Caractéristiques
- Créé par : Philip Pullman
- Avec : Dafne Keen, Amir Wilson, Ruth Wilson, Lin-Manuel Miranda, Ruta Gedmintas, Clarke Peters...
- Saison : 1 & 2
- Année(s) de diffusion : 2019-2020
- Chaîne originale : HBO
- Diffusion françaisee : sur OCS
- Note : 7/10 par 1 critique
Une trilogie fantasy culte et polémique difficile à adapter
Diffusée sur HBO et la BBC (et en France sur OCS) depuis 2019, la série His Dark Materials adapte pour la première fois sur le petit écran l’œuvre de Philip Pullman, revenue récemment sur le devant de la scène avec la publication d’un prequel (La Belle Sauvage, en 2017) et d’une suite (La communauté des esprits, 2020) par l’auteur par le biais d’une seconde saga, La trilogie de la Poussière, dont le dernier tome devrait clôturer l’histoire de son héroïne, Lyra, à présent devenue adulte.
Trilogie fantasy culte publiée entre 1995 et 2000, A la croisée des mondes de Philip Pullman s’est vendue à plus de 17,5 millions d’exemplaires à travers le monde et a laissé une empreinte durable sur la littérature jeunesse.
Entre aventures merveilleuses, ode à l’esprit critique et au libre arbitre et critique ouverte des systèmes totalitaires fondés sur des dogmatismes politiques et religieux utilisés pour asservir les esprits, la saga de l’auteur britannique s’est toujours positionnée comme l’anti-Narnia – et ce d’autant plus que l’œuvre de C.S. Lewis est depuis longtemps critiquée pour son traitement de certains de ses personnages féminins (Susan en particulier) qui a été interprétée comme découlant en partie (au-delà de l’époque de publication de l’œuvre, les années 50) de ses convictions catholiques, qui irriguent la saga en profondeur.
Résultat : en dépit de son succès et de critiques élogieuses, les livres de Pullman ont fait l’objet d’un boycott au sein de certains établissements scolaires américains, qui refusent de mettre à disposition les trois tomes de la trilogie. Cette dimension critique a également posé problème au réalisateur Chris Weitz lorsqu’il a porté sur grand écran le premier tome d’A la croisée des mondes avec son film La boussole d’or en 2007. Après avoir écrit une adaptation riche et fidèle à l’œuvre et bénéficié de presque toute la liberté qu’il souhaitait lors du tournage, le studio New Line, vraisemblablement par peur ou sous la pression de lobbys religieux, lui a imposé de gommer au maximum toute référence à la religion et de renforcer l’aspect merveilleux.
Les adultes habitués aux double niveaux de lecture pouvaient certes parfaitement comprendre de quoi il retournait, mais la critique n’a pas suivi et le public (à l’exception notable du public français) n’a pas suivi. Deux ans plus tard, Chris Weitz reniait cette adaptation, loin d’être mauvaise, mais qui échouait à retranscrire toute la complexité de l’œuvre originelle, malgré des scènes glaçantes et efficaces dans le centre du Grand Nord où les enfants kidnappés subissaient un effrayant formatage de la pensée en guise d’apprentissage scolaire (la grande trouvaille du film, finalement) avant d’endurer un « traitement » expérimental aux conséquences aussi terribles qu’irréversibles…
Une adaptation plus fidèle à l’esprit des romans
Cette co-production entre HBO et la BBC se devait donc de palier à ces frustrations et de retranscrire ce mélange d’aventures et de violence tour à tour sourde ou plus frontale entre un monde merveilleux peuplé d’ours polaires parlants et de sorcières volantes régi par un pouvoir obscurantiste et notre propre réalité. Et, malgré certains défauts liés (en partie) aux tendances d’écriture télévisuelle actuelles, on peut dire que l’équipe de producteurs et scénaristes de la société Bad Wolf qui a chapeauté le projet s’en sort plutôt avec les honneurs.
Il faut dire que l’ensemble des épisodes ont été écrits par un seul et unique scénariste, Jack Thorne, plutôt que par un pool d’auteurs et que la série a bénéficié du soutien de Philip Pullman lui-même, crédité en tant que producteur exécutif.
