Harpiste, chanteuse et compositrice d’une douzaine d’albums studio (Songbook 1 à 5, La Fiancée), ainsi que de bandes originales pour le cinéma (Arrietty, Le Petit Monde des Chapardeurs, des Studios Ghibli, Terre des ours), Cécile Corbel revient cette année sur le devant de la scène, avec un nouvel album inspiré des légendes arthuriennes : Graal.
A l’occasion de la sortie de ce beau livre-disque chez Bayard Musique, elle nous a fait l’honneur et le plaisir de répondre à quelques questions.
A propos de Graal
Culturellement Vôtre : Lorsque l’on connait vos précédents albums, on sait que les cultures de l’imaginaire et les légendes font partie de vos thèmes de prédilection. Les légendes arthuriennes semblent donc une évidence. Pourquoi maintenant ?
Cécile Corbel : A vrai dire, l’idée de faire un album thématique mûrissait depuis de nombreuses années dans ma tête. C’est la première fois que je le fais, et réaliser ce projet sur les légendes arthuriennes semblait un peu une évidence. C’est vaste, il y a plein d’histoires dans l’histoire, des personnages et des anecdotes que tout le monde connait, et d’autres un peu moins. Il y avait vraiment un réservoir infini, et je suis loin d’avoir tout exploré. J’avais ce lien depuis mes débuts avec la forêt de Brocéliande, dans laquelle j’ai joué plusieurs fois, et qui fait que j’ai un attachement très personnel à ce lieu, et donc à cet imaginaire.
N’était-ce pas intimidant de vous confronter à ce matériau aussi riche, mais aussi si régulièrement cité et repris ?
Oui et non, car j’ai voulu apporter une vision musicale de chanteuse, de compositrice. Je ne suis ni historienne ni chercheur en littérature ancienne. C’est une vision émotionnelle, personnelle, de ce que j’ai ressenti en me baladant auprès des différents personnages. Je ne me mets pas du tout sur le même plan que ceux qui travaillent de façon académique sur le sujet. Je sais aussi qu’il y a beaucoup d’œuvres, de films, de séries traitant de la Quête du Graal. J’ai essayé de ne pas piocher dans tout cela, mais plutôt de composer avec mon ressenti à moi.
Comment avez-vous choisi les épisodes dont vous vouliez parler dans vos chansons et les personnages que vous vouliez décrire ?
Au coup de cœur. Il y a des personnages plus grand public et d’autres un peu moins connus. Des épisodes que j’ai découverts lors de mes lectures et qui me sont apparus comme évidents, notamment la chanson que j’ai écrite pour Perceval. Elle reprend un point peut-être anecdotique de son histoire : l’épisode de l’oie blessée qui saigne sur la neige. C’était un récit mineur, mais qui me semblait poétique et digne de devenir une chanson à part entière.
D’autres chansons de l’album ont des thèmes majeurs, comme celle sur le roi Arthur lui-même. J’aime faire des incursions dans la petite et la grande histoire.
Quelles ont été vos sources pour les récits de la Quête du Graal ? On sait qu’elles sont multiples et parfois contradictoires.
Les sources sont extrêmement vastes et, je le rappelle, je n’ai pas fait un travail d’historien. J’ai relu la version de Chrétien de Troyes et j’ai exploré un nombre incalculable d’écrits, de thèses, de mémoires sur le sujet, et principalement sur les thèmes qui me plaisaient le plus. Une autre façon de me nourrir a été de me plonger dans la peinture du XIXème siècle. L’imaginaire arthurien a aussi inspiré les préraphaélites, ou encore les symbolistes, un peu plus tard.
Carrière et parcours musical
Pouvez-vous nous parler de vos inspirations musicales ?
Elles sont vastes. Il y a bien sûr la partie musique celtique, bretonne, qui m’habite depuis toujours, surtout depuis que j’ai appris à jouer de la harpe. C’est une musique que j’écoute toujours volontiers, qu’il s’agisse de musique traditionnelle irlandaise ou écossaise, originale ou revisitée. J’écoute aussi beaucoup de musique baroque et classique ; cela nourrit également les arrangements dans mon travail, mais pas seulement. Je crois être assez éclectique : j’écoute de la pop, du rock, voire du hard rock et du métal, dont j’aime beaucoup les arrangements et le côté progressif. Toutes ces musiques forgent ma personnalité musicale. J’écoute aussi beaucoup de J-pop, du fait de mon histoire personnelle. Pour autant, l’album Graal est surtout nourri aux sources celtiques et médiévales.
Avez-vous toujours su que vous vouliez faire de la musique votre métier, votre vie ?
Absolument pas. J’ai commencé la musique très jeune mais, enfant, l’idée de monter sur scène m’aurait fait partir en courant ! C’est une fois que j’ai commencé mes études supérieures d’archéologie et d’histoire de l’art, alors que la harpe était déjà ma compagne fidèle, que j’ai rencontré de nombreux musiciens. Le hasard de la vie et des rencontres. J’ai commencé à jouer avec eux dans de petits lieux, sur Paris. De fil en aiguille, j’ai eu la chance de croiser le chemin de différentes personnes, et il est devenu logique que cela devienne mon métier.
Comment vous définiriez-vous ? Chanteuse, musicienne, conteuse ?
De plus en plus comme une chanteuse-conteuse, en tout cas sur scène. J’ai la chance de faire à la fois de la musique en studio, que ce soit pour mes albums ou pour la composition de bandes originales de films, mais aussi sur scène, au contact du public. Dans ma vie de musicienne sur scène, je me sens chanteuse et conteuse avant tout.
Avez-vous en tête votre public lorsque vous vous lancez dans un nouveau projet ?
