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[Critique] Babygirl : Désir, pouvoir et rapports de force

Caractéristiques

  • Titre : Babygirl
  • Réalisateur(s) : Halina Reijn
  • Avec : Nicole Kidman, Harris Dickinson, Antonio Banderas, Sophie Wilde, Izabel Mar...
  • Distributeur : SND
  • Genre : Thriller érotique
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h54
  • Date de sortie : 15 janvier 2025
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 8/10

Un peu plus de 2 ans après la sortie de son second long-métrage, le film d’horreur Bodies, Bodies, Bodies (limité au marché américain), la réalisatrice néerlandaise Halina Reijn a choisi Nicole Kidman pour incarner le personnage principal de son nouveau film, Babygirl, un thriller érotique déconstruisant le désir d’une quinquagénaire mariée et mère de deux ados occupant un poste à très haute responsabilité dans une société cotée en bourse.

Amoureuse de son mari (incarné par Antonio Banderas), elle n’en est pas moins frustrée par leur sexualité et a du mal à lui avouer ses désirs, qu’il ne semble pas vouloir entendre. Jusqu’au jour où elle recrute un nouveau stagiaire, un jeune et impertinent chien fou tatoué qui lui pose des questions inattendues et semble bien vite cerner sa personnalité derrière son apparence de contrôle bienveillante. Lorsqu’il commence à la provoquer en lui donnant des ordres, elle plonge à son corps défendant puis de plus en plus intensément dans une liaison faite de jeux de pouvoir et de rapports de force…

Un thriller satirique provocateur

Sur les bases de ce pitch, nous aurions pu nous attendre à un pastiche ou revival de thriller érotique des années 80-90 à la sauce BDSM, or, le parti pris de la réalisatrice, bien que jouant avec ces codes, est assez différent. Satirique en creux (donc à ne pas prendre au premier degré), Babygirl interroge de manière assez provocatrice mais intelligente le désir et les dynamiques au sein des relations hommes-femmes dans notre société, en se penchant plus particulièrement sur les relations de pouvoir. Précisons néanmoins, avant d’aller plus loin, que le film ne prétend en aucun cas être un manuel de comment entretenir une liaison saine et secure avec quelqu’un (loin de là) et que l’interdiction aux moins de 12 ans est justifiée. Et que, clairement, nous ne conseillerions pas à un adolescent de moins de 16 ou 17 ans (au moins) de le voir. 

Cependant, le fait d’affirmer qu’il y a évidemment une notion de pouvoir que l’on consent à donner à l’autre au sein des relations sexuelles et, surtout, de le placer au centre de l’oeuvre de manière pop, fait que le film peut s’avérer clivant ou, du moins, casse-gueule à notre époque où la volonté de se prémunir des violences sexuelles et de situations d’emprise pousse à lisser la vision que l’on a de la sexualité et à établir des règles assez strictes autour de la phase de séduction, parfois de manière exagérément moralisatrice… et puritaine, comme s’il s’agissait d’un contrat comme un autre.

Comme le film met en scène la liaison entre une femme et un jeune homme dont elle est la supérieure hiérarchique, le scénario interroge un certain courant de pensée nord-américain qui voudrait que la notion même de consentement soit limitée, même entre deux adultes, par l’existence d’une forme de supériorité chez l’un des deux partenaires (y compris d’un point de vue professionnel ou socio-économique), et qui ferait que toute relation, amoureuse ou sexuelle, serait alors par nature inéquitable voire placée sous le signe de la domination et de l’emprise.

Selon cette conception des choses, pour se protéger et se prémunir, il ne faudrait entretenir de relations qu’avec des personnes appartenant à la même « catégorie » que la nôtre, catégorie assignée par la société. Cette manière victimisante d’aborder les choses sous un angle purement sociologique est lui-même clairement discriminant pour les personnes supposées être en position de « faiblesse ». Néanmoins, il serait bien naïf de prétendre que certains critères ou certaines situations (notamment hiérarchiques) ne rentrent pas en ligne de compte ou ne tendent pas à favoriser certains abus ou certaines dynamiques de pouvoir. C’est là que le film se révèle intéressant…

Relations de pouvoir et système capitaliste

Ainsi, tout en tenant compte du fait que Babygirl ne se présente pas comme un film réaliste, Halina Reijn en se plaçant à la hauteur d’une femme quinquagénaire financièrement indépendante et à l’abri du besoin face à un jeune bad boy tout sauf naîf et timoré, arrive à faire passer son histoire de manière plus facilement « acceptable » de prime abord (selon les critères actuels) que s’il s’agissait d’une énième variante à la Cinquante nuances de Grey où une jeune oie blanche explore ses pulsions aux côtés d’un homme aussi puissant que séduisant et torturé.