Un casting convaincant et des effets spéciaux bluffants
Dans l’ensemble, cette production anglo-américaine est plus fidèle dans l’esprit et par son intrigue que la version cinématographique de 2007. Le ton est ouvertement plus sombre, la dimension merveilleuse est présente mais fait moins « Narnia » justement et le casting, porté par des visages moins connus (à l’exception de James McAvoy, qui interprète Lord Asriel), est de très grande qualité, à commencer par la jeune Dafne Keen (découverte dans Logan) qui interprète une Lyra curieuse et garçon manqué à des lieues de la petite poupée du film et Ruth Wilson, qui retranscrit toute l’ambivalence de Marisa Coulter, cette femme instruite qui a su se hisser (mais à quel prix ?) parmi les plus hautes instances du pouvoir pourtant très patriarcal du Magisterium à force de discipline, séduction étudiée et manipulations. N’ayons pas peur des mots : sa prestation est sans doute la première raison que nous aurions de vous conseiller de regarder His Dark Materials si vous aimez les livres de Philip Pullman.
James McAvoy (Split, Glass, Atomic Blonde…) était également un choix idéal pour Lord Asriel, dont il parvient à traduire le mélange de tendresse contenue, distance et jusqu’au-boutisme à la limite de la folie avec aisance – bien loin de la vision que le montage final du film de Chris Weitz donnait du personnage interprété par Daniel Craig, bien trop doux compte tenu de certains actes perpétrés par Lord Asriel à la fin du premier tome. Quant à Lin-Manuel Miranda (Le retour de Mary Poppins, D’où l’on vient), il est parfait dans le rôle de l’aventurier au grand cœur faussement nonchalant Lee Scoresby.
Les effets spéciaux sont également de qualité : le rendu des daemons (les sortes d’animaux-totems accompagnant les personnages et représentant en quelque sorte leur animus ou anima) est bluffant de réalisme et l’on croit tout à fait au lien émotionnel existant entre eux et leurs humains. De même, l’ours polaire Iorek Byrnison, roi injustement déchu de son trône dans les royaumes du Nord, est de toute beauté et son combat contre son ennemi mortel au cours de la saison 1 est impressionnant. His Dark Materials est la série la plus chère jamais réalisée par la BBC et ce n’est pas pour rien, même si l’on sent parfois que la présence des daemons aux côtés des personnages a été restreinte plus que de raison dans certains épisodes, de manière à ne pas dépasser le budget.
Une bonne transposition du récit, à quelques facilités près
La complexité du récit et ses ramifications sont bien respectées, même si – afin de rassurer les spectateurs ? – la production a pris le parti de recourir à un carton en guise d’introduction au premier épisode pour expliquer de but en blanc ce que sont les daemons… Une facilité assez regrettable, car l’intrigue rend cet élément instinctivement compréhensible. Le concept des daemons (inspiré de Socrate) est de plus directement lié à celui de la Poussière, objet de toutes les craintes du Magisterium et dont la définition même est au cœur des enjeux de la trilogie. On notera d’ailleurs que La communauté des esprits, la suite d’A la croisée des mondes publiée par Philip Pullman l’an dernier, se penche de nouveau sur les daemons, qui se retrouvent pointés du doigt d’une manière assez similaire à la Poussière. Les résumer à la simple projection de l’âme des personnages est du coup assez réducteur, car le lien qu’ils entretiennent avec leurs humains est en réalité assez complexe.
A partir du moment où le récit est lancé cependant, les différents éléments se mettent en place de manière fluide et convaincante et l’ensemble du casting est convaincant. Dans la saison 2, le personnage de Mary Malone (Simone Kirby), chercheuse dans le Oxford de notre réalité, nous permet d’appréhender la question de la matière sombre et de creuser sa relation avec la Poussière sans simplifier la dimension intellectuelle et conceptuelle présente chez Pullman.
