Caractéristiques
- Titre : L'île aux chiens
- Titre original : Isle of Dogs
- Réalisateur(s) : Wes Anderson
- Avec : (les voix Frances de) Vincent Lindon, Isabelle Huppert, Romain Duris, Louis Garrel, Daniel Auteuil (et les voix originales de) Bryan Cranston, Frances McDormand, Edward Norton, Greta Gerwig, Scarlett Johansson...
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Genre : Animation, Aventure
- Pays : Allemagne, Etats-Unis
- Durée : 1h41
- Date de sortie : 11 avril 2018
- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Un hommage au cinéma japonais
Quatre ans après The Grand Budapest Hotel et près de dix ans après Fantastic Mr. Fox, Wes Anderson est de retour dans nos salles avec L’île aux chiens, véritable bijou d’animation qui est également l’une des oeuvres les plus abouties de sa carrière, aussi bien esthétiquement que narrativement. Hommage évident au cinéma japonais — on pensera au kaiju, mais aussi aux films urbains de Kurosawa comme L’ange ivre et Chien enragé — comme aux maîtres de l’estampe Hoshige et Hokusai, le long-métrage se déroule dans un futur dystopique, dans une ville fictive du Japon où le chien, après avoir dominé l’homme par le passé, en est devenu l’esclave.
Après qu’une mystérieuse épidémie transmissible à l’homme ait atteint de nombreux toutous en s’accrochant à leur pelage, le maire décide d’exiler ces derniers sur une île qui n’est autre qu’une décharge publique, bientôt renommée « l’île aux chiens ». Là-bas, les chiens abandonnés par leurs maîtres s’organisent en bandes et luttent chaque jour pour leur survie. Lorsque le chien du maire est envoyé sur l’île en guise de symbole, le neveu rebelle de celui-ci, qui avait adopté l’animal, fugue afin de rejoindre l’île et le retrouver. Il rejoint alors une bande de chiens errants auprès desquels il affrontera mille dangers. Mais le maire et son conseiller nourrissent des plans encore plus inquiétants pour mettre fin au problème canin…
Un bijou d’animation adulte et profond
Réalisé intégralement en stop-motion avec la complicité du chef opérateur Tristan Olivier, spécialiste de cette méthode ayant déjà travaillé avec le studio Aardman, L’île aux chiens est un véritable régal pour les yeux, autant en matière d’animation que de construction de plans. Wes Anderson a tenu à travailler « par paires » plutôt que « par unités » en ce qui concerne l’animation — »par unités » désignant une animation où 1 seconde est composée de 24 images, les marionnettes prenant une pose différente à chaque fois — d’où un effet légèrement saccadé qui renforce l’aspect artisanal et s’intègre à la perfection au rythme particulier du film, qui se trouve renforcé par la musique d’Alexandre Desplats à base de tambours taiko, dont la sonorité évoque à la fois la stratégie militaire et la tradition, puisque ces instruments sont encore aujourd’hui rattachés au théâtre kabuki.
Contrairement au plus naïf Fantastic Mr. Fox (2009), nous avons ici la surprise de nous retrouver face à un récit adulte, complexe et très sombre, bien loin du cinéma d’animation familial malgré la réelle fantaisie qui s’en dégage. Du pur Wes Anderson donc, où la fantaisie et le décalage permanents le disputent à une réelle gravité. La narration est d’ailleurs l’une des plus abouties de la filmographie du cinéaste, qui fait de ces chiens mis au ban de la société des anti-héros attachants faisant également écho de manière profonde à notre époque. Les manigances du maire et de son conseiller, les manipulations électorales et le trafic autour des votes ne sont ainsi pas sans évoquer des évènements récents de l’histoire américaine. Difficile aussi de ne pas voir dans ces chiens traités de manière inhumaine et utilisés dans un but de propagande alors qu’il serait en réalité possible de les soigner le rappel qu’aux États-Unis (et ailleurs) des couches entières de la population (les minorités en premier lieu.) sont délaissées et très souvent stigmatisées par des politiciens en mal de popularité pour mieux justifier leur politique.
L’un des films les plus aboutis de Wes Anderson
D’un pur point de vue de cinéma enfin, on se régale d’un bout à l’autre devant les aventures de cet adolescent et ces nombreux chiens dans des décors urbains apocalyptiques. Comme toujours chez Wes Anderson, il y a une vraie dimension ludique, qui passe autant par la construction à tomber des cadres (encore plus impressionnante qu’à l’accoutumée) que par les dialogues, la direction artistique et l’enchaînement mi-sérieux mi-burlesque des événements. A ce sujet, on notera que la violence de l’histoire teinte souvent le rire de noirceur, faisant de L’île aux chiens un film à conseiller à partir de 11-12 ans pour les jeunes spectateurs, d’autant plus que le récit est relativement complexe à appréhender dans toute sa subtilité. Les personnages sont attachants, et fort bien doublés par les acteurs en V.O. (nous n’avons pu visionner la VF), avec une mention toute particulière pour Bryan Cranston et Greta Gerwig (Lady Bird, Mistress America…). Scarlett Johansson (Scoop, Ghost in the Shell, Ave César …), qui double la chienne Nutmeg, s’illustre quant à elle dans un registre glamour plus attendu.
Enfin, comment ne pas craquer devant les génériques d’ouverture et de fin en japonais, ou encore la traduction en langage chien des paroles des humains ? Toute la dimension apocalyptique et les développements autour de l’épidémie (deux thématiques qui irriguent en profondeur le cinéma SF depuis longtemps) sont particulièrement bien traités, et la minutie des décors, très impressionnants, a de quoi faire retomber en enfance plus d’un cinéphile passionné par les maquettes et les miniatures. Voilà qui nous fait dire qu’avec L’île aux chiens, Wes Anderson signe l’un des meilleurs films de sa carrière aux côtés de La famille Tennenbaum et devant The Grand Budapest Hotel. Une oeuvre unique à voir et à revoir.