Caractéristiques
- Titre : Tempura
- Titre original : Watashi wo kuitomete
- Réalisateur(s) : Akiko Ôku
- Scénariste(s) : Akiko Ôku d'après le roman de Risa Wataya
- Avec : Non, Kento Hayashi, Asami Usuda, Takuya Wakabayashi...
- Distributeur : Art House
- Genre : Comédie romantique, Comédie dramatique
- Pays : Japon
- Durée : 2h13
- Date de sortie : 20 juillet 2022
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- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Et si la surprise de l’été 2022 venait du Japon ?
Réalisé par Akiko Ôku (Tokyo Serendipity, Fantastic Girls…), Tempura est la deuxième adaptation d’une œuvre (inédite en France) de la romancière Risa Wataya pour la réalisatrice japonaise après Tremble All You Want (2017). Sorti en 2020 au Japon, ce très beau film à la fois fantasque et émouvant aura mis deux ans à nous parvenir.
Mitsuko (interprété par l’excellente Non) est une jeune trentenaire célibataire qui vit seule dans son petit studio tokyoïte. Malgré un travail plan-plan qui ne lui permet visiblement pas de s’épanouir et un sentiment de solitude persistant, elle vit le plus librement possible sa vie de célibataire, n’hésitant pas à sortir seule ou à prendre des cours de cuisine (les fameux tempura du titre français) pour se concocter de bons petits plats maison. Lorsqu’elle se rend compte qu’elle éprouve des sentiments pour un collègue de travail qu’elle croise souvent près de chez elle, elle prend son courage à deux mains pour l’inviter à dîner chez elle et l’aider à cuisiner ses fameux tempura. Mais la jeune femme, qui étouffe sa nature fantasque et rêveuse en société, n’est pas tout à fait comme les autres, et ce bouleversement amoureux et les doutes qu’il occasionne ne vont pas être de tout repos pour elle…
Un film initiatique déguisé en comédie romantique culinaire
Tempura est un film initiatique qui commence comme une sympathique comédie romantique culinaire avant de nous emmener dans une direction inattendue, comme c’est souvent le cas avec le cinéma japonais. D’ailleurs, même si la cuisine et la nourriture occupent une place importante au sein du récit (nous y reviendrons), le titre français est en réalité assez trompeur de ce côté-là. Le titre original, Watashi wo kuitomete (« retiens-moi’) exprime davantage le dilemme de l’héroïne, tiraillée entre son monde intérieur et le monde qui l’entoure ; entre le besoin de s’auto-rassurer et celui d’aller à la rencontre d’autrui pour se libérer de ses entraves. Après, admettons-le : le titre japonais a également des accents sentimentaux et mélo qui ne reflètent pas non plus la tonalité si particulière du film, entre humour, onirisme et drame psychologique décalé.
Au-delà de sa dimension romantique (aussi charmante que convaincante), Tempura est avant tout un film sur la réalisation de soi et l’épanouissement personnel, mais aussi sur le rapport à l’incertitude et à la solitude – le tout sur un ton résolument décalé mais toujours juste et plus d’une fois poignant, sans pour autant tomber dans le pathos. L’intrigue se divise en trois parties assez distinctes et une conclusion qui permet à l’héroïne d’affronter ses problèmes tout en liant entre elles les différentes dimensions du film. Le premier acte se présente comme une comédie romantique donc, le second permet à l’héroïne de se confronter au monde à travers un voyage en Italie pour rejoindre une amie de fac, tandis que le troisième lui permet de se confronter à elle-même à travers sa relation avec A, une partie dissociée d’elle-même qui se manifeste sous la forme d’une voix intérieure masculine qui la conseille et la soutient lorsqu’elle est en proie au doute, la poussant à aller de l’avant malgré sa peur et son manque de confiance en elle.
Une trame romantique enthousiasmante et jamais superficielle…
Avant d’aborder sa dimension plus onirique et psychologique, commençons par parler de l’aspect comédie romantique de Tempura. En tant que tel, le métrage d’Akiko Ôku change clairement des produits standardisés américains du genre dont nous sommes abreuvés, même si certains font office de « plaisir coupable ». Tempura est, lui, un film qui sait clairement aller au-delà des codes du genre et a tout pour devenir culte. La relation entre Mitsuko et Tada est aussi simple et réaliste que touchante et sonne juste dès le début. Avant que le film ne sonde plus intensément la psyché de son héroïne, on notera également que le côté feel-good est particulièrement bien géré et ne fait jamais cliché car le tout est réalisé avec sincérité.
Le premier acte repose beaucoup sur les jeux de séduction et les rapports hommes-femmes : Tada semble assez clairement intéressé par Mitsuko, mais les deux tournent autour du pot de peur de paraître trop ouvertement intéressés… et donc trop « faible » (pour l’une) ou « irrespectueux » (pour l’autre). Toute cette partie est à la fois juste et charmante et bien entendu assez universelle, bien que racontée d’un point de vue japonais, peuple plus enclin par nature à contenir ses émotions en société, y compris en ce qui concerne les hommes. Là où le film est particulièrement fort, c’est que cette première partie romantique et optimiste n’en rend la partie autour du dilemme intérieur de Mitsuko que plus forte, car cela nous donne une autre vision de ce qu’elle a vécu lors de cette phase de séduction plaisante à la lumière de tout ce qui a pu l’amener là en dépit de son apparente légèreté. On saisit ainsi mieux ses hésitations et son état d’esprit face à une situation somme toute on ne peut plus normale, même si elle est vécue avec plus ou moins d’intensité par le commun des mortels.
