrière ce duo est de « déconstruire l’assemblage des spiritueux » en proposant de réaliser cet assemblage soi-même.
Le résultat est assez convaincant et les deux alcools sont à la fois différents, complémentaires et exigeants, destinés aux palais déjà habitués aux whiskys de caractère. Le Face A, doux au départ, possède ensuite une belle attaque joliment épicée et une très bonne longueur en bouche. Le Face B, joliment malté avec une odeur miellée et ambrée assez forte et très agréable, est assez boisé. Surtout, il est très dynamique en bouche et se développe par à coups de manière assez surprenante et intéressante. Nous n’avons pas pu déguster l’association des deux (en même temps, après avoir dégusté sakés et liqueur auparavant, ce n’était clairement pas plus mal !), mais gageons que, vu la complémentarité des deux, le résultat doit être assez intéressant… et corsé.
En ce qui concerne les collaborations artistiques qui nous ont été présentées (et celles présentes au sein du catalogue 2023 les réunissant toutes), ce qui se dégage dans l’ensemble est la grande exigence de La Maison du Whisky, qui veut cultiver une image pointue tout en maintenant une vraie cohérence dans ce qui est proposé. Le concept Face A/Face B était ainsi bien trouvé puisque le lien entre l’art de l’assemblage des whiskys et l’art du mix dans la musique permettait de justifier le concept. Il en va de même pour les extraits de poème d’Yvon Le Men qui donnent leur nom aux whiskys de la gamme Ex-Libris puisque ces mots évocateurs rappellent pour certains la nature (certaines distilleries où sont produits les whiskys se trouvent sur une île, par exemple) ou le passage du temps, nécessaire au processus de distillation.
Enfin, le musicien électro SAYCET, qui a conçu le morceau « Vibration » en résidence sur l’île d’Arran en Ecosse l’a fait en enregistrant au sein des distilleries de Lochranza et Lagg les différents sons présents dans les salles d’alambics et les chais avant de les mixer. Le résultat, visible dans un clip sur Youtube mêlant images de l’île et gros plans des machines de la distillerie et du matériel de l’artiste, permet ainsi de mettre l’accent sur la création des whiskys tout en étant un morceau électro tout à fait appréciable si l’on est sensible à ce type de musique. Chaque collaboration, enfin, possède son propre caractère et sa propre identité ce qui, là aussi, est appréciable et permet, on l’imagine, de toucher une clientèle assez diversifiée – et qui a les moyens d’acheter de bons alcools puisque les alcools associés à ces collaborations sont pour la plupart disponibles en quantités limitées et coûtent donc plus cher. Art de la distillation et de l’assemblage, art culinaire ou art tout court, l’enseigne entend donc conserver une véritable exigence pour prôner une certaine image de l’art de vivre, à chemin entre la France, l’Ecosse, l’Irlande et le pays du Soleil Levant.