Shana : la nouvelle table confidentielle d’Assaf Granit à Paris
Chef étoilé pour son restaurant Shabour à Paris (1 étoile au Michelin, premier restaurant israélien ainsi récompensé) et déjà à la tête d’une dizaine d’autres établissements à travers le monde, Assaf Granit a ouvert l’an dernier une nouvelle table dans la capitale, Shana, située au 14 rue Saint-Sauveur dans le 2ème arrondissement parisien, en plein cœur du quartier Bonne Nouvelle. Tout d’abord lancée comme simple épicerie et bar à vins sous le nom de Shosh, cette adresse confidentielle se transforme désormais en restaurant à part entière le soir, proposant une carte riche et variée de mezze et assiettes à partager, où l’équilibre et l’originalité des saveurs n’a d’égale que la générosité des mets, le tout dans une ambiance conviviale et sans chichis.
Lorsque nous arrivons en tout début de soirée un jour de semaine, les lieux sont encore relativement calmes et nous découvrons un cadre chaleureux à l’atmosphère intimiste évoquant une cantine qu’on aurait installée dans la cuisine de sa grand-mère, avec un mobilier en bois chiné, des faïences et une jolie vaisselle dépareillée dans laquelle on nous servira les différents plats. Et cela n’est bien évidemment pas le fruit du hasard puisque la principale source d’inspiration du chef n’est autre que sa grand-mère, justement. Né et élevé à Jérusalem, il découvre la cuisine israélienne et ses saveurs en suivant son aïeule de marché en marché et en l’accompagnant en cuisine lors de la préparation des plats. Née en Pologne, elle a appris elle-même à cuisiner grâce à sa grand-mère et adapta ses plats et leurs saveurs en arrivant à Jérusalem. Une histoire de famille et de transmission à laquelle Assaf Granit a tenu à rendre hommage en exposant des portraits et photos de famille de son aïeule au fond de la salle au centre, à la place d’honneur, juste à côté de la cuisine.
Une ambiance conviviale, une carte intrigante aux saveurs variées
Bien que quelques places soit disponibles en terrasse, l’intérieur et son ambiance chaleureuse, tamisée par de jolis luminaires vintage, nous attire irrémédiablement et nous prenons place à l’une des grandes tables en bois et ses bancs. La partie épicerie, installée sur l’immense étagère juste sur notre gauche, avec ses dizaines de bouteilles de vins, bocaux et épices fera de l’œil pendant toute la soirée, nous donnant envie de revenir en journée. Nous commençons à observer la carte, remplie de mets mêlant certains ingrédients moyen orientaux bien connus… et d’autres plus mystérieux quand on n’est pas spécialiste. Côté tarifs, on est sur une carte bistronomique parisienne typique : de 7 à 18 € en fonction des assiettes, sachant qu’il faudra de 4 à 5 assiettes pour un dîner complet pour 2. Les mezze, eux, coûtent 5 € chacun et les desserts 8 €.
Le directeur des lieux, Max, jeune, souriant et dynamique et ayant déjà officié dans un autre établissement d’Assaf Granit, vient à notre rescousse pour répondre à nos questions et nous faire quelques suggestions, que nous suivrons en partie. Et comme un bon repas va de pair avec du bon vin, nous nous laissons tenter par deux des vins rouges sélectionnés spécialement par le Shana, dont la carte est une véritable invitation au voyage puisque chaque breuvage ou presque est associé à une destination différente.
Pour nous, ce sera donc un cabaret sauvignon venu directement du Liban (Domaine des Tourelles 2021) et un vin rouge de Hongrie (Aïaapinh). Le cabaret sauvignon est souple et fruité, avec du caractère grâce à des tanins assez marqués, mais tout en restant équilibré. Le Aïaapinh est quant à lui assez boisé, avec du corps et du tanin, mais aussi une belle acidité qui contrebalance et équilibre le tout. Sa longueur en bouche est agréable.
En ce qui concerne les assiettes à partager, après maintes hésitations tenant presque du dilemme cornélien tant les différents mets font envie, nous optons pour les crevettes tigre, le katayef (des raviolis frits d’agneau avec du yaourt et des légumes croquants), shoshimi (des sashimi de sériole), shawarma (agneau mariné en brochette accompagné d’oignons sumac et de trigourt) et un cigare frit (feuille de brick) garni d’une crème crabe-maïs et servi avec une sauce aux tomates vertes brûlées. Pour accompagner le tout, on nous apporte également une délicieuse et moelleuse brioche accompagnée d’une sorte de tzatziki et d’une purée de piments rouge et vert du feu de dieu. Le tout est servi en même temps sur la table, de sorte à ce que nous puissions picorer comme bon nous semble d’une assiette à l’autre.