Une approche plus terre à terre qui réduit parfois l’impact émotionnel de l’œuvre
Là, en revanche, où cette adaptation télévisuelle est moins forte que les romans, c’est que la violence présente au sein du monde de Lyra nous est sans doute révélée trop tôt, ce qui amoindrit le choc dans la dernière partie de la saison 1 (y compris par rapport au film) lorsque Lyra se lance au secours des enfants enlevés dans le Grand Nord. Ce qui était intéressant dans l’adaptation de 2007, malgré ses défauts évidents, c’était justement que lorsque Lyra découvrait ce qui se cachait dans le centre en Arctique ou étaient amenés les enfants enlevés, il y avait un vrai contraste, un vrai choc de découvrir l’horreur froide et clinique de ce qui se passait dans cet endroit et qui contrastait vraiment avec l’univers assez féerique dans lequel on était placés jusque-là. Même si c’est une bonne chose que HBO et la BBC aient mieux équilibré la dimension merveilleuse et magique, il est néanmoins dommage que ce retournement perde du coup une partie de son impact.
Ceci dit, la partie dans le Grand Nord fait froid dans le dos par de nombreux aspects – à commencer par le comportement de Marisa Coulter quand elle arrive dans le centre, qui lui permet d’exprimer d’un coup toute sa cruauté et sa rage rentrée. Celle-ci se manifeste auprès des enfants, mais aussi d’une pauvre infirmière qui a subi le même « traitement » que les enfants. Le jeu de Ruth Wilson est particulièrement impressionnant dans ces deux derniers épisodes de la saison 1 tant les contradictions dans lesquelles son personnage est empêtré affleurent
La dimension plus terre à terre du monde de Lyra (si l’on excepte, entre autres, les scènes avec l’ours polaire parlant et les scènes en ballon avec Lee Scoresby, par exemple, à l’imagerie purement fantasy) réduit peut-être également légèrement, là encore, le contraste que l’on devrait ressentir entre les deux mondes lorsque Will (qui vient de notre « réalité ») traverse le voile entre les deux dimensions et découvre le monde de Lyra.
Une rencontre entre les deux mondes qui aurait méritée d’être plus marquée
Dans la série – et cela est sans doute en partie lié à des questions de budget, mais aussi à des partis pris volontaires pour des questions de ton, de crédibilité et de volonté de porter une critique plus ouverte et affirmée des relations entre les sexes ou entre les classes – même s’il y a des différences entre les deux mondes, le contraste n’est pas aussi fort que ça.
C’est-à-dire que, ne serait-ce que dans les couleurs de l’univers de Lyra, on est souvent (à certaines exceptions près bien sûr) dans quelque chose qui est assez proche de notre univers à nous.
Il y a évidemment de nombreuses différences qui font que l’univers de Lyra est un univers de fantasy : on retrouve des éléments qu’on pourrait trouver un peu steampunk, comme un aéronef et la méfiance inspirée par la science, l’absence de voitures et d’ordinateurs, le fait de passer d’un monde à l’autre, de trancher dans le tissu de la matière qui délimite la frontière entre les mondes et, évidemment, les sorcières, ours parlants et les daemons, qui s’apparentent à des animaux totems représentant l’âme et surtout l’énergie vitale des personnages qui peut changer, évoluer pour les enfants jusqu’à l’adolescence jusqu’à ce qu’il se stabilise pour acquérir sa forme définitive.
Malgré la richesse thématique et visuelle de ces éléments (la série prend toute sa dimension en Blu-ray, à ce propos), la rencontre entre l’univers de Will et celui de Lyra manque un peu de force comparé aux romans et cela est un peu dommage, parce que, en fin de compte, lorsque l’on lit la trilogie, Will apparaît clairement, de manière symbolique, comme le représentant du lecteur, qui plonge de « l’autre côté » à la rencontre de personnages d’un univers fantasy pour y vivre d’effrayantes et exaltantes aventures à leurs côtés – Pullman, bien entendu, appuie bien plus sur la dimension effrayante et dérangeante, contrairement à C.S. Lewis qui jouait davantage sur le côté merveilleux.
