Voilà déjà bientôt 3 ans que l’Ile-de-France et la Normandie proposent des Voyages impressionnistes dans leur offre touristique, afin de mettre en avant ce patrimoine exceptionnel qui fait encore aujourd’hui la renommée de la peinture française. Cézanne, Manet, Monet, Degas, Van Gogh, Pissaro, Sisley, Morisot… Tous ont puisé leur inspiration dans ces lieux, et y ont laissé une trace indélébile. C’est donc l’occasion pour les départements de faire découvrir le mouvement impressionniste sous un angle particulièrement vivant, en permettant aux touristes de découvrir les paysages et lieux dans lesquels les artistes ont puisé leur inspiration, mais aussi en leur faisant visiter les maisons et auberges où ils ont vécu — certaines ayant été transformées en musées, ou étant signalées par une plaque — et les histoires particulières de ces lieux et des personnes les ayant côtoyées.
Sans compter, bien entendu, les nombreuses expositions et événements rendant hommage à ce mouvement, décrié par les tenants du « bon goût » à l’époque (lire à ce sujet notre article sur le beau livre Les impressionnistes par eux-mêmes) et depuis reconnu comme une période charnière de l’histoire de l’art en France, qui ne manqua pas d’avoir un impact hors de nos frontières. L’an dernier, nous vous faisions ainsi découvrir le festival Normandie Impressionniste.
Alors que le musée d’Orsay, qui abrite la célèbre galerie impressionniste, a inauguré au début de l’été l’exposition Portraits de Cézanne, qui se tiendra jusqu’au 24 septembre, nous sommes cette fois-ci partis à la découverte des destinations impressionnistes de Seine-et-Marne, de Barbizon à Moret-sur-Loing en passant par un petit crochet à Fontainebleau et sa magnifique forêt, où une stèle ornée d’un splendide médaillon rend hommage à l’amitié des peintres Rousseau et Millet, inséparables dans la vie, et disparus à quelques années d’intervalle. Situés au Sud de Paris, très facilement accessibles par les transports franciliens, ces différents lieux demeurent fortement imprégnés par le passage des impressionnistes, si bien que l’on a souvent l’impression que passé et présent se mêlent tout au long de notre parcours. C’est aussi l’occasion de prendre conscience de la beauté du département de Seine-et-Marne et de ces petits villages idylliques, alors même que les Parisiens, parfois lassés du rythme infernal de la capitale, aspirent souvent à s’évader. Le temps d’un après-midi ou d’un week-end, voici une destination à la portée de tous, permettant d’allier promenades, sorties culturelles et moments de convivialité ou de repos.
Vous trouverez dans ce dossier en deux parties une présentation des différents villages et de leur lien avec l’impressionnisme, mais aussi des suggestions de visites culturelles et des idées pour organiser votre séjour : restaurants, hôtellerie et guides à emporter…
Avant le départ : un petit tour au Musée d’Orsay
Quoi de mieux pour se préparer à une immersion en bonne et due forme dans l’art impressionniste qu’une petite visite au célèbre Musée d’Orsay, entièrement dédié à l’art du XIXe siècle, et abritant la plus grande collection de toiles impressionnistes et post-impressionnistes ? Que vous vous y soyez déjà rendu de nombreuses fois ou non, vous aurez toujours le sentiment de découvrir quelque chose de nouveau, ne serait-ce que parce-que le musée, qui a ouvert ses portes en décembre 1986 sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, prête régulièrement certaines de ses toiles à des musées aux quatre coins du globe. De ce fait, même les guides commentant les visites s’y perdent, puisque les tableaux changent régulièrement de place. Si votre oeuvre préférée n’est pas présente lors de votre passage, votre attention se portera donc sur de nouvelles toiles et vous ne manquerez pas de remarquer de nouveaux détails.
Dans notre cas, ce sont les tableaux de Van Gogh qui retiennent cette fois-ci notre attention, notamment L’Église d’Auvers-sur-Oise vue du chevet (1890) et son étonnante perspective tremblotante, réalisée peu de temps avant sa mort la même année, et qui donne l’impression qu’une partie des murs et du chemin sont en mélasse. Naviguer dans l’allée centrale baignée de lumière du musée avant d’accéder à la galerie impressionniste permet aussi de mesurer le choc provoqué par les artistes du mouvement à une époque où l’académisme, considéré comme l’art officiel, règne en maître et impose sa loi. Ainsi, plusieurs de ces toiles jugées de bon goût (belles mais au style bien plus lisse) sont exposées à cet endroit. C’est d’ailleurs parce-que leurs oeuvres avaient été refusées au Salon officiel et que le pouvoir avait daigné autoriser la tenue d’un « Salon des refusés » que les impressionnistes exposèrent pour la première fois au sein du même espace, en 1863. Monet y fera grand scandale avec son Déjeuner sur l’herbe, que l’on peut désormais admirer au musée d’Orsay, et le sobriquet méprisant d' »impressionnistes », donné par le critique d’art Louis Leroy, finira par être entériné par Renoir en 1877.
