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[Critique] How to Talk to Girls at Parties : un OVNI punk étrangement charmant

Caractéristiques

  • Réalisateur(s) : John Cameron Mitchell
  • Avec : Alex Sharp, Elle Fanning, Nicole Kidman, Ruth Wilson, Joey Ansah, Ethan Lawrence, Alice Sanders, Tom Brooke...
  • Distributeur : ARP Selection
  • Genre : Comédie, Science-Fiction, Romance
  • Pays : Royaume-Uni
  • Durée : 1h42
  • Date de sortie : 20 juin 2018
  • Note du critique : 7/10

La rencontre de deux auteurs mélomanes aux univers singuliers

D’Edwige and the Angry Inch à Shortbus, John Cameron Mitchell a toujours dévoilé un univers singulier et attachant, échappant à toute catégorisation facile. Même dans le très sobre Rabbit Hole, où il filmait le couple Kidman-Eckhart en proie au deuil suite à la mort de leur enfant, la sensibilité de son écriture et de sa mise en scène permettait au film d’aller bien au-delà du mélodrame larmoyant attendu. Cela n’est donc guère étonnant qu’il ait choisi d’adapter une nouvelle de Neil Gaiman publiée en 2007 dans le recueil Fragile Things. Difficilement assimilable à une “case” définie, l’oeuvre de l’écrivain britannique exilé aux États-Unis transcende les frontières entre les genres et marie ainsi mythologies anciennes, contes, science-fiction, fantasy, Histoire, thriller et littérature jeunesse au sein de comics (Sandman), nouvelles, romans, essais et livres illustrés, voire productions scéniques (avec sa femme Amanda Palmer) tous imprégnés de sa sensibilité particulière.

Car, même lorsqu’il s’adresse à un lectorat principalement adulte, Neil Gaiman reste un conteur au sens le plus noble du terme : de ceux qui savent tisser des récits universels poignants avec une apparente simplicité, où les grands mythes fondateurs sont utilisés comme matière brute pour raconter des histoires personnelles évoquant de manière parfois décalée et souvent touchante la condition humaine.

Une ode à la jeunesse punk de Neil Gaiman

 

image aj lewis alex sharp ethan lawrence how to talk to girls at parties film john cameron mitchell
© ARP Selection

Dans L’océan au bout du chemin, paru en 2013, il utilisait de manière plus ouverte des éléments personnels de sa vie pour tisser un récit bouleversant et hautement parabolique autour des souvenirs d’enfance enfouis et de ce qu’on laisse derrière nous en devenant adulte. Son héros anonyme lui ressemblait étrangement. Pour autant, le mystère de cette histoire en partie inspirée de la mythologie celte (entre autres choses) demeurait, Gaiman, élevé par des parents scientologues, n’étant pas du genre à trop en dévoiler sur son enfance et sa famille, en dépit de sa tendance à publier de nombreuses photos personnelles (avec son épouse, leur jeune fils, ses filles, ses animaux de compagnie…) sur son blog et ses réseaux sociaux. Néanmoins, connaissant ce background, il est difficile de ne pas sourire en découvrant l’adaptation de How to Talk to Girls at Parties par Mitchell, dans lequel de jeunes ados punk prennent une famille d’extraterrestres — très pop dans leurs costumes en latex coloré — pour des Américains appartenant à une secte.

La nouvelle était elle-même inspirée de la jeunesse punk de Neil Gaiman, qui a bien failli signer un contrat avec son groupe de l’époque, avant de se tourner vers le journalisme musical, puis la fiction. Le personnage de Zan incarné par Elle Fanning à l’écran — et par ailleurs absent de la nouvelle d’origine — apparaît du coup comme une sorte d’alter ego féminin de l’écrivain, en plus d’Enn (Alex Sharp), le héros, volontairement très “gaimanien” dans le look. La jeune extraterrestre, encadrée par une famille surprotectrice qui projette de la “manger” littéralement, est fascinée par la liberté incarnée par le punk tel que le lui vante Enn, et ne tardera pas à se rebeller…

Une farce SF drôle, touchante et cruelle

image elle fanning alex sharp how to talk to girls at parties film john cameron mitchell
© ARP Selection

C’est cette métaphore d’une jeunesse qui se cherche et expérimente pour mieux trouver son identité et se distinguer de ses parents que met en scène John Cameron Mitchell avec une joie et une énergie communicatives tout au long de ce film drôle, débridé, et parfois assez cruel. Métaphore là encore absente du texte d’origine, qui tournait principalement autour des rapports garçons-filles dans l’Angleterre de la fin des années 70 (et de la manière d’engager la conversation avec les filles pendant les fêtes, donc) sur un mode humoristique, mais aussi subtilement poétique et métaphysique. Le cinéaste a su s’approprier cette alchimie particulière pour l’étendre à un long-métrage de 1h40 où les jeunes héros anglais ne sont pas seulement des amateurs de punk, mais des musiciens en herbe passionnés fréquentant la scène locale de Croydon, sur laquelle règne Boadicea, une excentrique quinqua punk incarnée par une Nicole Kidman dont le look évoque un croisement entre Vivienne Westwood et le personnage du roi des gobelins incarné par David Bowie dans le film Labyrinth.

