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[Critique] Toutes les femmes sont des aliens – Olivia Rosenthal

image couverture toutes les femmes sont des aliens olivia rosenthal éditions gallimard verticalesQuels souvenirs gardons-nous des films qui nous ont marqués, comment ceux-ci s’inscrivent en nous et nous renvoient à notre identité, nos peurs, nos désirs ? C’est pour engager une réflexion autour de ces questions et esquisser quelques réponses qu’Olivia Rosenthal a écrit Toutes les femmes sont des aliens, publié en février dernier aux Editions Verticales chez Gallimard. Ce livre inclassable, véritable OVNI littéraire, comprend trois textes s’attachant à des œuvres différentes : la quadrilogie Alien pour le texte éponyme, Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock dans « Les Oiseaux reviennent » et enfin Bambi et Le livre de la jungle dans « Bambi & Co ». Mêlant résumé de l’intrigue, souvenirs spectatoriels et analyse, le tout sur un ton très personnel, où l’humour côtoie pertinence et impertinence, Toutes les femmes sont des aliens nous invite à revoir ces grands classiques d’un œil neuf, sans se prendre au sérieux, mais en proposant, mine de rien, des pistes de lecture intéressantes.

Émotions cinéphiles et réflexion

Olivia Rosenthal n’est pas seulement romancière, elle est également performeuse et cela se sent d’emblée, puisque le livre, avec son style très oral, donne le sentiment d’avoir été écrit comme une performance. Cela n’est évidemment pas dû au hasard : les trois textes qui composent Toutes les femmes sont des aliens ont en effet été adaptés pour le théâtre par le collectif Ildi! Eldi, qui en a tiré un spectacle multimédia. Résultat : ces textes, au rythme très travaillé, donnent une impression de fluidité, de spontanéité, tout en faisant de multiples digressions. L’auteure s’adresse à nous lecteurs, exhume ses premiers souvenirs de spectatrice devant ces films que tout le monde connaît mais qui ont encore beaucoup de choses à nous dire aujourd’hui et, par ce biais, elle convoque également notre mémoire, notre perception de ces œuvres.

Tout en se donnant l’air d’une spectatrice lambda, qui oublie que Les Oiseaux d’Hitchcock n’avaient pas pour vedettes Grace Kelly, Ingrid Bergman, James Stewart ou Cary Grant, mais les « insipides » Tippi Hedren et Rod Taylor, Olivia Rosenthal fait preuve d’une véritable sensibilité cinéphile, débarrassée de toute prétention. Il ne s’agit pas ici de nous donner un cours magistral de cinéma, mais de faire appel à notre mémoire, à notre plaisir de spectateurs. Alors, nous pouvons réfléchir avec elle aux problématiques qui se dégagent de ces films, nous interroger sur ce qu’elles éveillent en nous et rire, à la fois de ces mensonges éhontés véhiculés par Hollywood et de nous-mêmes, perdus que nous sommes au milieu de toutes ces questions liées à l’identité, la famille ou le genre, qui nous assaillent de toutes parts.

Alien et le « devenir monstre » des femmes

A travers les quatre Alien, c’est la peur, mais également l’identité féminine qu’elle sonde et interroge. Adoptant dès le début un rythme haletant (la première « phrase » fait 4 pages), Olivia Rosenthal nous résume les différents films, en les mélangeant parfois un peu, en disant ce que ces images provoquent en elle, ce qu’elles évoquent. Si la saga SF met en scène de vilains monstres, il y est finalement question du « devenir monstre » d’une femme, Ellen Ripley et, à travers elle, de toutes les femmes. Oui, toutes les femmes sont des aliens et l’auteure, à travers ce long monologue où elle dialogue avec les films, en fait ressortir les enjeux cachés.

Bien sûr, toutes ces remarques, aussi pertinentes soient-elles, ne sont pas entièrement neuves. La scène, dans le premier film, où un alien transperce la poitrine d’un membre de l’équipage de Ripley, avait provoqué des réactions angoissées chez les femmes enceintes, par exemple, qui y voyaient un évident parallèle avec leur état et l’accouchement. A tel point que l’on déconseilla aux femmes enceintes d’aller voir le film de Ridley Scott. La dimension féministe de l’oeuvre, ses nombreuses allusions sexuelles, ont également été maintes fois commentées et analysées. Cependant, Olivia Rosenthal ne se place pas du strict point de vue de l’analyse filmique, mais propose un texte hybride, mêlant autofiction, analyse et réflexion et c’est finalement son ton si particulier, sa manière de tisser des liens avec son vécu de spectatrice mais aussi de femme, qui fait tout l’intérêt de ce livre qui se lit à toute allure.

