Alors que l’on attend avec impatience son essai sur James Cameron, Guy Astic, le fondateur des éditions Rouge Profond, est de retour en librairie aujourd’hui avec pas moins de deux essais sur le fantastique et l’horreur, un diptyque justement nommé Images et mots de l’horreur.
Dans le premier tome, Outrance et ravissement, l’auteur propose une suite d’essais autour de cette notion particulière de l’outrance, qui se caractérise dans le cinéma ou la littérature horrifique par une forme d’exubérance : excès d’hémoglobine, d’effroi, recours au grotesque et impureté des formes… Bref, tout ce qui peut heurter notre sensibilité et provoquer en nous trouble et malaise, la fascination et un certain plaisir n’étant jamais bien loin. Après tout, ne dit-on pas que, tels des enfants, nous aimons nous faire peur ?
Chair ouverte, érotisme et territoires interdits
Pour traiter de cet aspect de l’horreur, finalement assez large, Guy Astic prend pour centre névralgique l’oeuvre de Clive Barker, écrivain britannique dont nous vous avons beaucoup parlé ces derniers mois (Les Évangiles écarlates, Coldheart Canyon, Secret Show, Sacrements, Galilée…), et dont les romans terrifiants, bien plus violents que ceux d’un Stephen King par exemple, proposent ce que l’on pourrait nommer une esthétique de l’horreur : Barker rentre dans les plaies des écorchés, s’intéresse à la putréfaction, les textures de la mort pour peindre à l’encre de sanglants tableaux et tisser des récits où les cadavres ont bien des choses à raconter. Une approche organique, viscérale donc, qui peut fasciner, rebuter, mais ne laisse en tout cas pas indifférent. De ce maître de l’horreur, plus connu pour Hellraiser, il sera donc question dans les trois premiers chapitres du livre, après quoi le lecteur découvrira des essais consacrés à La mouche de David Cronenberg, Candyman (par ailleurs inspiré d’une nouvelle de Clive Barker), l’enfant maléfique dans le cinéma fantastique, Buffy contre les vampires, la figure du serial killer, les morgues ou encore les nouvelles de Robert Bloch, William Fryer Harvey ou Stephen King.
Un panorama varié donc, mêlant essais inédits et anciens articles retravaillés, mais d’où se dégage une cohérence certaine. Guy Astic y livre une analyse brillante de l’oeuvre littéraire et cinématographique de Clive Barker, et met le doigt sur ce qui rend ses écrits aussi perturbants : « La propension à faire se décoller la peau, à insister sur l’écorchement, s’apparente aussi à un déshabillage érotique qui fait advenir en plein une réalité digne d’un porno voire d’un gonzo. » (p. 22) Un élément que l’on retrouvera plus loin, lorsque la représentation de la morgue et ses cadavres disloqués au cinéma est abordée au sein du chapitre « La mort sens dessus dessous », dans lequel l’auteur se penche sur Eyes Wide Shut, Le veilleur de nuit ou Aftermath. Dans ces oeuvres, la morgue est une sorte d’entre-deux, un passage d’un monde vers un autre, où plane le tabou de la nécrophilie. Rigide, soumis à une autopsie clinique faisant jaillir au grand jour des textures organiques non-observées sur des êtres vivants, le cadavre est parfois également érotisé, comme dans l’ultime film de Stanley Kubrick, où le personnage de Tom Cruise semble troublé par ce corps figé : l’exhibition de sa froide nudité ne donne-t-elle pas l’impression, par la position du corps et le cadrage du plan, que la défunte est ainsi offerte ?