Avec son image brute au grain apparent, ses costumes excentriques, ses personnages décalés et des dialogues qui ne le sont pas moins, How to Talk to Girls at Parties est résolument arty, mais jamais prétentieux. John Cameron Mitchell, lui-même mélomane dans l’âme comme en témoigne sa filmographie, a cherché à capturer l’énergie et l’enthousiasme de ses héros pour cette musique contestataire et il le fait avec une candeur juvénile touchante, même si l’on devine également, en creux, la mélancolie de l’adulte revenu de certaines de ses illusions, et qui confère à cette comédie romantique SF musicale une gravité inattendue. Enn et ses amis veulent faire la révolution et miment la rébellion des artistes qu’ils admirent, même s’ils ne comprennent pas nécessairement tout à fait de quoi il s’agit dans le fond. Ils jugent volontiers leurs parents (“Maman, tu écoutes une chanteuse blanche qui chante comme une noire, c’est raciste !” assène ainsi le héros à sa mère), mais demeurent des adolescents naïfs, qui n’en mènent pas large dès qu’il s’agit de prononcer quelques mots face à une fille. Mitchell saisit leur fougue, leur sincérité, leurs élans romantiques et sensuels, mais aussi leur vacherie, comme autant d’instantanés d’une époque révolue, mais dont le souvenir demeure vif.

Une comédie punk déjantée, au kitsch assumé

image alex sharp elle fanning how to talk to girls at parties film john cameron mitchell
© ARP Selection

Les développements de l’intrigue, cohérents avec le matériau d’origine, le sont aussi vis-à-vis de la personnalité des personnages. Si certains pourront trouver la parabole des parents mangeant leurs enfants un peu trop simple (quoique basée sur la mythologie grecque), il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un film sur l’adolescence, avec des adolescents, et que cette naïveté apparente est assumée. Autre chose que le réalisateur d’Edwige and the Angry Hinch assume parfaitement, c’est la dimension complètement déjantée de l’ensemble : les allergiques au kitsch sont priés de s’abstenir ! En faisant de la rencontre entre garçons et filles une rencontre entre Anglais et “Américains”, Mitchell a également fait le choix de faire s’affronter punk et pop. Ainsi, les colonies extraterrestres portent des tenues semblant sorties tout droit des clips pop des années 60 et 70 avec leurs couleurs bariolées et leurs coupes caractéristiques. Le tout enrobé dans un imaginaire SF lui aussi volontairement très rétro, qui donne lieu à des situations pour le moins burlesques. Les héros feront ainsi une découverte de la sexualité et de l’amour pour le moins spéciale, puisque les extraterrestres possèdent des facultés… particulières.

image nicole kidman how to talk to girls at parties film john cameron mitchell
© ARP Selection

La dimension comédie romantique fonctionne également joliment. Il y a beaucoup de tendresse et de naïveté dans l’histoire d’amour de Zan et Enn, même lorsque l’émotion provoquée par un premier baiser conduit la jeune extraterrestre à vomir sur son amoureux terrien. Elle Fanning se sort de toutes ces situations plus ou moins loufoques avec grâce et naturel : qu’elle vomisse, parle de la digestion de pancakes assise sur les toilettes, hurle un hymne punk improvisé, danse ou bien discute avec Enn, elle est à la fois drôle et adorable, tout en laissant deviner une certaine étrangeté hors de ce monde, qui se manifeste dans sa manière même de se mouvoir. Quant à Alex Sharp, il apporte à son personnage un mélange de timidité, audace, tendresse et arrogance qui le rendent attachant. Nicole Kidman, elle, se révèle drôle, magnétique et occasionnellement (volontairement) pathétique dans un rôle over the top ne faisant pas exactement dans la dentelle, et pour lequel elle apparaît vieillie et enlaidie.

Alors, bien sûr, certaines scènes fonctionnent mieux que d’autres — l’intervention de force des punks pour “désenbrigader” les extraterrestres comporte quelques faiblesses, notamment — mais la sincérité et l’énergie du film emportent l’adhésion. A tel point que la rébellion du jeune couple contre leurs parents lorsqu’ils prennent le micro sur scène — un passage où la frêle Elle Fanning épate avec une performance à mi-chemin entre Siouxsie and the Banshees et Björk — qui signe également leur osmose amoureuse, enthousiasme alors qu’elle aurait très facilement pu sembler gentillette. Et puis, il y a bien évidemment la mélancolie de la fin, qui fait de ce How to Talk to Girls at Parties un OVNI cinématographique bien plus touchant que simplement loufoque. Un film dans lequel John Cameron Mitchell s’est visiblement beaucoup investi, et qui nous fait revivre l’ivresse de la jeunesse punk des 70’s.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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