La fausse naïveté de Bambi et Mowgli

Nous l’avons déjà dit en préambule mais cela mérite d’être répété : Toutes les femmes sont des aliens est un ouvrage très drôle, qui relève des points tout à fait pertinents sans jamais se départir de sa légèreté, même quand l’auteur explique que la forêt noire de Bambi (film réalisé en 1942) la renvoie à la Seconde Guerre Mondiale ! Alliant vraie légèreté et vrai-faux sérieux, Olivia Rosenthal énumère les contradictions des deux classiques de Walt Disney, Bambi et Le livre de la jungle, pour mieux nous parler (avec humour) de la remise en question ou redéfinition de la cellule familiale, de l’importance des parents ou encore de la fluctuation de l’identité et des genres.

L’auteur débute ainsi le texte « Bambi & Co » en évoquant le traumatisme enfantin incommensurable que constitue la mort de la mère dans Bambi et son étonnement, en revoyant le dessin animé aujourd’hui, où il apparaît que nous ne voyons pas la mère mourir à l’écran et, surtout, que le jeune faon s’en remet très rapidement, puisqu’on ne trouve plus aucune mention de la maman après cette terrible scène. « Sous ses airs de gentille et naïve comédie musicale, Bambi disqualifie le rôle de parent et ruine, du même coup, l’édifice qu’ils ont eux-mêmes sagement construit pour nous donner envie de nous reproduire », nous dit-elle malicieusement en page 112. Si elle relève avec justesse que la mort de la mère n’est suivie d’aucun changement esthétique dans le film, elle oublie qu’une ellipse suit l’annonce de la mort de la mère et que nous retrouvons ensuite Bambi adolescent, arborant de jeunes bois. La mort de la mère marque donc la fin de l’enfance (et de l’innocence) et le changement physique du héros constitue une sorte de métamorphose, contrairement à ce que nous dit Olivia Rosenthal, qui prétend que la disparition de la mère n’entraîne aucune métamorphose chez Bambi. Mais cela n’est qu’un détail tant la lecture du texte se révèle jubilatoire.

La partie dédiée au Livre de la jungle n’est pas en reste, puisque Olivia Rosenthal ne manque pas de relever avec justesse l’ambiguïté concernant le sexe de la panthère Bagheera (bien que la voix française soit masculine) et même (moins convaincant) celle de Baloo, s’amusant à voir là une possible histoire d’homoparentalité alors que la révolution sexuelle bouillonne encore, l’ours et la panthère se partageant l’éducation de Mowgli. La fin du dessin animé, qui effectue un revirement conventionnel  (et qui s’oppose à celle du livre de Kipling, même si l’auteure n’en parle pas) est également critiquée : quoi, Mowgli quitterait ses amis et parents de substitution pour la première petite fille croisée ? Drôle et percutante, la démonstration finit cependant sur une touche poignante et c’est aussi dans ces revirements, au détour d’une phrase, que l’écriture d’Olivia Rosenthal nous saisit.

Parler cinéma pour mieux parler de soi ?

Drôle, atypique, (im)pertinent, Toutes les femmes sont des aliens est un livre inclassable, un OVNI littéraire qui fait appel à nos premiers émois de spectateurs et nous rappelle avec beaucoup de force le plaisir de découvrir un film pour la première fois, mais aussi de le redécouvrir, avec toutes les différences que cela suppose, comme lorsque notre mémoire nous joue des tours et que le film imprimé dans nos souvenirs se révèle fantasmé, faisant de l’ombre au film réel, comme l’auteure le montre dans son texte « Les Oiseaux reviennent ». Il est aussi question du plaisir de frissonner tout en étant bien en sécurité dans son fauteuil et des questions d’identité, de genre, de famille. Le tout traité avec légèreté, sans visée moralisatrice.

Les films sont un formidable support sur lequel se projeter, et c’est de ce rapport particulier qui se noue entre l’oeuvre et nous qu’Olivia Rosenthal nous parle avec beaucoup de sensibilité et d’à propos. Parler d’un film, rappelle-t-elle au début du texte éponyme, c’est aussi parler de soi et il peut être plus facile de parler d’un film que de soi, car un film ayant un début, un milieu et une fin, on sait où les choses se dirigent, ce qui  n’est pas le cas de notre histoire personnelle. Si l’auteure nous parle donc d’elle entre les lignes, elle nous invite surtout, en nous replongeant dans nos souvenirs de cinéphiles, à nous interroger sur ce qui nous touche et fait sens pour nous dans ces grands classiques intemporels qui ont jalonné notre vie. Et à replonger, encore et toujours, à la découverte d’émotions sans cesse renouvelées.

Toutes les femmes sont des aliens d’Olivia Rosenthal, Éditions Verticales/Gallimard, 11 février 2016, 149 pages. 10€

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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