Le parallèle écorchement-strip tease soulevé par l’auteur peut aussi évoquer la Vénus des médecins, cette statue de cire féminine utilisée en cours d’anatomie dont on peut retirer le ventre ou la poitrine afin d’observer ses entrailles, retirer ses boyaux… Une idée qu’explorera également Botticelli dans les panneaux Histoire de Nastagio degli Onesti (1482-1483), représentant une Vénus perpétuellement mise à mort, que l’on voit pourchassée puis éviscérée par un soupirant déçu qui donne ses entrailles à manger à ses chiens ; une oeuvre qui contraste radicalement avec son tableau La naissance de Vénus, où la déesse était représentée dans toute sa beauté froide et lointaine, inaccessible. Pourtant, dans les deux cas, érotisme et cruauté ne sont jamais loin, comme le montrait Georges Didi-Huberman dans son essai Ouvrir Vénus par ailleurs cité par Guy Astic. Cette dimension viscérale, on la retrouve aussi à l’oeuvre, bien entendu, dans La mouche de Cronenberg, où la métamorphose peu ragoûtante de Seth (Jeff Goldblum), s’accompagne dans un premier temps d’une libido insatiable. La chair n’est pas uniquement mise à nu, elle est également ouverte.
Absurdité de la mort et rire noir
Entre fascination et répulsion, curiosité envers la mort et instinct de survie, l’horreur est donc l’occasion d’explorer des territoires interdits, où nous vacillons face à l’idée de la mort, la nôtre comme celle d’autrui, et frissonnons devant des démons ou, pire encore, des enfants à l’allure innocente se révélant de redoutables tueurs. Face à tant d’exubérance, la mort la plus ordinaire est parfois aussi la plus choquante, comme le relève avec à propos Guy Astic dans le très bon chapitre qu’il consacre à Buffy contre les vampires, lorsqu’il évoque — parmi d’autres éléments de la série — le cas de la mort naturelle de Joyce Summers, la mère de l’héroïne, face à laquelle la Tueuse de vampires se retrouve d’autant plus démunie qu’elle n’a aucun démon à pulvériser pour y faire face. Dans une série où le personnage principal ne cesse de donner la mort à une ribambelle de suceurs de sang qui se dispersent dans un nuage de cendres et symbolisent tout autant de démons intérieurs, cette mort on ne peut plus concrète nous ramène à la réalité du corps et interpelle. Plus de quinze ans plus tard, les spectateurs ne s’en sont toujours pas remis.
Enfin, bien évidemment, Stephen King est maintes fois cité à travers cet ouvrage, ce qui n’est pas une surprise puisque Guy Astic a déjà dirigé plusieurs ouvrages collectifs consacrés au maître de l’horreur. Dans le chapitre qui clôture Outrance et ravissement, il se penche sur ses nouvelles centrées sur des gags horrifiques : « Mile 81 » du recueil Le bazar des mauvais rêves, mais surtout les récits réunis au sein de Rêves et cauchemars, paru en 1993, où l’humour et l’absurde côtoient l’effroi pour nous mettre face à nos peurs et nos instincts primaires. Un versant humoristique de l’horreur que Guy Astic aborde également dans le chapitre « Rira bien qui rira le dernier », où il plonge dans l’oeuvre de Robert Bloch et Dennis Etchison, dont le rire noir est nécessairement ambivalent, tranchant.
C’est donc à une exploration de l’horreur dans tout ce qu’elle a de plus viscéral que nous invite Guy Astic avec Outrance et ravissement, essai d’une belle densité qui vient enrichir le catalogue aussi varié que pointu des éditions Rouge Profond. Sans chercher à traiter le sujet de manière exhaustive — il a ici sélectionné des films, séries, auteurs, cinéastes importants, sur lesquels il a souvent déjà écrit et qu’il affectionne de manière évidente — il parvient à tisser une réflexion passionnante, où l’analyse filmique et littéraire est enrichie par une approche esthétique rigoureuse faisant également appel à la peinture et l’histoire de l’art et inversement ; il analysera ainsi un tableau de Pierre Peyrolle en convoquant David Lynch. Un livre à lire dans l’ordre (on notera une cohérence dans la présentation des sujets) ou bien à picorer par petits bouts, chapitre par chapitre, avant d’enchaîner avec la deuxième partie d’Images et mots de l’horreur : Territoires de l’effroi.
Images et mots de l’horreur 1 : Outrance et ravissement de Guy Astic, Rouge Profond, sortie le 6 avril 2017, 144 pages. 16€