Caractéristiques
    - Titre : Grafted
 - Réalisateur(s) : Sasha Rainbow
 - Avec : Joyena Sun, Jess Hong, Mark Mitchinson, Jared Turner, Eden Hart...
 - Distributeur : Les Films du Camelia
 - Genre : Epouvante-horreur
 - Pays : Nouvelle-Zélande
 - Durée : 96 minutes
 - Date de sortie : 5 novembre 2025
 - Note du critique : 6/10 par 1 critique
 
Actuellement en pleine tournée des festivals – après une séance de minuit au FEFFS et une sélection en compétition à Gérardmer – Grafted est le premier long-métrage de la réalisatrice néo-zélandaise Sasha Rainbow, remarquée en 2018 pour son court documentaire Kamali. Ce nouveau film s’aventure du côté du body horror pour explorer la honte, l’identité et l’héritage familial.
Un conte d’horreur moderne sur la différence
Quelques années après la mort tragique de son père, Wei quitte la Chine pour étudier à Auckland, en Nouvelle-Zélande, grâce à une bourse au mérite. Elle loge chez sa tante et tente de renouer des liens avec une famille qu’elle connaît à peine, tout en s’adaptant à un nouvel environnement universitaire. Élève brillante mais réservée, Wei cache derrière sa mèche de cheveux une maladie de peau héréditaire, stigmate dont elle a honte et qu’elle cherche à dissimuler à tout prix. Lorsque ses recherches scientifiques croisent l’héritage laissé par son père et l’intérêt d’un professeur ambitieux, sa vie bascule peu à peu dans le cauchemar…
Derrière son vernis de film d’horreur, Grafted dresse le portrait d’une jeune femme fracturée entre deux mondes : celui de sa culture d’origine et celui, plus froid, du pays d’accueil. Sasha Rainbow y aborde avec justesse les injonctions à la perfection – beauté, réussite, conformité – qui pèsent sur le corps féminin. Les humiliations que subit Wei, tant pour ses origines que pour sa différence physique, rappellent la violence du racisme ordinaire. On la réduit à sa nationalité, à son apparence, à son excellence supposée. Sa cousine Angela, à l’inverse, rejette ses racines et incarne l’assimilation artificielle à cette société policée. Entre traditions familiales et vie étudiante saturée de codes sociaux, Grafted illustre la difficulté d’exister pleinement dans un monde obsédé par l’image.

Entre body horror et satire sociale
Dès la scène d’ouverture, Grafted installe son ton : cru, dérangeant, viscéral. La réalisatrice fait du corps le terrain privilégié de l’angoisse. En mêlant sons organiques, suintements, craquements d’os et gros plans de mastication, Sasha Rainbow plonge le spectateur dans une horreur à la fois physique et symbolique. Wei devient son propre cobaye, expérimentant sur elle-même dans une quête désespérée de guérison. La caméra insiste sur la texture de la peau, les plaies, les piqûres, les fluides, et la colorimétrie rouge est utilisée pour renforcer les moments de tension extrême. La fleur cadavre, motif récurrent du film, incarne ce paradoxe entre beauté et pourriture, entre vie et décomposition. Si les effets spéciaux et maquillages se montrent convaincants, on regrette que la maladie de Wei, pourtant moteur de l’intrigue, reste parfois trop discrète à l’écran.
Au-delà de l’horreur corporelle, le long-métrage s’attaque à la tyrannie de l’apparence. L’univers pastel – titre rose bonbon, habitation semblable à une maison de poupées, sérum fuschia – évoque autant The Substance que The Ugly Stepsister, dont il emprunte la satire. Entre les couloirs d’université et les lotissements de banlieue aisée, Wei affronte une galerie de figures féminines lisses et cruelles : Angela, sa cousine, et Eve, jolie blonde qu’on imaginerait sans peine dans Mean Girls. Toutes perpétuent l’illusion du corps parfait dans une société saturée de publicités et de filtres.

Un film prometteur mais inégal
Avec ses 1h36 bien rythmées, Grafted ne laisse guère de place à l’ennui. Sasha Rainbow fait preuve d’un vrai sens du montage et de la tension. La narration reste fluide, ponctuée de montées d’angoisse efficaces et d’une bande originale anxiogène, alternant électro, nappes de synthé et chuchotements. Si la mise en scène ne brille pas par ses fulgurances, elle demeure habile et fonctionnelle, portée par des plans variés et une photographie soignée. Le film parvient à installer quelques moments de stress réussis et d’humour noir, sans jamais perdre sa cohésion. Quant à Jess Hong (Le Problème à trois corps), elle confère à Wei une vulnérabilité touchante, et se réinvente sans cesse dans le jeu, rendant crédible sa lente descente dans la folie.
Malgré ces atouts, Grafted s’essouffle dans son dernier acte. Les transitions abruptes, la logique narrative parfois bancale et les motivations floues des protagonistes fragilisent l’ensemble. Les personnages secondaires peinent à exister : Angela et Eve sont réduites à de simples archétypes, tandis que les figures masculines, absentes ou pathétiques, n’apportent guère de relief. La transformation de Wei, trop soudaine, fait basculer le film dans l’excès, au détriment de la cohérence émotionnelle. En voulant tout dire – le racisme, le sexisme, la pression sociale, la quête identitaire – Sasha Rainbow ne prend pas le temps de creuser ses relations, et effleure plus qu’elle ne creuse. Grafted n’en demeure pas moins un premier film prometteur, riche d’idées visuelles et de thèmes forts, même s’il peine à trouver son équilibre entre horreur et émotion.
En somme, Grafted séduit par ses intentions et son audace plus que par sa pleine maîtrise. Sasha Rainbow signe un premier long-métrage prometteur mais encore inégal, où la quête d’identité se dilue dans les excès du genre. Un film qui se regarde sans déplaisir, mais qui laisse un léger goût d’inachevé.