On aurait donc aimé se reconnaître autant dans le personnage de Will à ce moment-là et ressentir la même force lorsque celui-ci découvre le monde de Lyra. Or, ces passages sont finalement assez tièdes en comparaison, même si les épisodes de la saison 2 dans la cité de Cittagazze sont très réussis et permettent de développer le personnage – qui était convaincant et attachant seul avant sa traversée, mais plus effacé face à Lyra – qui se retrouve investi d’une mission extraordinaire lourde de responsabilités pour son jeune âge et qui fait de lui un héros à part entière. La difficulté de sa situation (il doit s’occuper de sa mère malade, puis fuir) est bien amenée dès son apparition : elle apporte une dimension sociale réaliste et rend le jeune adolescent (incarné avec justesse par Amir Wilson) très attachant.
Mais la construction même de la série, nécessairement différente et plus condensée que les romans, fait que l’on ressent moins l’impact de la traversée du personnage – Will apparaissait à partir du 2ème tome uniquement dans les livres, après que le lecteur ait découvert l’univers de Lyra avec Les royaumes du Nord.
Une bonne série… mais qui souffre de problèmes de construction très actuels
Ensuite – et c’est sans doute là notre principale réserve – His Dark Materials donne malgré tout trop souvent l’impression d’être simplement une longue histoire découpée en 7-8 parties par saison plutôt qu’une série où chaque épisode possède une unité et des partis pris propres tout en faisant partie d’un tout cohérent – ce qui est un élément commun à de nombreuses séries proposées par les plateformes de streaming ou les chaînes privées ces dernières années. Cette tendance de fond de l’écriture dramaturgique fait que l’on a parfois l’impression que la force et l’émotion de l’ensemble sont parfois dilués, malgré un certain nombre de moments forts si on les considère indépendamment – comme la fin de la saison 1, remarquable, ou la disparition d’un personnage-phare à la fin de la saison 2.
Alors oui, il y a une tendance avérée depuis quelques années à développer des projets ambitieux pour le petit écran et à faire d’une saison un grand film en plusieurs parties. Mais, même quand David Lynch déclarait en 2017 que Twin Peaks: The Return était pour lui un film en 18 parties, dans les faits, il était évident que chaque épisode possédait son unité propre. Ici, ce n’est pas tout à fait le cas, à quelques exceptions près là encore, 1 ou 2 épisodes étant clairement construits autour d’une thématique en particulier qui trouve un écho auprès de chacun des personnages.
Au final, His Dark Materials saison 1 et 2 constitue une adaptation télévisuelle globalement réussie, attachante et prenante, malgré quelques réserves liées à l’écriture dramaturgique. Le récit et le propos de l’œuvre de Philip Pullman sont respectés, il y a beaucoup de nuances et le scénariste Jack Thorne a eu le loisir de développer davantage certains personnages comme Mrs Coulter ou Asriel ou même des protagonistes plus secondaires qu’on voyait moins dans le film.
Les décors et effets spéciaux sont de toute beauté, avec une véritable attention donnée aux détails. La dimension épique est peut-être parfois limitée par le budget, mais les passages-clés des deux premiers romans sont parfaitement rendus à l’écran. On pourra cependant regretter, au-delà des réserves évoquées plus haut (même si cela rejoint finalement ce que nous disions au sujet de l’écriture télévisuelle actuelle), certains passages qui manquent d’émotion ou d’une dimension viscérale.
Jack Thorne, déjà scénariste du film Les aéronautes sur Amazon Prime, a effectué un travail de qualité mais qui, malgré la fidélité à l’œuvre d’origine et la noirceur présente, amoindrit parfois l’impact de certains moments. On saluera cependant l’équipe de la série de ne pas avoir lissé ou amoindri la violence qui se trouve au cœur de l’œuvre de Philip Pullman et d’avoir conservé toute l’ambivalence des parents de Lyra.
La saison 3, qui devrait être diffusée prochainement, marquera donc (ou non) l’aboutissement de l’adaptation de cette œuvre culte particulièrement dense. Espérons simplement que cette ultime saison sera un peu plus longue que les 2 premières pour pouvoir traduire la richesse du dernier tome, aussi sombre qu’épique.