Introduction du dossier
Vous trouverez dans ce dossier des réflexions sur le sujet de la conquête de l’espace, entre rêves d’enfants et interrogations sur la place de l’homme dans l’espace. Ce sont principalement des articles sur la représentation de l’homme dans l’espace au cinéma, sur la manière dont on imagine et tente de figurer l’espace, ainsi que des questionnements éthiques (dans mes articles sur Wernher von Braun en particulier). La conquête de l’espace réveille l’imagination émerveillée de l’enfant et éveille des réflexions d’adultes : c’est cette ambivalence qui me fascine et que nous tentons de vous faire partager.
Dans sa biographie de Youri Gagarine, Le Rêve spatial inachevé (2001), le spationaute Patrick Baudry, décrit l’existence du premier homme dans l’espace comme une métaphore de l’envol de l’homme vers les étoiles, puis sa chute après les mission Appolo, de même que Gagarine a été cloué au sol après son excursion historique en orbite. La métaphore de Patrick Baudry est à la fois touchante et pertinente, car la présence de l’homme dans l’espace après Apollo XVII semble bien avoir été victime d’une “malédiction Gagarine” où l’envol formidable qui a mené l’homme jusqu’à la Lune a été brisé, l’homme retournant sur Terre et dans sa proche banlieue (les stations Mir puis ISS) pour ne plus les quitter.
Ce qui semblait le plus improbable au moment de la sortie de 2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), ce n’était pas la vision des voyages spatiaux, des stations orbitales et habitations lunaires de ce film, c’était de penser qu’aucun homme ne serait retourné sur la lune depuis 1972 ! Personne ne pouvait imaginer cela. Ironie finale du récit de la vie de Youri Gagarine, c’est aux commandes de son avion de chasse qu’il mourut, s’entraînant pour repartir dans l’espace : il voulu redresser son avion, en plein brouillard, mais s’aperçut trop tard que l’avion s’était en vérité retourné… Il ne s’est pas redressé mais écrasé. L’envol était un crash.
La science-fiction n’a pas abandonné son “rêve d’étoiles”, comme l’a prouvé le succès récent d’Interstellar (Christopher Nolan, 2014). Peut-être que les rêves de la science-fiction sont anachroniques, mais il ne faut pas oublier d’une part que ce genre est, comme tous les autres, le produit d’une série de convention, et d’autre part que “le temps de l’œuvre d’art n’est pas celui de l’Histoire” comme l’écrit Georges Didi-Huberman dans son essai sur L’Image survivante, Aby Warburg ou le temps des fantômes (Éditions de Minuit, Collection “Paradoxe”, 2002). C’est-à-dire que toute œuvre est la fixation de formes issues du passé, et donc que la science-fiction est traversée par ses rêves anciens, ses fantasmes d’une autre époque qui l’ont fait naître et que l’auteur porte en lui, qu’il doit réactualiser, pervertir ou invoquer pour mieux les dénoncer.