Bien entendu, si vous passez au cours de l’été, nous ne pouvons que vous conseiller de visiter l’exposition temporaire Portraits de Cézanne, où sont présentées, de manière chronologique, pas moins de 160 toiles de l’artiste.
Pour une vue imprenable sur Paris avant de se mettre en route, on n’oubliera pas de monter au restaurant du musée, donnant sur une impressionnante terrasse surplombant la ville. Le décor, avec cette immense horloge, vestige de l’époque où le musée était encore une gare, et dont l’ombre nous toise, ne lasse pas de faire son petit effet.
Premier arrêt : Barbizon, le village des peintres
Nous commençons notre séjour en nous arrêtant à Barbizon, surnommé le village des peintres, et situé à tout juste 30 minutes de Paris. Ancien hameau de bûcherons alors rattaché à la commune de Chailly-sur-Bière, Barbizon connaît un tournant lorsque, en 1827, le peintre impressionniste Camille Corot y séjourne afin de trouver l’inspiration. Il sera bientôt suivi de Théodore Rousseau et Jean-François Millet, qui deviendront d’inséparables amis une fois établis dans ce petit bourg tranquille.
La forêt de Bière toute proche — désormais connue comme la forêt de Fontainebleau — les encourage à quitter les murs de l’auberge tenue par les époux Ganne, chevalets au dos et tubes de peintures en bandoulière, pour s’aventurer dans les sous-bois, au bord des étangs, là où la nature s’épanouit et où la lumière est la plus belle. Parmi les nombreuses toiles réalisées par les artistes, on citera Barbizon sous la neige durant l’hiver 1855 d’Eugène Lavieille, Le pavé de Chailly de Théodore Rousseau ou encore Détail d’un tronc d’arbre en forêt (1822) de Jean-Baptiste Camille Corot. Si, pour notre part, nous ne nous enfoncerons pas vraiment en profondeur dans la forêt de Fontainebleau, classée réserve biosphère par l’Unesco et qui possède 300km de sentiers accessibles aux randonneurs, nous irons tout de même à l’orée du bois, par la célèbre « entrée » surnommée La Porte aux Vaches. Là, le feuillage des arbres laisse agréablement filtrer la lumière par temps ensoleillé, et l’on peut y admirer le médaillon incrusté dans la roche réalisé par le sculpteur Chapu en l’honneur de Théodore Rousseau et Jean-François Millet, disparus respectivement en 1867 et 1875. Inséparables dans la vie, le sculpteur a également voulu les réunir dans la mort où, du haut de ce rocher surplombant le sous-bois, ils semblent fixer l’horizon avec complicité.
A visiter : le Musée des peintres de Barbizon
Côté visites culturelles, c’est en toute logique que nous trouvons deux lieux incontournables, réunis au sein du Musée des peintres de Barbizon : l’Auberge Ganne et la maison-atelier de Théodore Rousseau. Nous ne pourrons visiter la seconde, accessible uniquement durant les expositions temporaires, mais assisterons à une visite guidée de la première. Comme mentionné plus haut, l’Auberge Ganne, qui faisait également office d’épicerie, accueillait les nombreux peintres impressionnistes qui séjournèrent à Barbizon dès 1845 dans la foulée de Corot, Rousseau et Millet, pour réaliser études et toiles en pleine nature. Les époux les surnommaient affectueusement les « peint’à’Ganne » et, lors du dîner, il était de rigueur de fumer la pipe du maître des lieux. On disait que la couleur de la fumée indiquait si le peintre faisait partie des « classiques » ou bien des « coloristes ». Le chien de l’auberge, véritable centre d’attention, sera par ailleurs immortalisé par plusieurs peintres dans leurs tableaux. L’arrivée des peintres dans le hameau le transformera peu à peu et, jusqu’en 1875, peintres, sculpteurs, comédiens, écrivains ou politiciens se succèdent à Barbizon. L’auberge, elle, finira par fermer, au profit de la Villa des Artistes et de l’Hôtel de l’Exposition.
Avec ses tableaux et meubles d’époque, disposés de manière à restituer les lieux tels qu’ils étaient du temps des impressionnistes, l’Auberge Ganne nous plonge avec plaisir au coeur d’une époque difficile, mais où les artistes désargentés pouvaient compter sur la solidarité des aubergistes pour les héberger contre un paiement en tableaux, tandis que les militaires de passage avaient droit, eux, au poulet rôti et à la belle vaisselle. De fait, l’auberge regorge de peintures sur bois, mais aussi à même les murs de ses chambres-dortoirs à l’étage, initialement recouvertes par les successeurs des époux Ganne à la fermeture de l’auberge, et mis à jour bien plus tard. Ainsi, dans ces pièces aux murs blancs dénudés, nous avons ici et là la surprise de voir apparaître une tête, partie de motifs de plus grande envergure recouverts au fil du temps. Si l’une des peintures est attribuée à Sheffer, l’identité des auteurs d’autres peintures fait débat. Plusieurs tableaux impressionnistes sont également exposés à l’étage, notamment des toiles d’Eugène Lavieille. A la boutique, on n’hésitera pas à acheter le petit livre illustré L’auberge Ganne de Marie-Thérèse Caille, pour tout savoir de l’auberge et de la peinture à Barbizon en général.
