Caractéristiques
- Titre : Dalida
- Réalisateur(s) : Lisa Azuelos
- Avec : Sveva Alviti, Riccardo Scamarcio, Jean-Paul Rouve, Nicolas Duvauchelle, Patrick Timsit, Vincent Perez
- Distributeur : Pathé Distribution
- Genre : Biopic
- Pays : France
- Durée : 124 minutes
- Date de sortie : 11 janvier 2017
- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Un biopic qui se justifie ?
Après le très bon Cloclo de Florent-Emilio Siri en 2012, quoi de plus logique qu’un biopic sur l’autre grande figure de la variété française, des années 50 à 70, Dalida ? Si sa musique n’est pas franchement adulée des jeunes générations et a plutôt tendance à être considérée comme ringarde, la vie, la carrière et les amours de Iolanda Gigliotti avaient tout pour inspirer le cinéma et donner lieu à un film beau et tragique sur une artiste qui fut portée aux nues, moquée et insultée avant de rejoindre le patrimoine de la culture populaire française. Une femme fragile, mais à la forte personnalité, en avance sur son temps tant dans sa vie privée que dans la gestion de sa carrière, qui connut un destin funeste, rongée par la solitude, la dépression et un besoin d’être aimée comme la femme et non la star qu’elle était.
Pour rendre justice à cette personnalité hors norme, Lisa Azuelos, dont les précédents longs-métrages possédaient une tonalité quelque peu différente (LOL, Comme t’y es belle…), a fait appel à une mannequin italienne inconnue au magnétisme troublant, Sveva Alviti, qui incarne une Dalida plus fine, à la beauté plus classique, mais époustouflante de justesse, dans laquelle on retrouve la chanteuse disparue, le strabisme en moins. Si les tatillons regretteront cet ajustement, on ne saurait reprocher à la réalisatrice de ne pas avoir affublé son actrice de prothèses et de ne pas l’avoir poussée à cabotiner : c’est les attitudes, la personnalité et les tourments de l’artiste qui l’intéressent ici, et Sveva Alviti, en se concentrant sur ces éléments prépondérants plutôt que sur la manière de loucher tout en chantant en playback, parvient à atteindre une authenticité qui porte le film et le rend véritablement émouvant. Son interprétation ne se donne pas (à quelques passages près) comme une performance, et l’on peut d’ores et déjà parier que l’actrice, peu importe son parcours par la suite, ne souffrira pas du syndrome Marion Cotillard, autant louée que moquée pour son jeu très expressif dans La Môme.
Une structure mettant l’accent sur les ombres de Dalida la femme
Articulé autour de la première tentative de suicide de Iolanda, à l’âge de 34 ans, et qui laisse deviner de manière tragique sa disparition vingt ans plus tard, après avoir ingéré des barbituriques et de l’alcool, Dalida nous happe dès le départ et ce durant toute la première moitié du film. Que l’on apprécie le répertoire mi-guilleret mi-dépressif de la chanteuse ou qu’il nous rappelle douloureusement certains mariages rythmés par des tubes kitsh, que l’on soit sensible ou non à ce qu’elle incarnait pour le public, le biopic est réalisé de telle sorte que le spectateur oublie rapidement ses préjugés et se laisse simplement happer par l’histoire de cette femme, émouvante et à mille lieux de l’image de l’artiste ringarde à laquelle on veut trop souvent la réduire. Si le rapport de la femme à sa persona de star est bien sûr au centre du film, de nombreux passages montrent la personnalité privée de Dalida, Iolanda, bien loin de la chanteuse tourbillonnant en robe lamée. Et ce sont bien ces moments qui donnent sa texture et son épaisseur au film de Lisa Azuelos, qui n’est pas exempt de quelques maladresses ou lourdeurs de-ci de-là.
Si la première partie, qui s’ouvre au lendemain de sa tentative de suicide en 1967 et alterne avec des flash-backs sur son enfance douloureuse et le début de sa carrière, est d’une intensité remarquable, la seconde, et plus particulièrement le dernier tiers du film, est bien plus lâche dans sa structure, donnant lieu à quelques longueurs. Autant les épreuves auxquelles est confrontée la star durant cette première partie nous interpellent grâce à un montage habile et pertinent, une réalisation inspirée qui n’en rajoute jamais dans le style et des récits amoureux touchants, autant la seconde moitié nous perd parfois en route dès lors que le personnage de Richard Chamfray, interprété par Nicolas Duvauchelle, entre en scène.