Il est également évident que cette notion de hiérarchie est prise en compte par la réalisatrice-scénariste, qui dépeint les relations hiérarchiques (y compris en dehors de la liaison entre Romy et Samuel) de manière assez mordante et narquoise. La réalisatrice tient ainsi compte des reproches qui pourraient être adressés au personnage de Romy pour l’intégrer à la narration du film sans que jamais cela semble artificiel.

Elle ne tente pas de se prémunir d’éventuels procès d’intention ou reproches fondamentaux qu’on pourrait lui adresser. Le film offre une véritable réflexion sur la manière dont notre société, à la fois bride notre imaginaire (que le film explore), mais aussi le conditionne, et comment cela peut mener à des excès de la même manière que le système capitaliste et sa logique déshumanisée mènent à des excès et une forme d’auto-destruction.

Et cette volonté de contrôle imposée à notre inconscient ne peut qu’avoir des conséquences sur la psyché et le bien-être des individus, hommes comme femmes. Et le film de dire en creux que cela reste valable, que l’on se trouve au sein d’une société « conservatrice » ou « progressiste », car, si le discours change, le modèle n’évolue qu’assez peu. Le personnage de Nicole Kidman est-il plus « moral » parce-qu’il s’agit d’une femme en apparence réservée ? Pas forcément, même si cela n’est pas entièrement perceptible lors d’une première vision. Est-elle « mauvaise » pour autant ? Non plus. Elle ne sait simplement pas ce qui agit sur elle et son désir car elle a du mal à cerner ne serait-ce que la véritable position qu’elle occupe au sein de la société et ce qui la sous-tend. Elle pense avoir le contrôle, mais se connaît peu, au final.

En ce sens, le film nécessite un temps de « digestion » après l’avoir vu, il ne se révèle pas immédiatement et se révèle bien plus complexe et subtil derrière des situations qui le sont peu. [d’où les nombreux mises à jour de l’auteure de cet article dans les heures ayant suivi la mise en ligne, ndlr]

antonio banderas et nicole kidman dans babygirl

Plaisir et fantasmes : quand le cerveau s’en mêle

De manière plus évidente, Babygirl montre également que l’un des problèmes qui empêche le personnage incarné par Kidman d’éprouver véritablement du plaisir avec son mari n’est pas tant une question de pratiques sexuelles à proprement parler qu’une question de jugement moral qu’elle applique à ses propres fantasmes. Honteuse de ses fantasmes de domination et mise en danger, elle se braque d’elle-même et sa honte est renforcée par le fait qu’elle ressente le besoin de regarder des films pornos en cachette (le premier plan du film la montre allongée à plat ventre face à son ordinateur portable) puisque son mari ne semble pas vouloir entendre son désir d’en regarder avec elle. Elle se sent ainsi « anormale » et n’ose pas en parler ouvertement et de manière apaisée, ouvrant la voie à une véritable mise en danger lorsque arrive ce jeune stagiaire qui perçoit très rapidement son trouble.

Le film explore alors la manière dont le personnage incarné par Kidman va se retrouver à lâcher prise progressivement, à moins qu’elle ne parte en vrille… Si la liaison emprunte en partie les codes du BDSM, il est néanmoins important de préciser que cette partie n’arrive que tardivement dans le film, en milieu de métrage. Et que, au lieu de poser et faire respecter d’emblée un cadre et des limites claires à leur jeu (ce qui devrait être la base), les personnages vont nouer une relation dysfonctionnelle avant de négocier limites et conditions.

