Principalement connue pour son anthologie Sex & the City (1997), qui a donné naissance à la série du même nom, Candace Bushnell s’est depuis spécialisée dans la littérature chick-lit, avec des romans tels que Lipstick Jungle (2005), avant de revenir aux aventures de Carrie Bradshaw, afin de raconter son adolescence dans deux romans young adult, Le journal de Carrie (2010) et Summer and the City (2011).
En finir avec Carrie ?
Bushnell, aujourd’hui âgée de 58 ans, revient sur le devant de la scène avec En finir avec Monica, un roman à l’intrigue des plus révélatrices : une auteure de romans à succès tournant autour d’une certaine Monica, alter-ego assumé, décide de se « débarrasser » de cette création encombrante afin de se tourner vers une littérature plus « sérieuse », le roman historique. Hélas ! Si elle est prête à en finir avec Monica, son éditeur et le public ne sont pas du même avis. Commence alors une aventure tout à fait farfelue où l’héroïne va voir sa créature lui échapper de plus en plus à mesure qu’elle tente de s’en affranchir.
Comme vous l’aurez deviné, En finir avec Monica pourrait en quelque sorte tenir lieu de message subliminal émis par Candace Bushnell, à jamais Carrie Bradshaw pour ses lecteurs et associée, de ce fait, à la série culte de HBO et aux deux films de la franchise. Pour mieux comprendre l’influence de Sex & the City sur la vie et la carrière de l’auteure, il faut rappeler que le livre du même nom est une anthologie regroupant les différentes chroniques de Candace Bushnell dans sa colonne justement intitulée « Sex & the City » dans le New York Observer. Colonne où Bushnell racontait, à la première personne et sur un ton souvent humoristique, sa vie sexuelle et amoureuse, ainsi que celle de ses amies. Bref, elle était Carrie Bradshwaw, avant même que le public ne fasse connaissance avec ce personnage dans la série de HBO qui débuta un an plus tard sur le réseau câblé. D’où l’ironie de la situation lorsque l’éditeur Harper Collins lui demanda en 2008 de raconter la jeunesse de Carrie, personnage issu de la série créée par Darren Star, qu’elle n’a pas inventé mais est directement inspiré d’elle ! Si, pour les lecteurs et le public en général, Carrie Bradshaw est l’alter-ego de Candace Bushnell, la créature s’est largement affranchie du maître et a même vampirisé la carrière de Sarah Jessica Parker, qui a du mal à se défaire du rôle et de l’image qui lui est associé.
Dans ce contexte, lire En finir avec Monica est assez troublant. L’auteure a beau chercher à s’en défendre, niant que ce nouveau roman fasse référence d’une quelconque manière à Sex & the City ou SJP, il est assez évident qu’elle joue avec cette dimension autobiographique et méta-textuelle. Evidemment, ce livre à l’histoire loufoque et rocambolesque ne saurait être tenu pour autobiographique dans ses différents développements et rebondissements, hautement improbables, qui ne collent pas forcément, loin s’en faut, aux biographies de l’auteure ou de l’actrice. On relèvera bien sûr que PJ Wallis, l’héroïne, vient du Connecticut et a conservé la maison familiale. Qu’elle est fraîchement divorcée, comme Bushnell. Ou encore que le public ne fait pas de différence entre SondraBeth Schnowzer, l’actrice qui interprète Monica dans les films, et son personnage. Mais le reste est une fiction estivale girly et déjantée, se moquant de toute vraisemblance, parfaite pour une lecture sur la plage. Non, c’est dans le fond qu’En finir avec Monica s’apparente à une réflexion humoristique de l’auteure sur ce qu’a été sa carrière. Réflexion que l’on pourra trouver peut-être un peu narcissique, si l’on en croit certains critiques américains, qui n ‘ont pas été tendres avec le dernier bébé de Bushnell. Cependant, si le roman n’est pas exempt de défauts et comporte, en effet, un monologue un peu artificiel et pompeux vers la fin (nous y reviendrons), il faut malgré tout insister sur le fait que le livre ne se prend pas au sérieux et n’a pas vocation à passer pour une grande oeuvre ou des mémoires.
Un roman estival léger et plaisant
Comment En finir avec Monica se défend-il, alors, en tant que roman chick-lit volontairement over the top ? Pas si mal, avouons-le, si l’on considère ce livre comme un petit plaisir coupable à ne pas prendre au premier degré. L’histoire se lit vite et avec un certain plaisir, même si les ficelles sont quelque peu visibles. L’héroïne, PJ Wallis, dite « Pandie », n’est pas tout à fait Bushnell ou Carrie, mais elles ne manquent pas de points communs : auteure à succès new-yorkaise, PJ mène une vie en apparence très glamour, entourée de sa bande de copines.
