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[Expo] Henri Manguin à la Villa Théo : Un fauve au Lavandou

tableau du peintre henri manguin commenté par son petit-fils jean-pierre à la villa théo à saint-clair dans le var
Jean-Pierre, petit-fils d’Henri Manguin, commente le tableau Saint-Tropez, le coucher de soleil (1904) de son grand-père. © Culturellement Vôtre

Ouverte le 6 juillet 2024, l’exposition Henri Manguin: Au soleil du Midi à la Villa Théo dans le Var (Le Lavandou) propose de découvrir, jusqu’au 28 septembre, une quarantaine d’œuvres de celui qui fut l’un des plus fidèles représentants du fauvisme, mouvement de peinture qui fut identifié comme tel à partir du Salon d’Automne de 1905 et qui s’étendit jusqu’en 1908, faisant la renommée d’un petit groupe dont Matisse, Marquet ou encore Derain. L’occasion de découvrir ou redécouvrir une partie des toiles que l’artiste réalisa dans la commune (dans une villa du quartier Cavalière), mais aussi à Malteribes près de Saint-Tropez, immortalisant sa femme Jeanne de manière ô combien marquante et sensuelle.

Nous avons découvert cette exposition en compagnie de ses deux commissaires, Raphaël Dupouy (attaché culturel du Lavandou) et le petit-fils de l’artiste, Jean-Pierre Manguin (qui a prêté une partie de sa collection privée), qui a commenté pour nous chacun des tableaux (ou presque) et s’est révélé particulièrement généreux en anecdotes sur son grand-père.

Retour sur le parcours de celui qui fut considéré en son temps par le poète Guillaume Apollinaire comme « le peintre voluptueux ».

tableau la naïade cavalière 1906 henri manguin
La naïade, Cavalière d’Henri Manguin (1906). Huile sur toile, 71x89cm.

« Le peintre du bonheur »

Il fut l’un des plus grands peintres fauves et celui qui fut le plus long longtemps fidèle au mouvement, et pourtant… Le nom d’Henri Manguin est aujourd’hui moins connu et bien plus confidentiel que celui de ses confrères Henri Matisse, Albert Marquet ou encore André Derain, sans doute parce que l’évolution de son œuvre au-delà de cette période fut moins marquante.

Aujourd’hui considéré par les spécialistes contemporains comme le « peintre du bonheur », Henri Manguin (1874-1949), Parisien d’origine (il habitait une maison du quartier Batignolles) connut un grand succès de son vivant et établit des liens artistiques et amicaux très forts avec des artistes tels qu’Henri-Edmond Cross, Paul Signac, Albert Marquet, Théo Van Rysselberghe et, évidemment, Matisse, avec lesquels il aimait peindre, mais aussi débattre sur l’art, la peinture et l’évolution de celle-ci.

Sa période fauve reste la plus reconnue, avec des toiles à l’huile et des aquarelles marquées par une utilisation de couleurs vives, dont les ombres colorées évoquent la lumière si particulière du Midi, où il se rend dès 1905 à l’invitation de son ami Signac. Il réside tout d’abord à la villa Demière à Malteribes près de Saint-Tropez puis, à l’été 1906, loue une maison du quartier Cavalière du Lavandou, à proximité, notamment, de son ami néo-impressionniste Théo Van Rysselberghe, qui y réside dès 1904.

tableau claude sur la plage d'henri manguin 1906
Le tableau Claude sur la plage d’Henri Manguin fait partie des œuvres exposées.

Des tableaux réalisés entre Saint-Tropez et Le Lavandou

Les dessins et toiles présentés ici ont, pour la plupart, été réalisés dans la région l’été et sont emblématiques, par leur trait et l’utilisation de la couleur, de sa période fauve. Les premiers dessins de l’exposition (1904) mettent principalement en scène son épouse Jeanne, parfois accompagnée de leurs enfants. Les tous premiers sont assez classiques et possèdent un style « Beaux Arts », lui qui fut l’un des élèves de Gustave Moreau, qui encourageait les peintres de son atelier à copier les vénitiens au Louvre. Ils deviennent progressivement plus originaux, plus libres et spontanés dans leur trait – l’une des esquisses de nu de cette période témoigne du style qu’il développera et qui fit sa renommée.

