Un chef japonais à la tête d’un restaurant méditerranéen
Parmi les nombreux restaurants gastronomiques parisiens, le Lumen se distingue par sa cuisine méditerranéenne tout en subtilité agrémentée de touches nippones, et son cadre intimiste et enchanteur, avec sa large verrière donnant sur le bas-côté de l’église Saint-Roch. Un lieu lumineux, idéal pour un dîner en amoureux ou un déjeuner d’affaires, et dont la carte ne cesse d’évoluer et de se réinventer au gré des saisons et de l’imagination de son jeune chef japonais, Akira Sugiura, tombé amoureux de la cuisine italienne après avoir travaillé sur la péninsule auprès de chefs étoilés. Lumen, c’est aussi une belle histoire de famille, un hôtel-restaurant fondé par deux frères d’origine arménienne nés à Istanbul, Herman et Alexandre Bal, récemment rejoints par leur neveu et fils Arnaud. Si l’adresse est pour le moment encore relativement confidentielle, l’inventivité de sa cuisine, son raffinement, pourraient bien lui valoir les honneurs du Michelin… Le moment était donc bien choisi pour partir à la découverte de la nouvelle carte de saison, renouvelée toutes les 4 à 5 semaines.
Si le Lumen mise beaucoup sur son menu dégustation en 6 temps proposé uniquement en soirée, c’est à l’occasion d’un déjeuner que nous faisons connaissance avec sa cuisine. Nous opterons du coup pour un traditionnel entrée-plat-dessert à la carte, même s’il est à noter que deux formules sont également proposées : Menu Déjeuner Express (entrée-plat/plat-dessert ou entrée-plat-dessert) à tarif préférentiel et Menu Déjeuner d’Affaires en 4 temps (entrée-pâtes-viande-dessert). La carte vient tout juste de changer en ce début juin et un vent de fraîcheur souffle sur les entrées : médaillon de homard, espuma de mozzarella, melon et basilic; tartare de boeuf à la japonaise aux truffes d’été; velouté froid d’asperges blanches, truite mi-cuite et agrumes; et enfin (notre choix) carpaccio de bar, caviar d’aubergine au wasabi et caviar Osciètre.
Une fois les plat et dessert choisis, on nous apporte trois petites mises en bouche d’une remarquable finesse pour nous mettre en appétit : arancini de trévise, chorizo, parmesan et taleggio, croquant à l’extérieur et fondant à souhait à l’intérieur, présenté de manière très zen dans un bol sur de petits galets où la boulette italienne se confond presque; un gaspacho de tomate, concombre et crustacés délicieusement velouté et joliment parfumé, à la saveur bien plus dense que la traditionnelle recette espagnole; et enfin un bonbon croustillant de foie gras de canard, chutney de pommes et miso doux raffiné, dont le goût explose subtilement en bouche. Pour accompagner le repas, on nous sert du Fiore, un Vernaccia di San Gimignano de 2014 du producteur Montenidoli : un excellent vin blanc, plaisant et complexe, à la robe couleur paille et aux notes florales, qui fait partie des crus les mieux côtés de Toscane.
Correspondances subtiles entre Italie et Japon
Le repas sera à l’avenant de cette entrée en matière : frais, raffiné, travaillé avec un véritable savoir-faire mais aussi un certain sens de l’épure, avec des associations de goûts parfois surprenantes, où les touches nippones se fondent à merveille à la cuisine italienne, qu’elles viennent dynamiser et complexifier, sans jamais prendre le dessus pour autant. Raison pour laquelle, on imagine, l’établissement ne revendique pas le terme de fusion food, qui peut renvoyer, dans l’imagination populaire, à un croisement à l’américaine entre deux cuisines que tout oppose. Certes, dans les faits, une voie plus subtile est possible — ce que prouvent d’ailleurs des restaurants comme Signature Montmartre, dont nous vous parlions tout récemment — mais le terme, employé à toutes les sauces, peut effrayer le fin gourmet. Chez Lumen, tout est question d’équilibre et d’harmonie et, plutôt que de jouer sur des oppositions, Akira Sugiura établit au contraire des correspondances entre ces deux cultures qu’il affectionne, le tout mâtiné d’influences françaises et espagnoles : ici, le caviar remplace les oeufs de truite, là, le yuzu sera utilisé à la place du citron, le semifreddo façon tiramisu travaillé avec du thé matcha et agrémenté de haricots rouges…
Créativité, épure, fraîcheur et émotion
L’entrée choisie, le carpaccio de bar, caviar d’aubergine au wasabi et caviar Osciètre est une véritable leçon en matière de créativité et d’équilibre : au-delà de la très belle présentation (le plat, parsemé de rondelles de radis en pickles et de roquette, ressemble à une fleur), on est épatés par la finesse de la découpe du poisson, qui se mêle au caviar d’aubergine pour former un tout dont le mariage de saveurs explose en bouche et nous laisse conquis. Le wasabi vient apporter une touche quasi-acidulée au caviar d’aubergine, et surprend d’autant plus qu’il n’a aucunement, ici, le goût qu’on lui connaît (celui du raifort, en réalité) lorsqu’il est accompagné de sushis. Le résultat est ensorcelant, d’autant plus que le caviar Osciètre, succulent et servi plus généreusement que dans bien des établissements, vient complexifier la palette gustative de cette entrée de haut vol.
