Le 64ème Festival de Cannes vient tout juste de s’achever avec la révélation du palmarès lors de la cérémonie de clôture et déjà, on est sûrs de voir des débats passionnés se tenir
entre cinéphiles et journalistes. Je ne pouvais pas éviter de poster un petit article, même si non, je ne me trouvais en effet pas sur place. J’aurais donc du mal à commenter l’ensemble du
palmarès. Mais, grâce aux sorties cinéma le jour même de leur présentation sur la Croisette, j’ai pu découvrir le magnifique The Tree of Life, récompensé de la Palme d’Or,
le très bon Minuit à Paris de Woody Allen (en cliquant sur le
lien, découvrez ma critique rédigée pour aVoir-aLire) et le sympathique Pirates des
Caraïbes 4 : la Fontaine de Jouvence, présenté comme le Allen hors-compétition, qui évite le naufrage attendu tout en conservant la même formule que le 1.
L’année de toutes les passions
Je ne sais pas si c’est moi qui dormait en 2010, mais j’ai l’impression que cette année, les films sélectionnés ont déclenché les passions de manière bien plus vive que lors de la 63ème édition.
Malgré quelques films contestés, qui ont divisé la critique (comme Michael de Markus Schleinzer, film sur la pédophilie qui a déclenché des réactions
violentes ou très mitigées), les très bons films semblaient pleuvoir, à tel point que les paris allaient bon train sur les résultats du palmarès. Pedro Almodovar, qui n’avait
jusque-là jamais remporté la Palme d’Or, était ainsi donné comme un des meilleurs prétendants à la récompense suprême pour son thriller, magnifique et très choc selon l’avis de beaucoup,
La piel que habito. Il sera finalement reparti bredouille.
Maïwenn, lauréate du Prix du Jury pour Polisse, avait également emballé de nombreuses personnes avec ce film se déroulant dans les coulisses de la
Brigade de Protection des Mineurs. Et puis, il y avait également The Artist de Michel Hazanavicius (un des films de la sélection que j’ai hâte de voir),
film muet en noir et blanc avec Jean Dujardin et Bérénice Béjo, Drive de Nicolas Winding Refn (qui a divisé mais pas
tant que ça)…
Kirsten Dunst récompensée, von Trier écarté
Avant ses déclarations en conférence de presse
mercredi dernier, Lars von Trier était également donné comme l’un des grands favoris avec son Melancholia, peut-être l’un de ses films les mieux reçus
sur la Croisette avec Breaking the Waves (1996) et Dancer in the Dark (2000). Bien que ce drame psychologique et onirique se terminant par la
fin du monde ait pu rester en compétition, tout le monde était conscient que tout prix autre que celui d’interprétation féminine aurait créé un tollé… même si le film en lui-même n’a, de l’avis
de tous, rien à se reprocher.
Kirsten Dunst a donc remporté son premier prix d’interprétation féminine pour le rôle principal et cela n’est que justice puisque l’immense talent de la comédienne n’a pas
toujours été reconnu à sa juste valeur. A l’issue de la projection, tout le monde s’accordait à saluer son impressionnante performance, ce que je ne peux que croire. Il faut rappeler que
Lars von Trier est un très grand directeur d’actrices, qu’il a toujours portées aux nues dans ses films (contrairement à une idée reçue tenace) et, bien qu’éprouvante en raison
de l’intensité de ses scripts, l’expérience leur a presque toujours porté chance. Ainsi, Emily Watson (Breaking the Waves), Björk
(Dancer in the Dark) et Charlotte Gainsbourg (Antichrist) avaient toutes trois remporté le prix d’interprétation
féminine… seule Nicole Kidman avait échappé à la récompense pour Dogville (2003), sans doute de justesse. Malgré la polémique qui risque d’éclipser le
film lui-même lors de sa sortie en salles en août prochain, j’ai véritablement hâte de découvrir ce nouveau long-métrage, qui semble prolonger les partis pris esthétiques d’Antichrist, qui étaient très différents de ses précédents films, à
l’approche documentaire.
Tree of Life : une Palme d’Or (méritée) malgré des avis partagés
The Tree of Life de
Terrence Malick a énormément divisé la critique par ses partis pris extrêmes, qui ont réussi à décontenancer certains fans, pourtant ardus. Lars von Trier
officieusement hors course pour la récompense suprême, beaucoup pariaient sur le film du cinéaste américain, génie reconnu mais jamais auréolé d’une telle distinction. Même les déçus ne pouvaient
nier l’ambition hors norme (prétentieuse ont dit certains) de cette épopée familiale et cosmique et la beauté des images. De plus, avec Robert De Niro, admirateur du
cinéaste, en président du jury, cela semblait approprié. Et c’est bien Tree of Life qui a décroché la Palme.
