Western moderne
La bande dessinée et le western, voilà un couple qui a su faire le dos rond, laissant passer une certaine crise de la créativité pour mieux remonter la pente, notamment depuis l’excellent Texas Cowboys de Lewis Trondheim. Alors que le genre est clairement orphelin de l’immense Jean Giraud, et que toute une nouvelle génération d’auteurs veut visiblement se l’approprier, un duo semble vouloir se démarquer en abordant des thèmes assez inédits avec une bande dessinée au titre évocateur : L’Odeur des Garçons Affamés.
L’Odeur des Garçons Affamés prend place au lendemain de la guerre de Sécession, alors que le gouvernement en place relance les terribles campagnes d’exploration à l’Ouest du Mississippi. Stingley, un ingénieur ambitieux, profite de cette situation pour tenter de s’approprier un immense terrain pour des raisons pour le moins détestables. Afin de déloger les Comanches qui peuplent cette terre, Stingley fait appel à deux hommes : Oscar Forest, un photographe doué, et Milton, jeune homme à tout faire. Ces deux derniers vont, petit à petit, tomber amoureux. Autour d’eux, rôdeurs et étranges tueurs à gage hantent les lieux, alors que les personnages ont de plus en plus de mal à cacher qu’ils sont moins clairs qu’il n’y paraît…
L’Odeur des Garçons Affamés est un one-shot intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, l’auteure Loo Hui Phang utilise la situation du western plus qu’elle ne s’intéresse véritablement au genre. Le scénario éveille des sentiments universels, et nous présente une problématique aux conséquences facilement adaptable à notre temps. Les codes sont utilisés, parfois détournés, afin de nous parler des génocides, mais aussi des stéréotypes de genre au sein d’un récit initiatique dépassant largement les frontières du fantastique. On dévore L’Odeur des Garçons Affamés à grande vitesse, c’est fluide, clairement un très bon travail d’écriture, agréable et engagé.
Splendeur des paysages, subtilité des émotions
Pour imager L’Odeur des Garçons Affamés, il fallait un artiste capable à la fois de capter la splendeur des paysages de l’Ouest, mais aussi la subtilité des sensations distillées par un récit qui n’hésite pas à verser dans le fantastique. Frederik Peeters est celui-ci, et ce constat va au-delà de ce que l’on en attendait. Si son style très fin, qui élance les corps et leur donne vie avec une grâce très à-propos, est bien connu depuis le très recommandable Les Pilules Bleues, nous ne pouvions pas non plus nous attendre à un tel résultat. C’est simple, on est tombé amoureux de cet univers profond et mystérieux, qui nous laisse des images très persistantes dans notre imaginaire. Un talent qui se retrouve aussi dans la mise en scène de L’Odeur des Garçons Affamés, le style de Peeters facilite l’une des facettes de l’intrigue : construire un huis-clos dans un des environnements les plus ouverts qui soit. Les trois personnages forment une figure géométrique entêtante fait d’adversité, d’attirances et de modernité, et le lecteur se retrouve plongé au milieu avec de bien délicieuses sensations.
L’Odeur des Garçons Affamés est une bande dessinée surprenante de par ses thèmes modernes, qui se fondent très bien dans une situation western englobant la globalité dans son univers impitoyable. L’auteure Loo Hui Phang fait preuve d’une maîtrise étonnante, en livrant un récit à plusieurs degrés de lectures, qui profite de pouvoir plonger ses personnages dans l’hostilité de l’Ouest pour prendre la tangente et nous parler des stéréotypes, et de leurs conséquences sur la folie des Hommes. L’Odeur des Garçons Affamés est aussi un spectacle pour les yeux, au rythme haletant qui explose lors d’un final bourré d’un suspens savamment préparé. Frederik Peeters confirme en ce sens tout le bien que l’on pense de lui. Lire ce genre de bande dessinée de qualité, c’est se rappeler à quel point cet art est jouissif quand il délivre un tel niveau de qualité à tous les étages…
L’Odeur des Garçons Affamés, une bande dessinée de Loo Hui Phang et Frederik Peeters. Aux éditions Casterman, 112 pages, 18.95€. Paru le 30 Mars 2016.