Le plat de pâtes, tagliolini à l’encre de seiche parfumées au yuzu, calamar et trévise témoigne quant à lui de la maîtrise du chef pour cette assiette faussement simple, riche en saveurs et en caractère. Les pâtes sont faites maison et cela fait toute la différence : là où des pâtes à l’encre de seiche artisanales achetées dans une épicerie de luxe auraient un goût plus doux, pour ne pas dire plus fade, ici, l’intensité de l’encre se fait véritablement sentir. Le mariage avec le yuzu, les calamars (d’une fraîcheur irréprochable), l’ail rôti, les brins d’aneth, câpres et le fromage trévise donne lieu à un plat plus complexe qu’il n’y paraît, dont on déguste la moindre bouchée avec délectation. Une assiette où la générosité italienne et la maîtrise nippone font décidément bon ménage. Là encore, on ne cherche pas à épater la galerie : l’harmonie est au coeur de l’assiette, et le yuzu, cet agrume japonais au goût acidulé caractéristique, est si bien dosé qu’il ne prend pas l’ascendant, mais agit plutôt en révélateur.
Pour le coup, notre dessert, le Semifreddo façon tiramisu au chocolat blanc et thé vert matcha est celui où l’influence japonaise est la plus « évidente », d’autant plus qu’il est accompagné de haricots rouges azuki, ces mêmes haricots sucrés utilisés pour garnir les dorayakis, les pancakes japonais. Cependant, là encore, les correspondances avec l’Italie sont joliment travaillées : ainsi, si ce Semifreddo gastronomique est plus fin et moins riche que le dessert traditionnel, la boule de glace à la pistache, parsemée de poudre de pistache pilée, répond étonnamment bien à la saveur des haricots rouges et à celle du caramel de sucre d’Okinawa, révélant une « parenté » que l’on n’aurait pas soupçonnée. L’ensemble, d’une finesse remarquable et accompagné d’un petit croquant et d’un amaretti, est aussi résolument gourmand. Un véritable plaisir !
Au final, c’est un véritable coup de coeur que nous avons eu pour le Lumen, établissement rare, aussi bien par sa carte que son cadre élégant et harmonieux. Akira Sugiura, non content de faire preuve d’une maîtrise remarquable, aussi bien dans les techniques de découpe, cuisson que dans les associations de goûts aussi subtiles qu’étonnantes, apporte également une véritable émotion à ses plats, qui se dévorent des yeux avant de se révéler en bouche. Loin du clinquant de certains établissements privilégiant l’épate, le chef recherche avant tout l’harmonie dans ses créations, audacieuses sans en avoir l’air, à travers lesquelles il parvient à allier les meilleures qualités des cuisines italienne et japonaise. Une osmose gustative, étonnante sur le papier, qui réussit le tour de force de paraître évidente en bouche. Cette impression de simplicité, on le sait, est en réalité très difficile à obtenir et est la marque des grands. Et, comme le Lumen renouvelle sa carte quasiment tous les mois, on ne se privera pas de revenir pour continuer à découvrir la cuisine d’Akira Sugiura au fil des saisons.
Lumen Paris Louvre, 15 rue des Pyramides, 75001 Paris. Métro Tuileries (ligne 1) et Pyramides (ligne 7, ligne 14). Ouvert du mardi au samedi de 12h à 14h30 et de 19h30 à 22h30. Menu le midi du mardi au vendredi. Menu Express Déjeuner : entrée-pâtes/pâtes-dessert (28€) ou entrée-pâtes-dessert (32€). Menu Déjeuner d’Affaires en 4 temps entrée-pâtes-viande-dessert à 48€. Menu dîner découverte en 4 temps : 62€. Menu dîner Carte Blanche en 6 temps : 75€. Avec accord mets et vins (5 verres de 10cl) : 128€.