Un tremplin pour les cuisiniers réfugiés
C’était l’événement culinaire de cette semaine : l’ouverture officielle de La Résidence, le restaurant des chefs réfugiés fondé par le Refugee Food Festival à Ground Control, repaire hipster du 12e arrondissement parisien. Après un mois d’activité et de rodage, la grande soirée du mercredi 28 mars a vu se réunir journalistes et clients autour des chefs syriens Nabil Attar et Mohammad El Khaldy, accompagnés pour l’occasion de Stéphane Jégo, le grand chef français derrière le restaurant L’Ami Jean, pour un menu spécial à 6 mains. Mohammad El Khaldy possède une longue expérience de chef et formateur à Damas, au Liban et aux Émirats Arabes, et, après une première expérience avec le Refugee Food Festival en 2016, où il avait cuisiné pour L’Ami Jean, il forme et encadre aujourd’hui les chefs invités de La Résidence, qui officieront dans ces lieux pendant une période de 2 à 6 mois à chaque fois. Stéphane Jégo, lui, figure incontournable de la scène culinaire française, apparaît comme un parrain qui accompagnera lui aussi les chefs en résidence.
Car le but n’est pas uniquement de proposer de bons petits plats à des tarifs très corrects (entre 5 et 11€), mais aussi et surtout d’accompagner ces chefs dans leurs projets personnels, afin que cette expérience puisse leur servir de tremplin pour lancer leur carrière en France. Nabil Attar, le premier des chefs à officier à La Résidence, ouvrira ainsi dans les prochains mois son restaurant Narenj à Orléans. Arrivé en France comme Mohammad El Khaldy en 2015 avec femme et enfants, il s’est reconverti en traiteur et, avec le soutien du Refugee Food Festival, a déjà réalisé des prestations pour Nicolas Hulot, Anne Hidalgo et Mohammad Yunus, ou encore collaboré avec les restaurants parisiens Les Pantins et Inaro.
Souriant et chaleureux, il officie en cuisine avec El Khaldy et Jégo ce soir-là, répondant aux questions des journalistes et tendant les plateaux aux clients. Une manière, aussi, pour le festival fondé par Marine Mandrila et Louis Martin de faire changer le regard du grand public sur les réfugiés à l’heure où de nombreux préjugés ont cours. Un tract d’information distribué par le festival sur place nous informe ainsi que les réfugiés représentent aujourd’hui 0,3% de la population en France. Et de rappeler que parmi eux se cachent aussi des artistes, médecins, architectes ou chefs cuisiniers. Marc Chagall, Milan Kundera, Albert Einstein sont cités parmi les réfugiés qui furent reconnus comme de grandes personnalités dans leur domaine.
Un menu spécial franco-syrien aux mille saveurs
Et ce repas spécial, on en parle ? Concocté à 6 mains entre les trois chefs, il était constitué de trois petites entrées, un plat principal et un dessert mettant en avant les saveurs orientales de la Syrie, mêlées à notre cuisine française, à déguster dans l’ordre du menu distribué à table. Des mets équilibrés, d’une belle fraîcheur, et surtout fourmillant de saveurs. On commence donc par le Shorbet, une soupe de lentilles, crème de poivrons et croustillant de citron noir. Crémeuse à souhait, elle se savoure en prenant son temps; le croustillant au citron noir (la trouvaille révolutionnaire de Stéphane Jégo) relève le tout de manière assez étonnante, créant un contraste de goût et de texture. Vient ensuite le Haliun, un espuma à l’asperge à la texture crémeuse et au goût raffiné. La salade du moine (salade d’aubergine de Damas) est assez extraordinaire, une explosion de saveurs en bouche : aux côtés de l’aubergine écrasée, on trouve des dés de poivrons rouge et vert, de la tomate et des grains de grenade, le tout semblant avoir été mariné dans un assaisonnement absolument parfait.
Le plat principal, le Frikeh, apporte de la consistance au repas tout en gardant un bel équilibre : le boeuf confit brûlé fond en bouche, tandis que le blé vert et les petits légumes du jardin (carottes, chou rouge), à la cuisson irréprochable, évitent toute lourdeur. Enfin, pour le dessert, difficile de ne pas succomber au riz au lait irrésistiblement fondant de Stéphane Jégo (reconnu comme le meilleur de Paris par Le Figaro), revisité ici par les chefs syriens avec une crème pistache et une barbe à papa blanche très fine et joliment parfumée (aux épices ?), à mille lieux de la gourmandise gorgée de sucre et de colorants que nous connaissons. En guise de boisson, un excellent jus de tamarin, hibiscus et fleur d’oranger, gorgé de soleil, était servi à côté du repas.
Un menu spécial qui donne très fortement envie de revenir dans l’immense entrepôt du Ground Control pour découvrir les mets de Nabil Attar, composés d’une carte de base (des mezze, nous précise-t-on) et de plats signature. Et comme La Résidence est un lieu pérenne, on pourra y revenir au fil des mois et des saisons pour découvrir de nouvelles personnalités prometteuses, aux cultures et spécialités différentes.
La Résidence, 81 rue Morlais, 75012 Paris (à l’intérieur de Ground Control), M° Gare de Lyon ou Montgallet. Ouvert du mercredi au dimanche. Mercredi, jeudi, vendredi : 12h-14h30 et 18h30-22H30. Samedi : 12h-17h et 18h30-22h30. Dimanche : 12h-17h. Infos complémentaires sur le site officiel du Refugee Food Festival.