Signé Chanel est un documentaire en cinq épisodes de vingt-cinq minutes réalisé pour ARTE en 2005. Son réalisateur, Loïc Prigent, est spécialisé
dans le domaine de la mode puisque c’est également à lui que l’on doit la série de documentaires qui avaient été diffusés au début de l’année sur la chaîne franco-allemande… Documentaires (dont
l’un sur Jean-Paul Gaultier) dont j’avais malheureusement raté la diffusion et que je ne suis toujours pas parvenue à voir.
Un regard singulier sur la mode
Si les coulisses de ce milieu particulier que constitue la haute couture (ou même le prêt-à-porter de luxe) peut à priori rebuter certaines personnes, qui auraient tendance à juger le sujet
futile, commercial, etc., il est pourtant bon de préciser que cet excellent documentaire ne s’adresse pas uniquement aux accros de la mode et est à même d’intéresser et étonner des personnes
qui ne sont pas particulièrement sensibles à l’univers des grands créateurs.
Signé Chanel suit en effet la conception de l’une des neuf collections de l’année de la maison Chanel (la collection Haute Couture en l’occurrence), du
moment où Karl Lagerfeld remet ses croquis aux ateliers jusqu’au soir du défilé (soit un tout petit mois !!) et une grande partie du documentaire s’attache aux couturières
et chefs d’ateliers et non au milieu de la jet set (dont on a surtout un aperçu dans le dernier épisode au moment du défilé).
Les différents intermédiaires nous sont présentés : outre les couturières et chefs d’atelier, nous suivons également les attachées de presse, chefs des différents services, jusqu’au
chauffeur chargé de livrer une veste à une passementière en pleine campagne (l’incroyable Mme Pouzieux), la personne à l’accueil ou encore les personnes assurant la sécurité lors du défilé. Un
panorama impressionnant qui donne une idée du nombre de personnes nécessaires à la réalisation de la vision du couturier allemand, toujours discret et mystérieux dans le documentaire même mais
qui ouvre de ci de là des portes qui nous permettent d’avoir une image différente, plus pragmatique, du personnage aussi excentrique que guindé dont nous connaissons tous la silhouette.
Karl Lagerfeld: un artiste à l’oeuvre
Lagerfeld, toujours vêtu de son éternel costard, de ses lunettes noires et de sa queue de cheval apparaît plus accessible et chaleureux qu’on aurait pu l’imaginer, passionné et
exigeant mais certainement pas tyrannique, appréciant à leur juste valeur ses « petites mains » qui l’inspirent… Particulièrement satisfait du travail d’une couturière qui avait ajouté
quelque chose à une robe, on le voit par exemple modifier le croquis de celle-ci de manière à développer l’idée qui semblait ébauchée par le travail de son employée.
On prend alors toute la mesure de l’importance des ateliers pour les créateurs : les employés ne sont pas simplement là pour effectuer le travail comme à l’usine mais insufflent
également aux créateurs une énergie créative. Les couturières disent certes clairement qu’elles ne sont là que pour coller au plus près de la vision de Karl et lui donner vie et
elles suivent en effet ses instructions à la lettre, même celles qui interviennent à quelques jours du défilé et semblent « impossibles », cependant, du croquis dessiné au modèle
fini, il y a de nombreuses étapes et différents ateliers impliqués et nous voyons peu à peu le dessin original prendre vie, évoluer et Lagerfeld, découvrant le travail des
couturières, fait logiquement évoluer son idée initiale, rajoutant des détails, affinant d’autres… En cela, il y a quelque chose de magique dans ces images, que l’on soit fan de mode ou non. La
passion des protagonistes pour leur travail transparaît, même dans les dernières heures de rush où tout le monde peste.
Les couturières à l’honneur
Un autre point qui m’a marquée est le contraste affiché entre l’image de luxe de la maison Chanel et le côté très simple des couturières, franches et sans chichis. Les
conversations pendant les heures de travail, les veillées nocturnes ou pendant le défilé pour les employées pourraient avoir lieu dans n’importe quelle entreprise en France. Lors du défilé
justement, tandis que près du podium, la jet-set et la presse s’extasient sur les modèles, les employées, réunies dans une salle contiguë (les mannequins défilent devant elles avant de rejoindre
le podium), voient tous les détails sur lesquels elles ont passé des jours et des nuits entiers et que personne d’autre ne pourrait remarquer (le col d’une robe mal mis par une des
mannequins par exemple).
Quant aux gallons des fameux tailleurs en tweed, ils sont réalisés depuis des années par Mme Pouzieux, une couturière de soixante-seize ans qui vit dans une grande ferme dont elle s’occupe toute
seule ! Elle a en effet une technique unique au monde que personne n’a réussi à reproduire jusque-là, ce qui lui vaut les faveurs de la maison. Franche et très drôle, il s’agit d’une des
protagonistes les plus étonnantes, débordant d’énergie malgré ses mains pleines d’arthrose et son dos voûté. Lorsque Loïc Prigent nous la présente pour la première fois, il va
bientôt pleuvoir et elle s’en va aussitôt dans ses champs pour ramasser les bottes de foin : « La maison Chanel attendra ! Ca, c’est plus important que tout le
reste ! » s’exclame-t-elle. Lors des dernières semaines, on la verra faire nuit blanche sur nuit blanche et déclarer l’air de rien à un réalisateur stupéfait qu’elle ne dort que deux
heures par nuit pour tenir les délais.
Signé Chanel est donc un documentaire passionnant et attachant que je recommande vivement, ne serait-ce que pour avoir une vision différente du milieu des créateurs de
luxe, vu ici sous un angle singulier. Une fois encore, le côté pragmatique et assez intimiste joue en faveur du sujet, Prigent ne se contentant pas de montrer un univers de
rêve luxueux et inaccessible mais les moyens mis en œuvre pour accomplir celui-ci, qui tient d’un véritable travail d’orfèvre.