L’Hôtel Bleu, établissement de luxe aux allures de paquebot à l’intérieur, a ouvert ses portes cet été à Carry-le-Rouet dans les Bouches-du-Rhône près de Marseille, face au casino et au port en bord de mer. L’hôtel se compose de 44 cabines (chambres ou suites) confortables, d’un spa, d’un bar et… d’un restaurant gastronomique à la carte faisant la part belle aux produits de la mer, L’Oursin, que nous avons eu le plaisir de découvrir lors d’un court séjour. Récit d’une belle découverte et d’un dîner orchestré de main de maître par un chef passionné, qui pense chacune des assiettes de ses menus comme des tableaux au sein d’une symphonie de saveurs.
Un restaurant gastronomique axé autour des produits de la mer
Ouvert en juillet dernier, L’Oursin est un restaurant gastronomique dirigé par le chef Ilane Tinchant. 27 ans, qui a fait ses armes dans trois restaurants étoilés au Michelin à Marseille (L’Épuisette, Saisons) et Courchevel (Restaurant Sylvestre). Situé au rez-de-chaussée dans le prolongement du bar ouvert Le Nina (nommé en hommage à Nina Simone, qui a résidé dans la commune), le restaurant étend ses tables le long de la baie vitrée avec vue sur la mer et possède également depuis la salle une vue sur la cuisine, où l’on peut apercevoir l’équipe s’activer aux fourneaux. Une ambiance paisible et plaisante se dégage des lieux, avec un personnel aux petits soins avec tous.
Le restaurant propose uniquement deux menus de saison, Le Voyage (7 assiettes, 145 €) et L’Odyssée (8 assiettes, 185 €) composés quasi-exclusivement de produits de la mer et légumes à l’exception d’une assiette de ris de veau à l’italienne qui était proposée dans le second menu lors de notre passage début octobre (remplacé aujourd’hui par des cuisses de canard confites) à la demande de L’Hôtel Bleu, qui tenait à ce qu’un plat de viande soit présent.
Cependant, comme nous étions invités par l’hôtel afin de réaliser un test gastronomique en ayant une idée représentative des deux menus, le dîner dont nous allons vous parler à travers ces lignes est en réalité un menu sur-mesure imaginé par le chef et réunissant principalement des assiettes des deux propositions – et quelques-unes qui n’en faisaient pas partie. Le nombre d’assiettes diffère également (nous étions 2 et avons eu, au-delà des amuse-bouches au début et mignardises à la fin, 2 entrées chacun, 3 plats et 1 dessert). Seule l’absence du second dessert diffère donc probablement très légèrement en termes de volume par rapport à ce qui est proposé au sein du menu Le Voyage.
Des amuse-bouches pour aiguiser nos sens
On commence tout d’abord par nous servir deux coupes d’alcool avant de nous amener les amuse-bouches : une coupe de champagne rosé Charles Heidsieck et un verre de vin blanc 2021 « Les Davids » du Clos Réal (un Côte de Provence bio et dynamique). Le champagne, frais et léger, très finement pétillant, est très agréable en bouche, tandis que le vin blanc possède une très belle odeur boisée de type pin et une petite note d’agrume au goût. Il se développe très joliment en bouche.
Les 4 bouchées servies forment un joli assortiment qui mettent nos sens en éveil. La tuile de riz rouge soufflé de Camargue avec ventrèche de thon salée et fumée est délicieuse. La saveur fumée de la ventrèche s’associe très bien avec le croquant de la tuile, très fine, et la touche acidulée de la vinaigrette.
Le barbajuan à l’huile d’olive avec farce blette et ricotta fumée est probablement notre préféré : la pâte du beignet est épaisse tout en étant légèrement moelleuse, et le garnissage à la ricotta et à la blette est onctueux , avec petite pointe d’acide venant du légume, dont la présence permet une véritable explosion de saveurs en bouche quand on croque dans la bouchée. Une association de saveurs qui fait des merveilles !
Vient ensuite une petite tartelette moderne à l’oignon avec marmelade d’oignon et siphon à l’eau d’oignon, oignons grelots confits et grillés servie avec une pastille de comté 36 mois. Le chef a voulu retrouver l’esprit d’une soupe à l’oignon, mais de manière plus sophistiquée. Un beau travail de déclinaison autour de ce légume, qui fait ressortir sa saveur acidulée, mais aussi une finesse qui lui est rarement associée. La crème, très fine et acidulée, est particulièrement plaisante.
Enfin, le gravlax de macro (lisette de Méditerranée) au café est assez étonnant. La marinade au café révèle le poisson fumé autrement, dans toute sa palette de goûts, et le sel jaillit joliment à la fin sans prendre le dessus.
