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[Exposition] Photo et patrimoine à l’Abbaye Royale de l’Épau

image affiche saison photo sarthe 2017 expo abbaye royale de l'épau le mansA moins d’une heure de train de Paris, en plein coeur du Pays de la Loire, l’Abbaye Royale de l’Épau, près du Mans accueille depuis le 13 mai et jusqu’au 5 novembre prochain la 5e saison photographique du département de la Sarthe, entre ses murs, mais aussi parmi ses 13 hectares de jardins. L’occasion de découvrir sous un autre jour ce magnifique exemple de l’architecture cistercienne, classé monument historique de notre patrimoine, grâce aux oeuvres de photographes contemporains autour du thème de la citoyenneté.

Un monument historique de toute beauté

Pour les visiteurs peu familiers du Mans et ses environs, découvrir le splendide domaine caché où se trouve l’Abbaye Royale de l’Épau est une expérience surprenante. Sortis de la gare TGV, puis du tramway qui nous amène à destination, nous nous trouvons tout d’abord au coeur d’un quartier HLM rural tristoune comme il y en a des tas, nous marchons quelques minutes, apercevons un portail dans un lotissement abrité par le feuillage des arbres, un peu à l’écart et, quelques instants plus tard, nous voici propulsés dans un tout autre lieu, et presque un autre temps ! L’Abbaye Royale de l’Épau, fondée en 1229 par la Reine Bérengère de Navarre, mariée à Richard Coeur de Lion, à la disparition de son époux, est un imposant édifice, aux lignes harmonieuses, dont la construction ne s’acheva qu’en 1365. Brûlée par les Manceaux lors de la guerre de Cent Ans de peur que l’ennemi ne s’en serve de siège, elle sera reconstruite au XVe siècle et a survécu à la Révolution ou encore la Seconde Guerre Mondiale, malgré de nombreux dommages successifs.

Entièrement rénovée à partir de 1958 (les travaux s’étendront jusqu’en… 2008 !), elle a maintenant retrouvé sa splendeur d’origine et permet de profiter d’un beau moment d’évasion et d’Histoire. Le domaine champêtre au coeur duquel elle est située assure un dépaysement total, à quelques minutes du centre-ville. Il n’est donc guère étonnant que le département de la Sarthe, attaché à valoriser son patrimoine, ait choisi ce lieu comme cadre principal de sa 5e saison photographique, mettant cette année en lumière le travail de 10 photographes dans l’enceinte de l’Abbaye.

Des accrochages en plein air autour de la nature et la famille

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L’accrochage L’arc-en-ciel de Gaza de la photographe Virginie Nguyen Hoang. © Culturellement Vôtre

Avant de pénétrer à l’intérieur des murs pour admirer les trois grandes expos photo de Rip Hopkins, Denis Bourges et Matthieu Ricard, nous commençons par nous aventurer dans le vaste parc de l’Abbaye, où sont disséminées les oeuvres de 6 photographes, placées chacune de manière à s’insérer de manière vivante dans le décor. C’est ainsi que l’on y trouvera les photos des artistes qui se sont intéressés à la nature et l’environnement : Philippe Boyer et ses Abeilles sauvages, dont les clichés sont disposés sur des panneaux dans une disposition évoquant la forme d’un essaim, Daniel Beltrá et son Spill, regard saisissant sur la catastrophe écologique survenue dans le Golfe du Mexique en 2010 suite à l’explosion d’une plateforme pétrolière, ou encore Georges Pacheco, qui a mis en scène des élèves de Terminale du lycée agricole La Germinière de Rouillon, afin de capter leur vision sur leur futur métier.

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L’accrochage de Spill, le travail photographique de Daniel Beltrá autour de la catastrophe pétrolière au golfe du Mexique. © Culturellement Vôtre

Parmi ces accrochages permettant de parcourir tranquillement le parc par un après-midi ensoleillé, celui de l’Espagnol Daniel Beltrá retient plus particulièrement notre attention par la terrible beauté de ses clichés grand format plongeant au coeur de cette effroyable catastrophe maritime et écologique. Voir la nature ainsi mise à feu et à sang est effroyable mais le photographe s’attache aussi à nous montrer la nature dans toute sa complexité et ses paradoxes : on ne peut ainsi nier la beauté qui se dégage de ces photographies où les touches noires et oranges se détachent avec une puissance sans pareille du bleu profond de l’océan, formant presque une toile abstraite. On pensera alors à La ligne rouge de Terrence Malick, où l’un des soldats américains, en plein combat, se trouve soudain saisi et fasciné par la beauté de la nature, qui transparaît malgré toute l’horreur de la situation. De manière identique, le but du photographe n’est pas d’esthétiser gratuitement la pollution humaine, mais bien de démontrer l’immensité et la force de la nature, qui subsiste même lorsqu’elle est blessée et attaquée. L’immense gâchis constitué par ces catastrophes et leurs grandes traînées de pétrole (spill) n’en transparaît que davantage. Il n’est donc guère étonnant que Daniel Beltrá ait reçu de nombreuses récompenses pour ce travail, comme le prix Wildlife Photographer of the Year, le Lucie Award for International Photographer of the Year ou encore le  prix Prince Rainforest Projects.

