[Critique] Belle : Une rêverie dystopique et sombre

Caractéristiques

  • Titre : Belle
  • Titre original : Ryu to Sobakasu no Hime
  • Réalisateur(s) : Mamoru Hosoda
  • Avec : avec les voix françaises de Louane, Juliette Allain, Sarah Brannens, Félicien Juttner, Julien Frison, Florent Dorin...
  • Distributeur : Wild Bunch Distribution
  • Genre : Animation, Aventure, Drame
  • Pays : Japon
  • Durée : 122 minutes
  • Date de sortie : 29 décembre 2021
  • Note du critique : 6/10

La Belle et la Bête revisité


Le réalisateur Mamoru Hosoda, déjà connu pour avoir signé des métrages tels que Ame et Yuki : Les Enfants Loups ou Le Garçon et la Bête, propose une relecture de La Belle et la Bête doublée d’une critique positive sur les vertus du monde virtuel.

Belle raconte l’histoire d’une adolescente de 17 ans, Suzu, dont le quotidien se partage entre le petit village où elle vit avec son père et « U », un monde virtuel aux cinq milliards d’abonnés dont elle est récemment devenue l’une des icônes, la chanteuse Belle. Bientôt, elle rencontrera une mystérieuse créature qui elle aussi fait vibrer la toile par ses exploits. En cherchant à découvrir son identité, elle ne sait pas encore qu’elle se lance dans une quête pleine d’aventures et de dangers…

Adoptant un discours pro-virtuel à contre-courant de la tendance actuelle, Mamoru Hosoda s’empare du célèbre conte publié une première fois en 1740 et l’intègre aux technologies du 21ème siècle pour un résultat étonnant visuellement et souvent narrativement audacieux. Cependant, certains défauts ne tardent pas à émerger, le plus souvent liés à des partis pris d’écriture qui rendent cette œuvre parfois indigeste, trop ambitieuse et trop longue.

Une histoire simple devenue complexe


Si l’univers foisonnant proposé par Mamoru Hosoda dans Belle témoigne d’une immense ambition, l’histoire multiplie à outrance les personnages et les sous-intrigues, au point de parfois nous faire perdre son fil directeur.

Certes, pour ceux qui connaissent la première adaptation de Jean Cocteau (1946), il est clair que son univers était moins manichéen (Belle a un frère et surtout deux sœurs odieuses comme Cendrillon) que l’adaptation Disney (1991) et ses choix scénaristiques plus ambigus (l’autre soupirant de Belle, tué dans le dos par une statue de la déesse Diane, et dont le visage sera ensuite « volé » par la Bête).

Mais il n’en restait pas moins que l’histoire principale demeurait à l’identique : un prince victime d’une malédiction trouvait la rédemption en ouvrant son cœur à une femme qui avait su voir au-delà des apparences. Une idée simple, mais terriblement efficace, si bien qu’on pourrait regretter que Mamoru Hosoda se disperse souvent un peu trop.

Cependant, cela lui permet aussi de mélanger autant les thématiques des super-héros modernes (tout en prenant soin d’en inverser les codes moraux), l’influence des médias digitaux ou les tristement réelles violences domestiques.

De ce melting-pot étrange émergent autant d’initiatives qui fonctionnent que d’autres qui ont du mal à s’intégrer à l’ensemble.

Des personnages riches, mais pas forcément attachants


Comme nous l’avons précédemment souligné, Belle possède trop de sous-intrigues et par conséquent de personnages secondaires, très dispensables pour certains.

Cela semble augmenter artificiellement la durée du métrage et nuit au cœur du récit, mais tous ne sont bien sûr pas à jeter et chaque spectateur pourra les apprécier selon ses propres critères.

Le vrai problème provient en fait de Belle elle-même, qui a souvent du mal à convaincre. Non qu’elle soit complètement ratée, mais elle n’exploite son potentiel de personnage de conte que par le biais de son avatar virtuel. Un parti pris sans doute volontaire mais qui, en l’occurrence, crée un décalage contre-productif entre le cliché de la princesse douce des légendes (toujours efficace) et l’adolescente mal dans sa peau complètement dépressive et à la limite de l’hystérie parfois.