Autre lieu d’intérêt à visiter, devant lequel nous n’avons fait que passer faute de temps : la maison-atelier de Jean-François Millet. Arrivé à Barbizon en 1849, le peintre y mourut donc en 1875, dans sa maison située 27, Grande Rue. Il y peindra certaines de ses oeuvres les plus célèbres, comme L’Angélus ou Les Glaneuses. La demeure, dont la façade et les trois pièces, d’époque, relèvent du domaine protégé, a été convertie en musée privé en 1923 et abrite une collection de toiles originales des maîtres de l’École de Barbizon, mais aussi des dessins, gravures et effets personnels de Millet. Sa galerie propose régulièrement des expositions temporaires.
Barbizon aujourd’hui
Depuis le temps des impressionnistes, Barbizon s’est épanoui : le hameau est sorti du giron de Chailly-en-Bière en 1903 pour devenir une commune à part entière, qui a continué à faire la part belle aux peintres et aux artistes. Son calme champêtre et le charme de ses maisons en pierre recouvertes de lierre en a fait peu à peu un lieu de villégiature prisé des artistes et des hommes d’affaires à la recherche de tranquillité : ainsi, si, autrefois, le village avait accueilli Robert Louis Stevenson et Lady Osbourne, certaines personnalités y possèdent désormais une résidence secondaire, notamment une célèbre star de cinéma française… La commune, qui ne compte qu’à peine plus de 1200 habitants, protège la vie privée de ses résidents, qui sont très attachés à la protection de ce lieu idyllique.
En descendant la Grande Rue, nous passons devant les anciennes résidences de Millet et Rousseau donc, mais également celle de Narcisse Diaz, qui appartient désormais à un propriétaire privé. Et puis, il y a toutes ces petites galeries d’artistes, ainsi que de nombreuses boutiques d’artisans en tous genre, y compris de décoration. En déambulant ainsi à travers ce petit village comme hors du temps, qui évoque tout sauf la région parisienne, on comprend aisément pourquoi ses habitants y ont élu domicile et tiennent à la tranquillité des lieux.
Se restaurer et dormir
Barbizon compte une quinzaine de restaurants, allant du bistrot au gastronomique, en passant par la pizzéria, le pub ou la crêperie. Si vous souhaitez découvrir un établissement possédant une histoire et un charme véritables, nous vous conseillons de vous arrêter à l’Hôtellerie du Bas Bréau. Ancien relais de chasse idéalement situé près de la forêt de Fontainebleau, l’établissement se nommait l’Auberge Siron du temps des impressionnistes et accueillit Robert Louis Stevenson, qui laissa nombre de descriptions et anecdotes au sujet de ces lieux au sein de ses romans.
Les peintres impressionnistes étaient également des fidèles de l’établissement, qui exposait en permanence leurs tableaux, tant et si bien que Monsieur Siron finit par renommer son auberge Hôtel de l’Exposition. La légende veut également que Napoléon III et l’Impératrice s’y arrêtèrent et en repartirent avec quelques toiles. Renommé le Bas Bréau en 1937 par les nouveaux propriétaires, l’hôtel-restaurant est devenu un endroit accueillant et raffiné, doté d’un jardin et d’une piscine, où l’on peut venir séjourner, ou seulement déjeuner. Françoise Sagan, Jacques Brel, Natalie Wood, Gene Kelly et Grace de Monaco, entre autres, l’ont fréquenté.
Son restaurant, où l’on retrouve le chef Fabien Bard, propose un menu bistrot à 29€ (34€ le week-end) et un menu gastronomique au tarif raisonnable de 60€. Nous avons pour notre part testé le menu bistronomique, constitué ce jour-là d’un carpaccio de thon fumé, d’un suprême de poularde fermière à la crème aux champignons et d’un nougat glacé accompagné de fruits rouges. Un repas de bonne qualité — avec une mention plus particulière pour la poularde — présenté de manière simple, pour un tarif relativement correct. A noter que le restaurant est plus particulièrement réputé pour son gibier en provenance de la forêt voisine, et possède ses ramasseurs de champignons attitrés.
Si nous n’avons pas testé l’hôtel, les photos des chambres témoignent de la volonté de garder une ambiance bucolique, avec la présence de nombreux motifs fleuris aux murs, sur les parures et dans les rideaux. Les tarifs sont de 120 à 500€ en moyenne, en fonction de la chambre et de la période demandée.