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L’un des accrochages de Georges Pacheco, au sein d’une cabane ouverte dans le parc de l’abbaye. © Culturellement Vôtre

L’affichage de Georges Pacheco est également intéressant par sa scénographie (les clichés présentés dans une petite cabane ouverte, notamment) et, surtout, le regard décalé et plein d’humour qu’il porte sur l’agriculture et son avenir, représenté par ces jeunes lycéens qui se trouveront bientôt confrontés à la réalité d’un métier aussi difficile que nécessaire. Les photos d’abeilles et de fleurs en macro de Philippe Boyer, jolies mais plus classiques, retiennent moins l’attention au sein de cette sélection, même si les textes d’explication accompagnant chaque panneau nous apprendront quelques informations intéressantes sur ces insectes que l’on ne connaît pas aussi bien que ça , pour un instant pédagogique en famille.

Enfin, les photographes Boris Wilensky (dont l’une des photos illustre l’affiche de l’événement), Virginie Nguyen Hoang et Uwe Ommer se sont davantage intéressés à la famille et l’enfance à travers le monde afin d’illustrer leur vision de la citoyenneté, qui transcende les frontières géographiques et les origines ethniques. En 8 photos chacun, accrochés le long d’un mur ou directement sur les troncs d’arbres, les accrochages de Boris Wilensky et Virginie Nguyen Hoang portent un regard touchant et vivant, loin des clichés, sur la vie d’enfants des rues pour l’un, et sur ceux d’un quartier arc-en-ciel de la bande de Gaza pour l’autre. Quant à Uwe Ommer, ses nombreux portraits de familles pris aux quatre coins du globe sont présentés sur de grands panneaux, avec une présentation de chaque membre, et un récapitulatif de leur histoire, de leurs conditions de vie, parfois très éloignées les unes des autres, afin de montrer que la famille demeure une notion universelle, quelle que soit notre culture. Le résultat, s’il n’est pas le plus marquant d’un strict point de vue photographique, interpelle par son dispositif et son côté décalé.

Indiens Lakota, médecins de campagne, aristocratie belge et recueillement

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Quelques-uns des clichés de Guy le Querrec présentés au Scriptorium de l’Abbaye Royale de l’Épau, tirés de la série Sur la piste de Bigfoot réalisée en 1990. © Magnum Photo/Guy le Querrec

Situé un peu à l’écart, dans le Scriptorium, l’exposition Sur la piste de Big Foot de Guy Le Querrec saisit les indiens Lakota remontant les traces de leurs ancêtres, un siècle exactement après leur massacre à Wounded Knee, durant l’hiver 1890. Un travail photographique d’exception, en noir et blanc, qui donna lieu à un livre aux éditions Textuel, commenté par le grand auteur américain Jim Harrison, qui salua l’oeuvre du photographe par ces mots : “Je trouve passablement ironique que ce soit un Français qui ait pris les plus belles et les plus authentiques photographies des Indiens d’Amérique que j’ai jamais vues. Guy le Querrec  l’oeil splendide mais impitoyable d’un tragédien”. On ne saurait mieux dire tant les photos de l’artiste, que nous connaissions (elles ont été prises en 1990 et ont beaucoup tourné) dégagent une incroyable force d’évocation, où la beauté se mêle aux fantômes du passé. Le déroulé de notre visite (et l’accessibilité du bâtiment ce jour-là ?) ne nous aura malheureusement pas permis d’admirer les 31 clichés originaux choisis par Guy le Querrec dans le cadre de cette 5e saison photographique. Ceux-ci sont néanmoins visibles jusqu’au 5 novembre et nous ne pouvons que vous conseiller d’aller les voir, tant le travail du photographe autour de ce sujet précis est incontournable.

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Quelques-uns des nombreux clichés décalés de Rip Hopkins de sa série Belgian Blue Blood autour de l’aristocratie belge. Au premier plan, La princesse de Chimay.