nicole kidman et harris dickinson au bureau dans le film babygirl

Des échanges commerciaux à la négociation sexuelle

La très bonne idée de Halina Reijn est d’avoir situé la société pour laquelle travaillent Romy et Samuel au sein du marché financier (il est question de stockage automatisé à haut niveau), ce qui apporte tout de suite une dimension satirique à l’oeuvre qui permet d’avoir du recul sur ce que nous allons voir ensuite. Dès les premières minutes où on la voit à son poste, tout n’est qu’une question d’échanges commerciaux, de contrats, calculs, transactions, de flux de la Bourse… Et, bien que censée occuper un poste à très grande responsabilité, on comprend vite qu’étant une femme servant de vitrine à la société et devant inspirer les clients comme les nouvelles recrues, son pouvoir n’est que relatif puisque son comportement est avant tout dicté par des impératifs commerciaux qui nécessitent peu de véritables décisions de sa part.

Ce que Samuel comprend tout de suite et ne manque pas de lui dire : « Je pense que vous aimez qu’on vous dise quoi faire ». C’est aussi pour cette raison qu’il lui commande un verre de lait : son pouvoir est en réalité illusoire, elle n’est qu’une « babygirl’, une gentille fille trop conciliante avec un système qui l’instrumentalise en prétendant lui donner l’opportunité de « féminiser » un poste à responsabilité. Le fait qu’elle accepte de le boire est un geste d’humilité de sa part. Comme il s’agira pour le film d’explorer l’inconscient de son personnage féminin principal et son rapport à la sexualité, il est d’ailleurs établi clairement dès le départ qu’il ne saurait être question d’amour entrez Romy et Samuel et, contrairement à la saga Cinquante nuances de Grey (les romans se terminaient par un mariage avec enfants), le film ne déviera pas de sa trajectoire.

Si le film va assez loin dans certaines situations plus que limites, sa dimension psychologique donne à l’histoire une coloration symbolique, tout comme cela était le cas du film noir et du néo-noir, qui exploraient l’inconscient de l’Amérique de l’époque et ses névroses à travers la psyché de personnages malades confrontés à des dilemmes moraux. Le genre du néo-noir étant rattaché à nombre de thrillers érotiques des années 70 à 90.

nicole kidman et harris dickinson s'embrassent dans la piscine dans le film babygirl

Un point de vue féminin sur une liaison dangereuse

En ce qui concerne le développement de la relation et la manière de filmer les jeux auxquels s’adonnent Romy avec Samuel, on saluera le travail de mise en scène de Halina Reijn, qui permet vraiment de se placer à la hauteur du personnage incarné par Nicole Kidman et qui évite tout voyeurisme facile. Sa manière de filmer est tout à fait différente de celle des thrillers érotiques des années 80-90 (dont certains possédaient de vraies qualités, là n’est pas le propos) : elle ne cherche pas à fétichiser à tout prix le corps féminin ou à le morceler de manière à reproduire le regard masculin sur lui. Les scènes de sexe ne se veulent pas particulièrement excitantes, ce qui pourra décevoir certains spectateurs, sans doute… mais ce n’est pas le véritable objectif du film. C’est là qu’il faut préciser que Babygirl est un film psychologique et cérébral et qu’il faut s’intéresser à cette dimension du sujet si l’on veut apprécier l’expérience.

Dans tous les cas, le but de la réalisatrice est de nous permettre de comprendre et ressentir comment, en lâchant prise face à Samuel, Romy lâche prise aussi sur le contrôle de son corps et de son image, elle dont on voit le personnage se faire injecter du Botox au niveau des pommettes au début du film… Lorsqu’il lui demande de se déshabiller face à lui, le jeune homme, contre toute attente, lui dit qu’elle est belle alors qu’elle a honte de son corps. Leurs relations sexuelles ne virent pas à la violence physique, mais le premier échange véritablement « physique »,  sans filet de sécurité pour Romy, joue avec cette frontière… ce qui place le personnage dans la lignée de femmes névrosées que Nicole Kidman a incarnées par le passé.

Le métrage joue volontairement avec cette crainte de la violence ou, du moins, de l’abus de pouvoir, qui excite le personnage, mais le stagiaire ne se révélera jamais être une version masculine du personnage de Glenn Close dans Liaison fatale. Pas de la même manière du moins, puisqu’il est assez clair que, même s’il ne le fait pas, il pourrait détruire toute son existence sans difficulté dans la première moitié du film étant donné qu’elle rentre dans son jeu avant qu’aucune règle n’ait été fixée entre eux, ce qui est clairement kamikaze de sa part.

