Caractéristiques
- Auteur : Fabien Grolleau (scénario) & Jérémie Royer (dessin)
- Editeur : Dargaud
- Date de sortie en librairies : 5 février 2016
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 192
- Prix : 21€
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- Note : 9/10 par 1 critique
Peu connu en France, Jean-Jacques Audubon est pourtant le seul Français de son temps aussi connu que La Fayette aux États-Unis. Ornithologue, naturaliste et peintre, il fut le premier à peindre plusieurs centaines d’espèces d’oiseaux différentes sur le sol américain.
L’oeuvre de toute une vie, réalisée avec un talent et une sensibilité de peintre, ce qui lui valut de nombreux reproches lorsqu’il chercha pour la première fois à faire publier ses travaux aux États-Unis : on lui disait en effet que ses portraits n’étaient pas naturalistes et scientifiques car ses oiseaux étaient représentés de manière trop « vivante » et poétique, qu’il s’agissait d’une approche artistique.
C’est finalement grâce à l’Angleterre que Oiseaux d’Amérique sera finalement publié en 1842. L’oeuvre connaîtra un grand succès et lui apportera la fortune, lui qui s’était longtemps endetté en suivant sa passion.
L’homme et la légende
La bande-dessinée de Fabien Grolleau et Jérémie Royer nous raconte son histoire mais, dès le début, les auteurs nous préviennent que nous ne devons pas prendre pour argent comptant tout ce que nous lirons. Audubon, qui publia également des écrits où il racontait entre autres ses voyages, avait semble-t-il tendance à embellir la vérité. Loin de vouloir présenter une biographie objective démêlant le vrai du faux, Fabien Grolleau et Jérémie Royer ont au contraire souhaité faire le portrait d’une personnalité hors norme et passionnée, où la légende nous en raconte tout autant, si ce n’est plus, sur l’homme et ses rêves qu’une réalité peut-être plus terre-à-terre.
De ce fait, la bande-dessinée se trouve régulièrement imprégnée d’un onirisme plein de poésie, jusqu’à la fin, bouleversante. Cette approche permet ainsi aux auteurs d’éviter habilement les écueils de la biographie dessinée plan-plan. Sur les ailes du monde, Audubon est habité d’un vrai souffle, quasi-romanesque, qui nous emporte loin, dans la psyché de cet homme tout à la fois attachant et paradoxal. Considéré comme un des fondateurs de l’écologie américaine et véritable amoureux de la nature, il n’hésitait pas à tuer des spécimens afin de pouvoir les dessiner avec la plus grande précision. Le plaisir de chasseur avec lequel il affirme avoir tué un couple d’oiseaux particulièrement rares pourra choquer notre sensibilité contemporaine, par exemple. Néanmoins, c’est la passion de cet « homme-oiseau », qui vivait dans son propre monde, qui l’emporte dans le récit et le rend particulièrement poignant.
Une bande-dessinée de toute beauté
La mise en images de la vie de l’ornithologue est quant à elle de toute beauté, en faisant l’une des plus belles bande-dessinées qu’il nous ait été donné de découvrir depuis le début de l’année. A mille lieux des planches aux traits standardisés et colorisées à l’ordinateur sans nuances, Sur les ailes du monde, Audubon affirme au contraire un style à la fois simple et riche en détails, avec des traits de crayon souvent apparents et des couleurs subtiles (bien que numériques), qui siéent à merveille à l’Amérique du 19e siècle. Sans jamais chercher à les reproduire à l’identique, conservant un trait qui lui est propre, Jérémie Royer représente les oiseaux et les dessins d’Audubon avec une sensibilité en harmonie avec celle du peintre, dont quelques tableaux nous sont présentés en annexes.
Le récit est divisé en plusieurs parties, chacune correspondant à un lieu différent : le Kentucky, le Mississipi, la Nouvelle-Orléans et la Grande-Bretagne. Quatre parties comme autant de saisons de la vie d’un homme, la première se concentrant sur la période où ses explorations ont commencé, après qu’il eut décidé d’abandonner pour de bon les affaires pour se consacrer à sa passion, qui l’éloignera de sa famille durant de longues années. A partir de cette sélection d’épisodes de sa vie, certains plus ou moins fantasmés, inspirés en partie de ses propres écrits, Sur les ailes du monde, Audubon tisse un récit prenant autour de son sujet, tourné tout entier vers le plaisir de l’aventure et de la découverte et entrecoupé de retours à la civilisation souvent difficiles, entre les dettes accumulées, la recherche de souscripteurs et une vie de famille qui le renvoie à sa longue absence et aux manques, liés à son enfance, que l’on devine.
Un monde en train de disparaître
Fabien Grolleau et Jérémie Royer apportent alors à la bande-dessinée une certaine mélancolie, une noirceur en creux. Cette nature sauvage et luxuriante du début du 19e siècle rappelle à quel point les choses ont changé. La colonisation des États-Unis, le sort réservé aux amérindiens, sont également présents en arrière-plan, à travers les écrits d’Audubon, tandis que le massacre gratuit des bisons par son équipe pour se défouler après un long voyage (ce qu’il regrettera), augure de la disparition progressive de certaines espèces et le recul de la nature face à un homme conquérant, en lutte contre son environnement. L’Amérique d’Audubon n’est déjà plus celle des amérindiens, mais la beauté qui s’en dégage est celle d’un monde qui disparaît lentement, dans lequel le naturaliste et peintre se fond, au risque par moments d’y disparaître. Néanmoins, au-delà des difficultés rencontrées par cet avant-gardiste à la personnalité complexe, c’est le sentiment de liberté qui finit par l’emporter dans un final aussi émouvant que symbolique, s’achevant sur une magnifique dernière planche.
Sur les ailes du monde, Audubon apparaît ainsi comme une bande-dessinée singulière, mettant en lumière la beauté et la richesse d’une nature luxuriante, vue à travers les yeux d’un homme, naturaliste et artiste avant-gardiste, qui fut longtemps incompris. Un homme qui connut des aventures extraordinaires, qu’il n’hésitait pas à embellir dans ses récits, bâtissant ainsi sa propre légende, et dont les multiples facettes prennent vie avec une belle force poétique à travers cette bande-dessinée onirique et sensible, fruit d’une collaboration de plusieurs années entre le scénariste Fabien Grolleau et le dessinateur Jérémie Royer.