J’aurai l’occasion de vous en reparler ultérieurement dans ma critique du film, mais j’ai pour ma part adoré ce nouveau
Malick, à la fois cohérent avec le reste de son oeuvre mais différent. La première demi-heure est sans doute celle qui m’a le plus déstabilisée, pas forcément à cause de la
séquence abstraite dans le cosmos ni à cause de l’aspect contemplatif, mais au niveau du rythme, du montage, trop extrêmes dès le départ, un peu confus, frôlant le too much avant de nous
avoir véritablement embarqués dans l’aventure. Cependant, pour la suite, rien à dire : les images sont sublimes mais le film en lui-même (son histoire, son discours, son intensité) l’est
tout autant.
La nature, le divin… confusion morale ?
J’avais pu
lire ça et là (y compris de la part de chroniqueurs avec lesquels je suis rarement en désaccord) que le fond du film, surtout sur la fin, était « moralement suspect », voire réac’ et je ne savais
pas à quoi m’attendre. Au final, je n’ai pas compris ces réactions… et pourtant, dès qu’il s’agit de religion, je tique très facilement s’il y a quelque chose d’un peu arriéré ou tout
simplement d’un peu trop pieux. Cela m’aurait encore plus gênée de la part d’un cinéaste comme Malick. Certes, on a droit à une imagerie chrétienne à la fin (mais qui aurait
reproché cela à Pasolini, par exemple ?) mais, dans le fond, rien ne prête à confusion. Je pense surtout que le cinéaste étant connu et adoré pour sa conception et sa
représentation de la nature, certaines personnes ont pu croire que cette fin tournait le dos à ses idéaux… oubliant par là-même que Malick n’a jamais été manichéen (au sens
nature = gentille contre homme/religion = méchant) et que son sens du divin et du sacré chez l’être humain a toujours été là. La nature n’est pas absente ou reniée pour moi, le héros parvenant à
mêler les deux (le père et la mère) pour trouver paix et harmonie. Et, bien que difficile et un peu long par moments, je suis persuadée que Tree of Life sera réévalué
par la suite, comme une bonne partie des Kubrick (y compris 2001) ont pu l’être.
Au niveau de la cérémonie en elle-même, mention spéciale à Robert De Niro, qui a tenu à faire son discours en français avant la révélation du palmarès. Ce dont il s’est acquitté
avec difficulté mais humilité. J’ai pour ma part adoré le « champignons » au lieu de « compagnons » (les membres du jury) : so cute, comme diraient les Américains.
Jean Dujardin s’agenouillant devant lui avant de venir récupérer son trophée (yees ! Un grand acteur enfin officiellement reconnu) était également un moment jubilatoire qui
a remporté un grand succès. Quant à Mélanie Laurent, je dois avouer que son discours au début de la cérémonie de clôture ne m’a pas convaincue. Je n’avais pas vu sa prestation
lors de l’ouverture, mais là, je n’ai pas eu l’impression qu’elle était à l’aise et je ne l’ai pas reconnue dans son phrasé, un peu trop plat.
Dans tous les cas, c’est maintenant avec grande impatience que j’attends la sortie en salles des films sélectionnés, qu’il s’agisse de Melancholia, The
Artist, La piel que habito ou Polisse, pour ne citer que ceux-là.
Note : Dès demain, retrouvez mon
article en quatre parties (oui, vous me connaissez, quand je suis partie sur un sujet, rien ne m’arrête !) sur la polémique autour des propos de Lars von Trier. J’ai bien sûr
été choquée d’apprendre la chose mercredi, d’autant plus qu’il s’agit d’un de mes cinéastes préférés. En regardant la vidéo de la conférence en entier néanmoins, j’ai pu me rendre compte que ses
paroles avaient été tronquées dans les médias, et le contexte (les questions qui lui avaient été posées) généralement écarté. Même si cela n’excuse rien, j’ai eu le sentiment (confirmé ensuite
par plusieurs interviews anglo-saxonnes qui n’ont pas vraiment fait surface chez nous) qu’il s’agissait d’un très mauvais humour provocateur en réponse à un amalgame fait par la journaliste qui
l’interrogeait et qu’il voulait signifier quelque chose de bien différent qu’un hypothétique amour pour Hitler.
Sur un tel sujet, évidemment, personne n’a droit à la moindre erreur (et encore moins dans un lieu tel que Cannes) et il aurait dû mûrement réfléchir à la façon de formuler ses propos ou
s’abstenir plutôt que d’avoir des paroles qui ont été prises au pied de la lettre en raison de la grande confusion de leur formulation. En l’état, il s’agit d’une insulte à des millions de
personnes. Mais il m’a semblé important, alors que les articles véritablement de fond sur le sujet sont quasi-absents des médias, d’analyser un peu plus en avant cette conférence et l’oeuvre en
elle-même du cinéaste, anti-fasciste quoi qu’on en dise. L’occasion aussi de revenir, dans la dernière partie de l’article, sur l’inquiétant phénomène
de la montée du fascisme en Europe, bel et bien réel. Un phénomène que le cinéaste Danois aura très malencontreusement mis en avant… mais qui avance de manière bien plus insidieuse que ces
paroles choc tenues à Cannes.