Ça ne colle pas à l’écran, c’est aussi simple que cela et c’est d’autant plus flagrant que le personnage de la « Bête » lui, est cohérent avec son avatar du monde réel. Quand on voit ce qu’il subit au quotidien, il n’y a rien d’étonnant que dans le monde virtuel (censé révéler votre « moi » intérieur ou désiré) il soit un animal sauvage agressif et presque invincible.

Il y a un vrai défaut d’écriture sur le personnage de Belle,  et c’est d’autant plus dommageable que c’est ce personnage qui doit nous séduire d’emblée puisque c’est par son biais que la Bête s’humanise à son tour.

Une réalisation et un univers jumelés

Créant pratiquement deux films en un, le réalisateur Mamoru Hosoda s’autorise dans Belle un mélange très audacieux d’animation 2D et 3D. Les images de synthèse soulignent le monde virtuel, tandis que l’on passe en animation traditionnelle quand on revient dans le monde réel.

On note également une approche différente en termes de réalisation. La caméra, très aérienne et mouvante lorsqu’il s’agit du monde virtuel, devient très statique dans le monde réel en enchaînant les plans fixes.

Le monde réel dans lequel évoluent les personnages est constitué de « tableaux achevés » un brin tristes, alors que le virtuel est chaotique mais toujours mouvant et en perpétuelle évolution.

Cette dichotomie, d’abord un peu perturbante, finit par permettre aux deux univers, non de s’opposer, mais au contraire de se compléter. On peut considérer que le parti pris est discutable, car beaucoup trop favorable au monde virtuel, jusqu’à une certaine dose de naïveté.

Cependant, la tendance actuelle au cinéma étant plutôt à la défiance à son égard, on peut tout de même saluer l’initiative du réalisateur de Belle, qui a le mérite de laisser le débat ouvert.

Une curiosité à voir

image hosoda mamoru belle

En conclusion, nous dirons que Belle a beau se revendiquer du conte bien connu de La Belle et la Bête, il en est surtout une réappropriation moderne, une curiosité atypique qui brasse de nombreux sujets actuels, quitte parfois à s’y perdre en route. Si son univers visuellement magnifique et sa réalisation souvent inspirée peuvent séduire, il n’en va pas nécessairement de même de son histoire et de ses personnages. Pour une nouvelle version de la Bête plutôt inattendue mais intéressante, on se passionne peu pour la destinée de la « Belle » et cette ambivalence pourrait être généralisée à l’ensemble de l’œuvre.

Il y a autant du bon que du moins bon dans ce métrage, mais personne n’y restera totalement indifférent. A chacun de savoir si l’envie d’aller s’en faire sa propre idée au cinéma le tente.

Article écrit par

Depuis toujours, je perçois le cinéma, certes comme un art et un divertissement, mais aussi et surtout comme une porte vers l'imaginaire et la création. On pourrait dire en ce sens que je partage la vision qu'en avait Georges Méliès. Avec le temps, de nombreux genres ont émergé, souvent représentatifs de leurs époques respectives et les bons films comme les mauvais deviennent ainsi les témoins de nos rêves, nos craintes ou nos désirs. J'ai fait des études de lettres et occupé divers emplois qui jamais ne m'ont éloigné de ma passion. Actuellement, sous le pseudonyme de Mark Wayne (en hommage à l'acteur John Wayne et au personnage de fiction Bruce Wayne alias Batman), je rédige des critiques pour le site "Culturellement Vôtre". Très exigeant dans ma notation des films, en particulier concernant le scénario car c'est la base sur lequel aucun bon film ne peut émerger s'il est bancal ou pour le moins en contradiction avec son sujet. Je conserve une certaine nostalgie d'une époque qui me semble (pour l'instant) révolue où le cinéma ne se faisait pas à base de remakes, intrigues photocopiées et bien-pensance. Néanmoins, rien n'entame mon amour du cinéma, et chaque film que je regarde me le rappelle, car bons ou mauvais, ils restent le reflet de notre époque.

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