Au-delà d’une palette de couleurs bien plus exacerbée que les impressionnistes (mais que n’aurait pas reniée un pointilliste tel que Georges Seurat), le style de Manguin, par son trait, est assez proche de ces derniers, et il n’est pas étonnant qu’il noua des liens très forts avec les néo-impressionnistes, dont Henri-Edmond Cross, qu’il rencontre dans le Sud en 1904. Il y a une vraie filiation artistique entre les deux artistes et l’on retrouve l’influence de l’un sur l’autre, notamment dans le rapport à la couleur puisque Cross appréciait les couleurs du fauvisme.

toiles réalisées par le peintre fauve henri manguin dans le midi avec sa femme pour modèle
© Culturellement Vôtre

Des toiles sensuelles et colorées

Surtout, ses peintures à l’huile et aquarelles dépeignent une atmosphère de manière très personnelle, sensorielle et émotionnelle, qu’il s’agisse des paysages de Saint-Tropez (la plage, le port…) et, surtout, des tableaux mettant en scène sa femme à la terrasse ou dans le jardin, à la villa Demière puis dans la maison de Cavalière que Madame Adam (veuve d’Hippolyte, le banquier qui permit le développement touristique de la région grâce à l’ouverture des chemins de fer) loue au couple à partir de l’été 1906, un an après les Van Rysselberghe.

Des toiles comme La naïade ou Cavalière, un personnage (1906) mettent en rapport l’homme et la nature de manière sensuelle et quasi-spirituelle, le corps de la femme semblant se fondre dans le paysage, aussi bien par le trait que par l’utilisation des couleurs. Dans le premier, Jeanne est couchée sur un rocher et penchée vers le sable, au bord de l’eau, juste devant un récif. Dans le second, la jeune femme est allongée dans l’herbe au milieu des arbres dont la courbe s’élève gracieusement vers le ciel. Un sentiment d’élévation qui n’est pas que terrestre, mais témoigne d’un lien transcendant entre l’homme et la nature par le biais des plaisirs que celle-ci lui procure.

Beaucoup des toiles présentées ici sont des portraits de Jeanne, nue ou habillée, parfois déguisée (en paysanne, notamment). Certains de ces tableaux sont présentés inachevés, ce qui ne se ressent pas vraiment, même si la robe de paysanne de Jeanne, par exemple, est en effet peu détaillée… ce qui permet de concentrer le regard sur le visage et apporte une certaine intensité, renforçant l’expressivité des traits.

On peut également admirer quelques tableaux de Saint Tropez (la plage au petit matin avec ses ombres violettes, mais aussi le port). Là encore, celui de la plage est considéré comme une ébauche mais ne semble en rien inachevé et tire au contraire beaucoup de force de son trait et de son travail autour des couleurs, qui est inhérent à l’artiste.

tableau nature morte aux huîtres d'henri manguin 1907
Nature morte aux huîtres d’Henri Manguin, 1907.

Rencontre avec Cézanne et brève crise artistique

Au sein de cette exposition très colorée représentant le bonheur du couple Manguin, se trouve également un tableau atypique, réalisé début 1907, alors que l’artiste, qui s’est rendu à Londres, traverse une brève crise artistique et retire la couleur de ses tableaux de manière assez drastique : un plat d’huîtres représenté à la manière d’une nature morte.

Il se rapproche ici de certains tableaux de Paul Cézanne, qu’il fréquenta également, avant de revenir à ses tons chauds habituels. Au-delà de ce tableau, on retrouve chez les deux peintres un attrait commun pour la palette des bleus (que l’on songe aux 16 nuances de bleus de Cézanne) et l’harmonie des tons. Le petit-fils de Manguin, Jean-Pierre, retrouva cette citation de Cézanne dans les notes manuscrites de son grand-père : « Il n’y a pas de ligne, il n’y a pas de modelé ; il n’y a que des contrastes. Quand la couleur a sa richesse, la forme a sa plénitude. » Des mots qui se révèlent particulièrement pertinents par rapport au fauvisme et  à l’oeuvre de Manguin en particulier.

jean-pierre manguin, co-commissaire de l'exposition henri manguin à la villa théo à saint-clair dans le var
© Culturellement Vötre

Un cadre de toute beauté pour des œuvres sublimant le Midi

S’étendant sur 3 salles, l’exposition Henri Manguin est d’autant plus agréable à parcourir que les lieux permettent de mettre véritablement les œuvres en valeur. La baie vitrée de la grande salle (la dernière du parcours) possède ainsi une lumière idéale. Et le jardin que nous traversons pour accéder à la villa, avec son banc de pierre d’époque, a su conserver le charme d’une époque qui révolutionna l’art moderne, et dont Jean-Pierre Manguin nous parle avec beaucoup de précision et de générosité.

La correspondance entre son grand-père et Matisse, dont il a hérité, sera d’ailleurs publiée prochainement. Les deux hommes, qui étaient très liés (de même que leurs épouses), demeurèrent proches jusqu’à ce que Manguin s’exile en Suisse au moment de la Première Guerre Mondiale – une rupture qui fut douloureuse des deux côtés.