Des assiettes à partager à la fois simples et travaillées, aux associations originales
La tâche n’est pas aisée avec une aussi grande variété (très bien assortie) de mets, mais passons à présent au « débrief » de chaque assiette. Le sashimi de sériole, servi saupoudré de dukkah avec de l’huile d’olive et quelques gouttes de mélasse de dattes nous a surpris et enthousiasmés. La sériole est un gros poisson pêché en Méditerranée et Atlantique Nord qui peut dépasser les 80kg. Principalement consommé cru, sa chair est doucement rosée et son goût se situe entre le thon et le poisson blanc. Le poisson servi dans notre assiette est à la fois fin et possède du caractère. La présence du dukkah, de la mélasse de dattes et de l’huile d’olive, assez corsée, permet à cette assiette d’atteindre un bel équilibre, entre douceur et acidité.
Grignoté un peu entre chaque assiette, le shug (purée de piments moyen-orientale, ici préparée avec piments rouges et verts, huile d’olive, cardamome, coriandre et persil) est à la fois très relevé et divinement parfumé, avec un goût d’herbe et de tomate bien présent. Il est parfait pour les personnes qui aiment les plats épicés, mais qui ne veulent pas pour autant avoir la gorge et l’estomac en feu. On le déguste en alternant avec un morceau de brioche ribana à la texture moelleuse et aérienne que l’on trempe dans une sauce tahin-citron-cumin et un dip au fromage frais rappelant le tzatziki (mais avec des herbes fraîches en lieu et place du concombre).
Les crevettes tigres ensuite : elles nous sont servies de deux manières différentes, décortiquées en brochettes et épicées à la bergamote et la poutargue, mais aussi juste les têtes avec leur chair. Le tout est accompagné d’un petit consommé de tomates là aussi joliment parfumé. Quand on est habitués aux crevettes roses ou crevettes sauvages, les crevettes tigres peuvent surprendre. Leur goût est en effet plus dense, notamment la chair présente à l’intérieur des têtes. Le résultat a su nous séduire : assaisonnement, cuisson : tout était à la fois simple et bon. Et la texture des crevettes en brochettes à la fois ferme et fondante.
Première de deux assiettes à base d’agneau, le shawarma était, là encore, simple et convaincant : la viande, marinée et présentée en brochette, était à la fois bien cuite, dorée et croustillante à l’extérieur, et tendre et ferme à l’intérieur, avec un bel assaisonnement. Ces brochettes était servies avec une crème de yaourt à l’amba (de la mangue fermentée), dont le goût citronné et épicé et la texture épaisse se mariaient particulièrement bien aux oignons marinés au sumac (intéressants car restés croquants contrairement aux pickles classiques) et le persil frais.
La deuxième assiette présentant de l’agneau, le katayef, était très intéressante car la viande y était préparée de manière complètement différente. Ces gros raviolis frits étaient particulièrement épais et croquants, tranchant avec la texture résolument fondante de l’agneau à l’intérieur. Ils étaient servis avec un assortiment de légumes crus (céleri, piment, concombre et tomate, le tout tranchés) et une sauce au fromage frais. Le contraste entre les deux était particulièrement bienvenu.
Enfin, le cigare crabe-maïs était un vrai délice ! La feuille de brick, bien dorée et délicatement frite, était croustillante à souhait, créant un contraste parfait avec la garniture à la crème de crabe et de maïs. La petite purée de sésame (tahin) et sauce de tomate vertes brûlées complétait idéalement le tout.
Avant les desserts, on nous propose un petit verre de mastica (parfois appelée mastiha) en guise de digestif. Il s’agit d’un alcool de mastic, une résine naturelle que les riches mastiquaient autrefois comme du chewing gum afin de maintenir leur hygiène dentaire. Le goût est sucré et un peu anisé et plutôt agréable.
Les desserts : la touche finale parfaite
Enfin, pour clôturer ce très beau dîner, on nous sert les deux desserts de la carte : une superbe mousse au chocolat à l’huile d’olive et à la fleur de sel et un tiramisu revisité. La mousse au chocolat est une vraie révélation : présentée façon rocher, elle est aussi dense dans sa texture comme en goût que crémeuse, sans jamais être lourde. L’association avec l’huile d’olive bien parfumée et le sel est parfaite. Le tiramisu, quant à lui, est en réalité un carrot cake à la texture aérienne (donc très digeste) recouvert d’une sauce au yaourt très fine, parfumée à la cardamome. Une très belle idée ! Dans un cas comme dans l’autre, ces desserts permettent de finir sur une très belle touche et ne vous laisseront pas l’estomac endolori, promis !
On ressort donc du Shana conquis, à la fois par l’ambiance et l’âme des lieux, mais aussi et surtout, bien entendu, par cette cuisine israélienne conviviale et chaleureuse, sans chichi, caractérisée par des assiettes aux saveurs et associations de textures originales et travaillées derrière une apparente simplicité. Entre respect des traditions (que l’équipe se fera un plaisir de vous présenter et expliquer) et modernité. Une belle découverte que nous ne saurions que trop vous recommander ! Les tarifs eux, sont corrects pour ce type d’établissement compte tenu de la qualité des plats. Pour consommer les mêmes assiettes que nous (sans compter les boissons), il vous en coûtera 47 € par personne (pour 2) à titre indicatif.