Une seconde partie plus faible
Non pas que l’acteur soit à blâmer, mais la réalisatrice semble moins intéressée par cette histoire qui dura 9 ans, et qui se téléscope avec le revirement disco de la star dans les années 70. La vie de Dalida connut de nombreux rebondissements de cette décennie jusqu’à sa mort en 1987, et les coupes dans sa biographie se font plus franches, se concentrant d’une part sur cette relation difficile avec un homme amoureux mais volontiers mythomane, jaloux et égoïste, d’autre part sur le nouvel élan donné à sa carrière, sous l’impulsion de son frère Orlando, alors que certains prédisent son déclin, mais également, encore une fois, sur son éternelle solitude, la dépression, le retour de la mort, qui prend des airs de malédiction… Il n’était sans doute guère évident d’aborder la dernière partie de la vie de la star, alors que l’après-tentative de suicide, dans les années 60, malgré la souffrance évidente, ouvrait sur un réel espoir. Il fallait parvenir à amener la femme vers cette fin choisie, sans sortir les violons, sans écarter les différents aspects de sa vie à cette période, sans recourir aux clichés.
Lisa Azuelos a effectué des coupes dans son scénario lors du tournage, retiré des séquences de flash-backs, selon ses dires. On ne saura probablement pas où étaient situées ces scènes coupées, mais Dalida étonne quelque peu par sa structure linéaire et assez redondante lors de sa seconde partie, dépourvue (ou presque) de tout flash-back, jusque dans sa conclusion, attendue puisque tout le monde connaît la fin de l’histoire, et qui s’achève de manière étonnamment abrupte. Alors bien sûr, on veut bien croire la réalisatrice qu’il y a un avant et un après pour toute personne qui fait une tentative de suicide ; la structure de la première partie est d’ailleurs très juste à ce propos. Mais envoyer le générique après un simple mot manuscrit de la star, qui vient d’ingérer des barbituriques et pour qui la vie était devenue « insupportable », n’est-ce pas une forme de paresse, mais aussi une manière de réduire (involontairement) sa personnalité à cette décision finale et ce destin tragique ? Pourquoi ne pas avoir recouru une nouvelle fois au flash-back pour boucler la boucle thématiquement, de manière moins sèche ?
Redécouvrir le répertoire de Dalida sous un autre jour
Si cette fin et ces quelques points déconcertent quelque peu, cela ne retire cependant en rien les qualités réelles du film, qui parvient à utiliser les plus grands tubes du répertoire de la chanteuse (une bonne trentaine) avec à propos, en les replaçant dans leur contexte, ce qui nous permet de les redécouvrir sous un autre jour, moins simpliste. La scène-clé où Dalida interprète face à un Olympia bouche bée d’émotion le « Je suis malade » de Serge Lama alors que son ex-mari, Lucien Morisse, qui l’a découverte, vient de se suicider, est d’une force émotionnelle telle qu’il est difficile d’y résister. Sveva Alviti se montre là encore terriblement convaincante, et l’on ne saura guère étonnés d’apprendre que Lisa Azuelos l’a choisie après l’avoir auditionnée sur cette scène. Quant à la chanson « De l’amour, de l’amour », elle devient d’un coup moins gentillette et bien plus ironique lorsque l’on apprend dans quelles circonstances ce duo avec Richard Chamfray fut enregistré.
C’est donc un film imparfait, mais finalement touchant que nous propose Lisa Azuelos avec Dalida. Moins nerveux et inspiré que le Cloclo de Siri, avec quelques petits ratés sur les numéros musicaux du dernier tiers (ouch, le plan en plongée tourbillonnant !) et quelques parti pris déconcertants, ce biopic parvient néanmoins à retracer la vie et la carrière de l’artiste dans ce qu’elle a pu avoir de plus douloureux, en mettant en avant son cheminement personnel et spirituel, autant sur le sens de sa vie que sa vision de la mort. La réalisatrice réussit également le pari (qui était loin d’être gagné) de traduire à l’écran ce qui rendait Dalida unique malgré les nombreuses critiques dont elle fut l’objet, et même avant-gardiste, en dépit de l’image kitsch à laquelle on a souvent tendance à l’associer spontanément.
En prenant quelques libertés dans la reconstitution ou par rapport à l’apparence de la star, Lisa Azuelos nous donne à voir Dalida telle que la voyait le public de l’époque : une artiste populaire mais atypique, qui ne ressemblait à aucune autre et prit le risque de la modernité alors que certains étaient prêts à la remiser au musée des années 50-60. Porté par l’interprétation incandescente de Sveva Alviti, un Jean-Paul Rouve étonnant et touchant dans le rôle du Pygmalion possessif et vulnérable à la fois et un Ricardo Scamarcio plus vrai que nature dans le rôle d’Orlando, ce biopic s’avère agréablement prenant et parviendra à capter l’attention d’un public hétéroclite… y compris des spectateurs qui, comme l’auteure de cet article, ont d’habitude tendance à prendre la fuite lorsqu’un tube de la star résonne sur les ondes.