Des assaisonnements qui subliment les produits de la mer
On nous sert ensuite les entrées : une huître de Camargue fraîche au naturel avec vinaigrette de tosazu (vinaigre de riz), huile de baies roses, condiment gingembre et ciboulette, et un espadon de Méditerranée à la préparation identique – et qui a été servi car la personne m’accompagnant n’apprécie pas les huîtres. Une entrée simple, visuellement très élégante. La vinaigrette, très fine et l’assaisonnement (mention spéciale au condiment gingembre, délicieux) permettent là encore de révéler et mettre en valeur la saveur de l’huître dans toute sa finesse. On finit sur le goût iodé, qui reste en bouche. En ce qui concerne l’espadon, on finit sur la touche herbacée de la ciboulette fraîche.
Les crevettes marinées avec pickles de butternut, condiment butternut, ail et caviar Petrossian qui viennent ensuite sont fines et là encore délicieuses. L’assaisonnement, les pickles, le caviar… Tout est d’une très grande douceur, comme si on se trouvait dans un cocon. Le crémeux du butternut, tiède, permet d’apprécier le légume autrement, avec une pointe d’acidité qui ne masque pas la petite pointe musquée du légume et la touche iodée du caviar. La tête de crevette est également très fine, malgré un goût plus corsé. Son craquant et sa préparation l’assimilent presque à une chips. Ceux qui ne raffolent pas des têtes de crevettes habituellement n’auront absolument aucun problème ici.
Cette première partie du repas nous a clairement convaincus et mis en appétit pour la suite. Toutes les propositions ici ont pour point commun de révéler la saveur et la qualité des produits grâce à une belle variété d’assaisonnements et à des associations de goûts intelligentes. Un travail très fin et maîtrisé derrière une apparente simplicité (on parlera plutôt d’épure), qui permet d’apprécier chaque ingrédient autrement, même pour ceux que l’on pensait connaître, comme le macro fumé ou l’huître.
Une petite interlude iodée
Afin de nous faire patienter avant l’arrivée des plats, on nous sert du beurre monté à la criste marine, présenté avec de l’huile d’olive verte maturée aux herbes de Provence et une corbeille de pain de la Maison Aristide, boulangerie-pâtisserie renommée de Carry-le-Rouet. Une gourmandise assez addictive : le beurre, excellent, est fondant à souhait et relevé par la délicieuse touche salée et iodée de la criste marine. Il s’associe bien à l’huile maturée, très fine. Le beurre prend le dessus sur l’huile au niveau du goût, mais celle-ci permet de révéler cette très jolie préparation, dont nous ne laissons pas une miette.
On nous sert ensuite un verre de vin rouge corse Sulia 2022 du domaine E Petre à Aleria pour accompagner les plats : il possède une jolie odeur tanique et, si les tanins sont présents au goût, le vin n’en demeure pas moins fruité et très équilibré.
Des plats comme autant de tableaux gourmands
Les trois plats qu’on nous apporte ensuite permettent de révéler l’art du chef dans toute sa richesse. Nous commençons tout d’abord par Expression du Jardin de la Mer : une assiette de sériole avec un voile fin de consommé d’algues (kombu et wakamé), un fin voile de sériole cuit au sel et aux algues, des crustacés (coques, couteaux et palourdes), un tempura de seiches avec un sorbet au citron noir d’Iran, le tout accompagné d’un siphon à la galère servi en touche finale à table par le personnel. Visuellement, le plat a en effet les allures d’un jardin et présente un tableau qui parle tout de suite à nos yeux. Au goût, le résultat est tout aussi plaisant, si ce n’est plus.
La sériole, très fine, est douce tout en possédant le caractère caractéristique de ce poisson à la saveur singulière. L’association avec le sorbet de citron noir et le siphon apporte de la fraîcheur, une touche acidulée mais, également, florale. La présence des crustacés disposés en cercle complète ce tableau gourmand et permet d’obtenir un joli jeu de textures et de saveurs de la mer. Quand plaisir des yeux et des papilles se conjuguent.
Le plat signature du chef est probablement mon assiette préférée. Il s’agit d’une texture de seiche cuite et confite dans son encre, puis juste grillée, servie en base de l’assiette. Elle est servie avec un voile et tempura de seiche. Sur le contour, une émulsion ail-échalote. En guise d’accompagnement, placé ici pour rappeler la texture initiale de la seiche et rafraîchir le palais après avoir dégusté le plat : une tagliatelle de seiche juste crue, assaisonnée avec huile d’olive et zeste de citron vert.
Il s’agit là d’un magnifique travail de déclinaison, où la seiche est présentée dans tous ses états et sous différentes textures. La finesse de l’émulsion ail-échalote (très belle association) permet de sublimer ces deux produits et de mettre en valeur le poisson et ses différentes saveurs en relevant le tout d’une pointe confite.