Une partie importante de Tempura tourne également autour du célibat et du fait d’être une femme de plus de 30 ans célibataire au Japon – chose moins bien vue qu’en Occident même si, là encore, le sentiment de solitude éprouvé par Mitsuko est en réalité universel, de même que ses doutes et problèmes professionnels. Mitsuko souffre de sa solitude mais ne s’empêche pas pour autant de vivre, bien au contraire : elle va déjeuner seule au café ou au restaurant, prend l’avion seule, participe à des cours de cuisine et concocte de bons petits plats pour elle seule… Elle recule parfois, comme lorsqu’elle pèse le pour ou le contre de se rendre seule à Disneyland avant de renoncer à la perspective de devoir tortiller dans ses mains un prospectus dans les files d’attente interminables pour accéder aux attractions, mais elle prend toujours le taureau par les cornes… Même quand il s’agit d’inviter Tada à venir dîner chez elle (en utilisant un alibi, certes), en dépit de sa nervosité manifeste.
… et un drame psychologique onirique et poignant
C’est d’ailleurs par le prisme de cette dernière thématique (la solitude), que le récit glisse progressivement dans une dimension plus psychologique et que nous découvrons que l’héroïne ne fait pas que s’imaginer qu’un ange gardien lui parle, mais qu’elle souffre d’un problème de dissociation d’origine visiblement traumatique. Tempura se fait alors plus onirique dans son approche narrative, même si cette dimension était déjà présente à l’image et dans la réalisation, comme le montre très bien la séquence dans l’avion par exemple, avec ses ballons de secours colorés virevoltant dans la cabine lorsque l’héroïne lâche enfin prise dans tous les sens du terme.
Le passé de Mitsuko n’est jamais complètement détaillé, même si on apprend en creux au détour d’un dialogue intérieur qu’elle a connu un épisode dépressif après la fin de ses études et a aussi été confrontée à un petit patron pervers. Mais le film est construit de telle manière que l’on comprend parfaitement ses dilemmes intérieurs. Ses doutes par rapport à son avenir, sa solitude malgré son caractère fantasque qu’elle étouffe bien trop – ce qui explique aussi, même si cela n’est jamais dit, la présence de A – permettent de mieux comprendre sa situation et ses réactions dans le présent. Comme elle se rapproche de Tada, A a de moins en moins de raisons d’être, mais Mitsuko ne peut se résoudre à s’en détacher par peur de lâcher prise face à l’inconnu de sa situation. Sa relation avec sa voix intérieure est d’ailleurs présentée de manière tellement naturelle (elle verbalise d’ailleurs très tôt qu’il n’est qu’une part d’elle-même) que l’on ne se pose pas de questions avant la seconde moitié du film, lorsque l’intrigue se concentre sur sa relation avec celle-ci – ce qui est quand même un sacré tour de force malgré quelques longueurs lorsque le film s’éloigne de la comédie romantique et que le film commence à prendre une autre direction. Il s’agit là de notre seule réserve à proprement parler, et du seul point qui pourra véritablement décontenancer certains spectateurs.
Un film maîtrisé d’un bout à l’autre
On ne vous spoilera bien entendu pas le fin mot de l’histoire – même si le film ne repose pas sur des twists, soyons clairs. Dans tous les cas, il est évident que le scénario, adapté d’un roman donc, est particulièrement bien développé malgré sa dimension fantasque qui pourrait laisser craindre, à un moment donné, que l’histoire ne parte dans un joyeux n’importe quoi au rythme des rêveries de l’héroïne. C’est aussi ce qui distingue le film d’Akiko Ôku et le rend aussi marquant comparé à de sympathiques OVNI nippons déjantés, mais parfois moins exigeants de ce côté-là.
Enfin, comme son titre hexagonal l’indique, Tempura est également un film gourmand et épicurien, où l’amour de la nourriture et d’un bon repas transpire de partout et permet d’évoquer des valeurs de partage, convivialité et de montrer des moments de complicité partagée qui aident à soigner tous les maux, et à aller au-delà des problèmes de communication, qu’ils soient dus à une trop grande nervosité ou simplement à la barrière de la langue.
Du côté de la réalisation, Akiko Ôku fait preuve de maîtrise sans jamais le laisser paraître. Sa caméra parvient tellement à épouser le point de vue de Mitsuko que le résultat paraît toujours fluide et naturel et que l’on s’identifie à elle sans peine. Passant sans mal de la comédie romantique faisant la part belle aux petits moments du quotidien (à table, dans la rue, au bureau…) au film intimiste et initiatique et finalement au drame psychologique, la réalisatrice sait également garder un véritable équilibre entre des partis pris de mise en scène très réalistes voire quasi-documentaires et d’autres plus oniriques, qui reflètent l’état d’esprit de l’héroïne et la manière dont son imagination vient égayer son quotidien. L’ensemble du casting est également excellent : Non, bien entendu, qui interprète Mitsuko, mais également Kento Hayashi, qui parvient à ne jamais paraître uni-dimensionnel dans le rôle-clé de Tada.
Au final, Tempura est sans doute la vraie bonne surprise de l’été 2022… et l’un des meilleurs films qu’il nous ait été donné de voir ces deux dernières années malgré quelques longueurs lors du second acte en raison d’une structure qui manque parfois un peu de lisibilité, même si elle épouse l’évolution de son héroïne. Optimiste, plein de fantaisie et dans le même temps poignant et mélancolique, il recèle d’autant de facettes que cette jeune Japonaise à l’imagination débordante, tout en étant exigeant et maîtrisé, dans son écriture comme à la caméra.