A ce sujet, il est important de préciser et d’insister sur le fait que le film ne prétend absolument pas qu’un « non » initial signifie un « oui » implicite. Dans le cas présent, nous sommes face à un personnage qui n’a pas conscience de sa tendance à l’auto-destruction car elle n’a pas conscience de ce qui sous-tend ses fantasmes. Elle laisse ce jeune homme volontairement dépasser ses limites car elle a envie qu’on les transgresse : non seulement elle décide d’embaucher Samuel alors qu’il lui a lancé en entretien qu’il pensait qu’elle aimait qu’on lui dise quoi faire alors qu’il aurait été très facile pour elle de refuser sa candidature mais, après la première série d’avances assez explicites du jeune homme et le début du jeu du chat et de la souris qu’elle accepte spontanément (le fameux verre de lait, des textos, appels, une convocation dans un hôtel miteux…), c’est bien elle qui retourne sur ses pas et prend l’initiative de l’embrasser à pleine boucbe après lui avoir demandé d’arrêter, puis qui l’empêche de demander sa mutation.

Considérée comme une femme de pouvoir mais assumant assez moyennement cette position car elle se veut être une personne empathique et morale (tout en pensant malgré tout avoir le contrôle sur la situation et elle-même), le film suggère clairement que cette lutte interne est à l’origine de cette mise en danger. Alors que l’histoire progresse, elle acceptera d’assumer de prendre ouvertement le dessus et de demander à établir des limites… ce qui n’est pas le cas au départ.

jeu de séduction et de pouvoir entre harris dickinson et nicole kidman dans le thriller érotique babygirl

Le grand retour de Nicole Kidman

Enfin, le film explore aussi l’ambivalence des relations entre femmes et des relations de pouvoir au sein d’une entreprise à travers le second rôle d’une jeune salariée ambitieuse, supposément à la merci du personnage de Romy, et qui, découvrant la liaison de sa patronne, adoptera un double discours insidieux pour obtenir ce qu’elle souhaite. Cette trame pose la question de la source du pouvoir et se montre assez pessimiste sur les possibilités d’en changer la dynamique, même entre femmes, si le modèle sur lequel repose l’entreprise ne change pas. Cela pose également la question de ce que signifie être un role model pour une « femme de pouvoir » aujourd’hui, au sein d’une société où le puritanisme, le cynisme, l’opportunisme et la volonté de profit demeurent présents malgré des alibis de morale, éthique, inclusivité et féminisme… Il est d’ailleurs important de préciser (si cela n’était pas évident à la lecture de cette analyse), qu’aucun des personnages de Babygirl (mis à part les enfants de Romy et, en partie, le mari en souffrance… même s’il ne parvient pas vraiment à écouter la souffrance de son épouse et ne comprend sans doute pas entièrement lui-même au possible) n’est véritablement érigé en modèle de moralité.

Au final, Babygirl se révèle donc être un film audacieux et agréablement surprenant. Il ne s’agit pas d’un thriller érotique au sens classique du terme (si vous vous attendez à être émoustillés, passez votre chemin), mais d’une exploration à la fois intelligente et assez impertinente des dynamiques de pouvoir nourrissant les relations en entreprise comme les relations sexuelles. Si le message sous-jacent est que ces dernières peuvent se révéler épanouissantes à condition de faire face à ses désirs sans les juger et d’être conscient de la dynamique à l’oeuvre, le film de Halina Reijn se montre assez implacable sur le fonctionnement des entreprises comme celles pour laquelle travaille le personnage de Romy, où le profit et la logique marchande influent sur les relations humaines et les dictent malgré le vernis policé des apparences.

Le métrage est en tout cas l’occasion de retrouver une Nicole Kidman des grands jours qui n’hésite pas à se mettre en danger (encore une fois) en jouant avec son image et le talentueux Harris Dickinson qui, après Iron Claw, Là où chantent les écrevisses et Sans Filtre, confirme son talent. Antonio Banderas convainc quant à lui dans un rôle en retrait assez peu évident. Une bonne surprise.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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