La Villa Théo : un centre d’arts, qui vaut le détour, à quelques pas de la plage

le banc de pierre d'époque dans le jardin de la villa théo.
© Culturellement Vôtre

Si la présence du descendant du peintre est exceptionnelle ce jour-là, rassurez-vous : la passion de Raphaël Dupouy est tout autant communicatrice. Que ce soit sur Le Lavandou, au sujet de Manguin ou des néo-impressionnistes, il est intarissable. Il dirige les lieux depuis l’ouverture du centre d’arts en 2017, après que la maison-atelier de Van Rysselberghe, qui s’y installa en 1911, fut entièrement réhabilitée afin d’accueillir le public pour des événements culturels.

Elle propose depuis une offre culturelle éclectique auprès d’un large public et, au-delà de concerts et ateliers de peinture, accueille des expositions temporaires, dont un certain nombre autour d’artistes en lien avec le territoire, comme c’est le cas pour l’exposition Manguin. Situés au cœur du quartier Saint-Clair sur le Chemin des Peintres, à quelques encâblures de la plage et de la pointe du Cap Nègre, connue pour ses superbes paysages et ses villas de stars, les lieux valent définitivement le détour si vous séjournez dans les environs, et nous ne pouvons que vous recommander chaudement l’exposition dédiée à Henri Manguin, que vous soyez familiers de son œuvre ou non.

Mais qu'est-ce que le fauvisme ?

Le fauvisme est un mouvement pictural dont les œuvres s’étendent de 1904 à 1908 et au sein duquel la couleur prime sur le dessin. Le trait et les formes y apparaissent simplifiés, avec des contours marqués et des aplats de couleurs dans une palette chromatique audacieuse par contraste avec les teintes souvent plus neutres ou « mesurées » de l’époque. L’émotion prime au sein des œuvres. Les artistes ne cherchent pas à représenter la nature telle qu’ils l’observent, mais telle qu’ils la ressentent. Inspirés par les impressionnistes pour le travail sur la lumière, ils s’en démarquent par leur utilisation de la couleur donc, d’où les ombres colorées du Sud que l’on retrouve dans certains tableaux de Manguin.

Les peintres qui seront par la suite rattachés au fauvisme (Matisse, Manguin, Marquet, Vlaminck, Derain…) étaient pour beaucoup, comme de nombreux peintres néo-impressionnistes, originaires de Paris et de la région parisienne. En 1886, le célèbre tableau de George Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte, est présenté à la dernière exposition du groupe des impressionnistes et sera par la suite considérée comme la première œuvre des néo-impressionnistes, auxquels appartiennent également Signac, Théo Van Rysselberghe et Henri-Edmond Cross. Ce mouvement se caractérise par son utilisation de la couleur, les couleurs pures n’étant pas mélangées avec les autres, mais juxtaposées – raison pour laquelle les peintres étaient parfois considérés comme « pointillistes ». L’île en question se trouve à Chatou dans les Yvelines et les peintres Derain et Vlaminck s’y retrouvent fréquemment, au début des années 1900, pour en peindre les paysages.

Si Vlaminck reste à Chatou, sans doute pour des raisons financières, Derain part rejoindre Matisse à Collioure en 1905, où se trouvent également Manguin et Marquet – ces derniers ayant pour point commun d’avoir été élèves de Gustave Moreau au sein de son atelier. Une partie des œuvres qu’ils réalisent cet été seront exposées dans la salle VII du Salon d’Automne de 1905 parmi les tableaux d’autres artistes qui seront rattachés au groupe. Leurs tableaux, dominés par d’impétueux aplats de couleurs, détonnent, créant un « scandale » ou, tout du moins, une certaine polémique par rapport à l’approche plus académique du dessin et de la couleur qui avait cours à l’époque.

Le terme de « peintres fauves » apparaît lorsque le critique d’art Louis Vauxcelles visite la salle où étaient exposées les œuvres du groupe et est saisi par le contraste entre ces œuvres atypiques et la présence, au milieu de la pièce, d’un buste d’enfant bien plus classique réalisé par Albert Marques. Il s’exclama alors : « Tiens ! Donatello dans la cage des fauves » et repris le terme, qui demeura, au sein de sa chronique du Salon.

Matisse a rapidement été (un peu malgré lui) considéré comme le chef de file de ce mouvement dont les peintres furent également inspirés par Van Gogh. Au bout de quelques années, chacun se tourne dans d’autres directions, signant la fin de cette période.

Exposition Henri Manguin : Au soleil du Midi du 6 juillet au 28 septembre 2024 à la Villa Théo, 265 avenue Van Rysselberghe, 83980 Le Lavandou. Ouvert du mardi au samedi, de 10h à 12h et de 14h à 17h. Entrée libre. Plus d’informations sur le site officiel du centre d’arts.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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