De manière générale, le jeu de textures est de toute beauté, de même que le jeu autour des différentes saveurs et préparations du poisson. La texture plus épaisse de la seiche snackée se marie à merveille avec le goût de l’encre, incroyable, et le très fin croustillant de la seiche séchée. La seiche possède une bonne consistance, épaisse et douce à la fois. Un plat de caractère d’une très belle maîtrise, qui nous a par ailleurs été servi avec une délicieuse brioche à l’ail noir, aussi épaisse que moelleuse, bien consistante sans être lourde, et qui permet de rester dans l’univers gustatif de l’assiette et de faire un rappel avec le condiment tout en apportant un certain contraste.
La seiche crue, servie en cuillères, est infiniment douce et fondante, extra-fraîche, tout en ayant, là encore, une vraie consistance. L’assaisonnement citron vert et huile d’olive vient mettre en valeur le poisson. Le citron vert, finement dosé, demeure très discret.
On change ensuite d’univers gustatif avec le turbot cuit à basse température servi avec une raviole de capucine farcie aux champignons, des sparassis, chips de mousseron et suc de poisson iodé réduit servi à table. Les chips de champignons au goût fumé possèdent une saveur proche du soja sous cette forme et créent un contraste original et intéressant avec le turbot. Le ravioli de capucine est véritablement la plante cuite, refermée en ravioli sur une garniture aux champignons bien relevée. Il s’agit là encore d’une proposition originale. Le jeu de goûts et de textures entre les différentes parties de l’assiette est intéressant. La dimension terrestre avec les champignons sous différentes formes apporte un joli contraste avec la saveur iodée du poisson, qui ancre le plat. Une belle assiette automnale. La texture du poisson est douce, fondante, avec une petite touche corsée et acide (sans jamais être agressive) caractéristique d’une cuisson à basse température. Ce caractère au goût contraste joliment avec une texture fondante tout en douceur. Un très joli tableau.
Fromages, dessert et mignardises : une jolie touche finale
Avant le dessert, on nous propose de choisir parmi une sélection de fromages affinés sélectionnés par le restaurant et présentée sur un chariot par le personnel. Les fromages sont proposés à part des menus, pour un supplément de 30 euros. Un ajout assez conséquent, à réserver donc pour les grandes tablées puisque, à ce stade, nous avons déjà l’estomac bien rempli. En ce qui nous concerne, notre choix s’est porté sur un Délice du Poitou (fromage de chèvre cendré), un Claousou (fromage de chèvre affiné dans une écorce de cépia) et un Brin du Maquis. Une petite salade aux herbes fraîches nous a été servie en accompagnement, avec notamment de la menthe et du plumet de fenouil. Il s’agit là d’excellents fromages artisanaux. Le Claousou est doux et légèrement crémeux, le Délice du Poitou, classique, fondant et crémeux à souhait et le Brin du Maquis herbacé et joliment « corsé » – sans jeu de mots.
Pour le dessert, on nous propose une déclinaison autour de la courge composée de palets de panais rôti avec gel de courge, ganache, graines de courge et sorbet de yaourt. Les palets sont consistants et créent un contraste entre le goût plus sobre, presque « neutre » du panais (ici très doux et léger, avec juste une petite saveur caractéristique reconnaissable) et celui du glaçage à la courge, qui n’en ressort que d’autant plus. Les différentes parties du légume sont utilisées et travaillées sous différentes textures (comme la fine feuille de courge, presque transparente). Un joli dessert automnal.
Enfin, au moment de prendre nos infusions, on nous sert en petite touche finale des mignardises à la figue et des mini-choux chocolat-caramel, qui permettent de clôturer ce dîner de toute beauté sur une dernière touche gourmande toute en légèreté.
Une adresse chaudement recommandée
Au final, c’est une bien belle expérience que nous avons vécue à L’Oursin – probablement l’une des meilleures tables gastronomiques qu’il nous ait été donnée de tester aux côtés d’établissements comme Le Baudelaire (à Paris), qui propose également un très beau travail de déclinaison autour de certains produits. La préparation, l’importance et la précision des assaisonnements (Ilane Tinchant utilise un grand nombre d’herbes fraîches et d’algues, souvent cueillies en compagnie de son équipe), les jeux de textures et associations de saveurs… Tout est fait pour composer de vrais tableaux gustatifs où les goûts se succèdent en bouche et où tout est fait pour mettre en valeur les produits-phare dans toute leur finesse et leur complexité parfois insoupçonnée. A tel point que l’on a parfois l’impression de redécouvrir certains d’entre eux.
La présentation des assiettes est à l’avenant et le calme et l’élégance des lieux aux allures de paquebot à quai, la vue sur le port et la mer, contribuent à faire d’un dîner à L’Oursin une expérience exceptionnelle, quoique onéreuse. A réserver les yeux fermés pour une occasion spéciale, un dîner en amoureux ou encore un repas d’affaires.
Restaurant gastronomique L’Oursin à L’Hôtel Bleu, 1 bd des Moulins, 13620 Carry-le-Rouet. Réservations en ligne ou par téléphone.