Parmi les 3 autres grandes expositions en intérieur enfin, celles de Rip Hopkins et Matthieu Ricard, fort différentes l’une de l’autre au demeurant, s’imposent comme des incontournables de ce parcours photographique d’une belle diversité. Pour son exposition Belgian Blue Blood, le photographe anglais s’est intéressé à l’aristocratie belge en posant un regard décalé sur ses sujets. Ces clichés hauts en couleurs, traversés par un humour irrésistible, sont d’autant plus frappants que la vision de l’aristocratie qui s’en dégage est fort différente de celle que nous en avons en France. La noblesse belge représente actuellement 25 000 personnes, réparties au sein de 1100 familles, un tiers seulement puisant ses racines dans la noblesse de l’Ancien Régime ; une vingtaine de Belges de différents horizons sont par ailleurs anoblis chaque année par le roi. En s’inspirant des portraits traditionnels peints par les grands maîtres, tout en ancrant ses sujets dans le présent et en s’attachant à faire ressortir leur personnalité sur un mode humoristique, Rip Hopkins accouche de photos aussi surprenantes que colorées, semblant tout droit sorties d’un film de Wes Anderson, autant par l’auto-dérision qui les traverse que par le sens du cadrage, qui permet à chaque cliché de véritablement raconter une histoire.

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L’un des accrochages des photographies de Matthieu Ricard au sein de l’abbatiale de l’Abbaye Royale de l’Épau. © Culturellement Vôtre

La sélection de clichés du moine bouddhiste Matthieu Ricard au sein de l’Abbatiale de l’Abbaye est quant à elle un bel exemple de la manière dont patrimoine et photos contemporaines se mêlent, au sein de cette 5e saison photographique, l’un mettant en valeur l’autre, qui apporte en retour une appréciation différente des lieux. On ressens en effet une réelle beauté à voir ces clichés de la vie dans les hauteurs de l’Himalaya accrochés avec beaucoup d’à propos dans cette chapelle cistercienne. Deux religions, mais une idée commune de la dimension sacrée de la vie, débouchant sur un profond sentiment d’émerveillement et de sérénité. Les photos de l’artiste, qu’elles soient en noir et blanc ou révèlent des couleurs éclatantes, rendent hommage au vivant et à l’humain avec une acuité toujours aussi forte. Faire le tour de l’abbatiale en prenant le temps de s’arrêter devant ces images, d’admirer les parois et les recoins du lieu, permet ainsi un moment de respiration bienvenu.

Enfin, Médecin de campagne de Denis Bourges vaut par le témoignage brut et humain qu’il donne d’une activité malheureusement en voie de disparition dans le milieu rural. A travers ces clichés réalisés en 2000, puis en 2009, le photographe, qui a suivi son propre père, puis son jeune remplaçant, donne à voir le rapport de proximité et de confiance qui s’établit avec les patients de tous âges, enfants comme personnes âgées isolées.

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L’Abbaye Royale de l’Épau et son parc. © Culturellement Vôtre

Voilà donc un événement photographique d’une belle qualité, brillant autant par la diversité de sa sélection que son exigence. Si certains univers toucheront davantage une corde sensible en fonction des visiteurs, chaque point de vue éclaire à sa manière la thématique de la citoyenneté retenue pour cette 5e saison photo du département de la Sarthe, sans jamais faire preuve d’un didactisme bon teint. On trouve des styles et des partis pris marqués, certains plus flamboyants ou décalés que d’autres, mais animés d’une réelle volonté de partager un regard sur le monde, en en embrassant toute la complexité.

Cette manifestation culturelle ayant pour cadre l’Abbaye Royale de l’Épau, qui voit ainsi son patrimoine mis en avant de très belle manière, créant un échange entre passé et présent, c’est également l’occasion de découvrir son splendide domaine de 13 hectares, voire de se laisser tenter par une visite guidée. A noter qu’en dehors de ces expositions, dont la majeure partie s’achèveront le 5 novembre (à l’exception de Rip Hopkins, Matthieu Ricard et Denis Bourges, présentés jusqu’au 17 septembre), la saison photographique se poursuit hors les murs, notamment au Prieuré de Vivoin, sur les grilles de l’Hôtel du Département du Mans, ainsi qu’à la gare SNCF.

Saison photo 2017, du 15 mai au 5 novembre 2017, Abbaye Royale de l’Épau, 72530 Yvré-l’Évêque. Tarifs (entrée) : gratuit pour les moins de 10 ans, 3€ pour les enfants. Adultes : 5,5€ (plein tarif), 4€ (tarif réduit). Informations pratiques et réservations ici. Informations complémentaires sur la saison photographique et les événements hors les murs sur le site officiel de la Sarthe.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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