J’essaye de ne jamais faire de chansons en me demandant si cela va plaire, ou si les gens qui me connaissent vont aimer, sinon, ce serait sclérosant. Cela m’a plutôt réussi de suivre mon instinct. Mes albums sont différents les uns des autres car j’y vais avec l’envie de faire de jolies choses, mais jamais de les formater pour telle ou telle audience.
Le format CD-livre
A l’ère du tout numérique, cela vous semblait-il important de donner un plus au format physique de votre album en l’accompagnant d’un livre ?
C’est aussi une façon de renouer avec les objets, car le CD a presque totalement disparu de notre quotidien. On écoute beaucoup en streaming ou au format digital, et il y a quelque chose d’assez froid là-dedans. Je voulais faire exister cet album sous la forme d’un carnet de voyage. J’ai vécu pendant un an et demi avec cet imaginaire arthurien. Il m’a accompagnée, j’ai pris des notes, j’ai un peu dessiné, modestement. Pour moi, ce n’était donc pas uniquement un album de musique, mais aussi une quête que je pouvais transcrire par un récit.
Que pouvez-vous nous dire des illustrations présentes dans le livre-album ? Était-ce une évidence pour vous de montrer un jour au public un autre aspect de votre créativité ?
Pendant longtemps, je l’ai gardé caché. Depuis l’adolescence, j’ai toujours gribouillé des choses très personnelles et secrètes. Des croquis de voyage aussi, mais cela restait annexe. Je ne me considère d’ailleurs pas comme une illustratrice ou une dessinatrice. Mais pour ce projet, il m’est apparu important de partager mes dessins, même s’ils sont imparfaits, car ils sont une partie de moi. Il y en a d’ailleurs beaucoup plus, mais nous n’avons pas pu tous les mettre.
Les thématiques de l’album
Vous dédiez une chanson à chaque personnage. Avez-vous un favori ?
Je vais citer Perceval, encore. Il est complexe et assez touchant, car il ne revêt pas toutes les caractéristiques du héros, fort et inébranlable. Il est extrêmement naïf et innocent, et c’est ce qui fait sa force. J’ai une certaine tendresse pour lui.
Vous consacrez une place particulière aux femmes puissantes dans vos chansons. Était-ce quelque chose qui vous tenait à cœur dans un univers médiéval pourtant plutôt masculin ?
Dans mes précédents albums, j’ai créé des odes pour de nombreuses femmes, réelles ou imaginaires. Il y a beaucoup d’héroïnes puissantes dans le légendaire celtique. Et curieusement, bien que la quête du Graal ait un fond chrétien, à une époque où les femmes n’avaient pas une place prédominante, elles sont assez mises en valeur. Ce ne sont pas des potiches qui attendent leur chevalier. Elles sont héroïnes au même titre que les hommes. Il y a quelque chose d’assez moderne dans ces contes arthuriens.
Le processus créatif
Comment fonctionnez-vous dans votre processus créatif ? Commencez-vous par les mélodies ou par les textes ?
Pour ce projet, et c’est la première fois que je le fais, j’ai écrit tous les textes avant même de poser les mélodies dessus. Habituellement, je crée toujours mes chemins mélodiques sur la harpe avant de m’attaquer aux textes. C’est une inversion totale de mon processus de création. Je suis assez contente du résultat car les mots ont, je crois, plus de poids, et la musicalité des syllabes, des pieds et des vers s’est accrue en travaillant ainsi. C’est une contrainte qui s’est avérée particulièrement agréable.
Votre instrument est la harpe. Comment procédez-vous pour l’enregistrement des autres instruments ? Composez-vous également leurs partitions ?
C’est quelque chose que nous faisons ensemble avec Simon Caby (son partenaire à la scène et à la ville, ndlr). On se succède au studio. Je pose mes maquettes, ma voix et quelques instruments. Au début, les musiciens ne sont pas encore là, donc nous enregistrons au synthétiseur, avec claviers, bandes d’orchestre, flûtes, etc. Simon Caby agrémente ce que j’ai fait jusqu’à ce que cela nous plaise à tous les deux, et dès que le squelette de la chanson est abouti, nous appelons les musiciens. Je tiens, en effet, à ce que tout soit joué par de vrais musiciens, qui amènent souvent de belles choses, des harmonisations, des éléments auxquels on n’aurait pas pensé.
Avez-vous des inspirations visuelles lorsque vous composez ? Des images vous viennent-elles en tête en créant et en jouant votre musique ?
En l’occurrence, pour Graal, c’est principalement la peinture et les dessins préraphaélites, mais en général, oui, et même sur scène. Lorsque je joue les chansons, cela peut paraître un peu fou, mais j’ai des images qui s’enchaînent, un peu toujours les mêmes, d’ailleurs. Cela peut prendre la forme de paysages, de choses complètement inventées, ou de parfums. J’ai beaucoup de visions annexes à la musique quand je compose et quand je joue.
La Tournée
Pouvez-vous nous parler de votre tournée ? Prévoyez-vous un retour à Paris étant donné que votre spectacle à l’espace Camac du 27 septembre est déjà complet ?
Je l’espère ! Le thème de Graal s’y prêtant particulièrement, nous allons essayer de jouer le plus possible en églises. Nous avons donné beaucoup de concerts cet été, avant même la sortie du disque, mais le gros de la tournée de Graal aura lieu au printemps et à l’été 2025. J’attends le planning, mais oui, je reviendrai à Paris, c’est sûr !
Découvrez aussi notre critique de l’album “Graal” : ici
Propos recueillis par Lucia Piciullina. Merci à Cécile Corbel pour sa disponibilité et à Bayard Musique pour l’organisation de cet entretien.