Un premier tome prudent mais diaboliquement efficace
Le Diable, et son anglicisme « Devil », est indéniablement un incroyable appeau à amateur de culture « de genre ». Bien évidemment, il ne suffit pas d’invoquer le grand cornu dans un titre pour que l’histoire qui se cache derrière se révèle effectivement en rapport avec les Enfers, mais tout de même : l’attention est retenue, et le public déjà en alerte. Cela résulte d’années bénies pour cette culture, alors que le chef des démons se faisait présent notamment dans des films bien paranoïaques, en assurant sa présence ou, même, en envoyant des représentants (ah, La Malédiction) tenir le haut du pavé. Bref, c’est avec une certaine curiosité, piquée au vif, qu’on a découvert ce premier tome de Sons Of The Devil, dont la couverture fleure bon le « 666 ».
Sons Of The Devil T1 s’intéresse à Travis, un homme apparemment ordinaire : un boulot craignos, un chien, une petite amie, pas beaucoup d’amis. Seulement, d’anciennes blessures, ou plutôt le manque affectif créé par son état d’orphelin, lui ont forgé un caractère irascible, et ce n’est pas le nez cabossé de son patron qui avancera le contraire. Une autre singularité est beaucoup plus visible : Travis a les yeux vairons, dont un d’un rouge pour le moins étrange. Sa vie va basculer quand, un jour, son frère adoptif le retrouve en lui assurant qu’il a des informations sur ses vrais parents. Une bonne nouvelle qui va vite s’avérer être le point de départ d’un véritable cauchemar.
Ce tome d’introduction à l’univers de Sons Of The Devil contient bien des éléments prometteurs, qu’on se le dise. Brian Buccellato est clairement un scénariste de talent, qu’on sent en pleine possession de ses moyen après de nombreuses expériences fortes : passer par Flash (qu’il a récemment quitté), Spiderman, Batman, ça fait de sacrés points forts sur un CV. Sons Of The Devil est pourtant un projet apparemment moins ambitieux, ayant emprunté les chemins de Kickstarter pour pouvoir pleinement s’accomplir. « Apparemment » seulement, car tout dans le volume ici traité relève de l’œuvre bourrée d’idées, et ce même si cette introduction brasse aussi pas mal d’éléments classiques, voire prudent.
Une maîtrise formelle indiscutable
Sons Of The Devil T1 est avant tout l’histoire d’un enfant qui ne sait absolument pas d’où il vient. Bien évidemment, l’élément « de genre » arrive très tôt dans le récit, et se fait assez présent pour qu’on ne l’oublie pas : il est une menace en perpétuelle évolution alors que le récit fonce tout droit vers lui. Il fallait pour cela que les personnages soient bien écrits et rassurez-vous, ils le sont. On devient très vite familier des âmes qui prennent part à cette histoire, et ce sont elles qui font toute l’ambiance en instillant pas mal de sentiments pesants. Formellement, le scénario est aussi du tout bon, Brian Buccellato maîtrise parfaitement son sujet et utilise ce qu’au cinéma on appelle le montage parallèle. En gros, et pour ne pas trop effeuiller la surprise provoquée par la lecture, Sons Of The Devil utilise deux lignes temporelles : 1989 et de nos jours. La première montre les exactions d’une secte inquiétante, peut-être un poil lisse dans son traitement, et l’autre se contente sur les conséquences de ce qui se passera dans ce passé qu’on découvre petit à petit.
Dès lors, en créant constamment cet intérêt, Sons Of The Devil T1 se dévore, et ce même si son classicisme de façade pourra peut-être un peu faire tiquer. Si la narration est exemplaire, on attendra de voir par la suite si le pur récit ne restera pas trop cramponné sur ses appuis. Mais, entre nous, on est plutôt confiant, et comment ne peut-on pas l’être après un final de ce tome qui ouvre un beau champ de possibilités ? Ajoutons que les purs fans d’épouvante seront aux anges : Sons Of The Devil ne cherche jamais à cacher son appartenance à la culture « de genre », et les éléments flippants ne sont jamais contrebalancés par une volonté de troubler les pistes qui auraient pu interférer avec le propos. L’atmosphère est franche du collier donc, et bon sang que ça fait du bien.
De bonnes impressions à la lecture certes, mais aussi quand il faut se référer aux illustrations. Sons Of The Devil T1 profite du dessin d’un Toni Infante qui est, pour nous, une totale découverte. Passé par Disney, il a ensuite travaillé sur quelques comics espagnols avant de se lancer, ici, dans sa première série. Son style est plutôt réaliste, avec certains traits plus brutaux afin de souligner une certaine dureté d’action. Une patte qui met en relief l’émotion aussi, et jouant intelligemment avec le regard des personnages, les yeux varans étant ce qui rapproche certains d’entre eux, mais n’allons pas plus loin. C’est lisible, le mouvement se ressent : du tout bon. Ainsi, Sons Of The Devil T1 s’avère être une introduction efficace, qui ne manquera pas de ravir les amateurs de comics sombres et horrifiants, sans que l’écriture des personnages ne soient sous-traitée. Du potentiel, qu’il va falloir confirmer par la suite.
Sons Of The Devil T1, un comics écrit par Brian Buccellato, illustré par Toni Infante. Aux éditions Glénat Comics, 160 pages, 14.95 euros.