Cependant, là où les amies de Carrie étaient toutes des femmes intelligentes au caractère bien trempé, Candace Bushnell prend le parti de tourner la clique de Pandie en dérision, pour ne pas dire en ridicule et ce, dès le départ : hystériques, superficielles, vénales (l’une d’elles est mariée à un octogénaire épousé pour son argent), n’ayant que les mots « Botox » ou « cupcakes » à la bouche, ce sont clairement des caricatures. Ce que l’on pourrait trouver dommage, surtout venant de la part d’une femme, si ce côté un peu vain et superficiel n’était pas utilisé pour contraster de manière radicale avec le personnage de SondraBeth Schnowzer, l’ancienne meilleure amie de Pandie, star de cinéma, mais aussi fille de la campagne ultra cash dont la mentalité diffère à certains égards de celle du show business. Les amies de l’héroïne dans le présent sont surtout présentes en guise de side-kick comique au tout début avant de réapparaître quelques instants sur la fin, établissant un contraste marqué avec l’état d’esprit de Pandie, avant de se retrouver très vite éclipsées par le récit de l’amitié teintée de rivalité de Pandie et SondraBeth, surnommées PandaBeth.
En finir avec Monica repose ainsi beaucoup sur une histoire d’amitié fusionnelle et conflictuelle, comme la chick-lit en regorge. Pandie est la créatrice de Monica, qui est son alter-ego idéalisé, tandis que SondraBeth est l’interprète de Monica au cinéma, repérée par Pandie elle-même. En tant que telle, l’actrice est donc une version ultime de Monica, sur laquelle Pandie se projette aussi, dans une certaine mesure, d’où une relation intense, où chacune ne fait pas forcément le distingo entre elle et l’autre. Monica les réunit, mais établit également une rivalité entre elles, SondraBeth ne tardant pas à se prendre pour la « vraie » Monica. Cet aspect particulier de l’intrigue est bien géré, bien que les contours de la fameuse Monica demeurent étrangement flous. On apprend assez vite à connaître Pandie et SondraBeth, mais la création de l’auteure, fantomatique, flottant au-dessus de chaque page, ne se révèle que rarement. Candace Bushnell joue davantage, au final, sur les liens que le lecteur ne manquera pas de faire avec sa propre oeuvre pour nous faire comprendre le désarroi de son héroïne vis-à-vis de cette encombrante créature. Carrie ou Monica, peu importe au final.
L’aspect comique du roman fonctionne assez bien dans l’ensemble. S’il ne faut pas s’attendre à piquer un fou rire, on sourit souvent devant les situations cocasses ou certaines descriptions. Certaines choses sont plus réussies que d’autres et Bushnell n’évite pas complètement certaines ficelles éculées du genre. Il faut toutefois lui reconnaître un certain panache dans sa manière de saisir ces artifices avec enthousiasme, en les assumant à 100%, de sorte que, malgré le peu de vraisemblance des nombreux retournements de situation over the top, le lecteur accepte assez bien la chose et se laisse prendre au jeu. On regrettera peut-être un chouïa une révélation finale pas assez surprenante, des indices assez significatifs étant disséminés tout au long du roman. Pour le reste, tout en étant une oeuvre chick-lit des plus classiques, En finir avec Monica se lit bien.
Un discours un peu maladroit, sauvé par une ironie sous-jacente
Vient enfin l’aspect le plus maladroit du livre : le côté « féministe », ou girl power, devrions-nous plutôt dire. Fidèle à une tradition qu’elle a elle-même participé à mettre en place depuis la fin des années 90, Candace Bushnell dresse le portrait d’une femme indépendante financièrement, pour ne pas dire aisée, menant une vie glamour, et nous raconte comment les choses ont dégénéré lorsqu’elle s’est mariée, perdant alors sa liberté et sa confiance en elle. Son mari, un cuisinier sexy, macho et irresponsable, lui pique son argent pour l’engloutir dans un projet de restaurant qui se révèle un véritable gouffre, le studio s’engraisse plus qu’elle avec les films adaptés de son oeuvre… Bref, malgré la légèreté assumée de l’ensemble, l’auteure entend aussi dénoncer le comportement d’une partie de la gent masculine et de l’industrie hollywoodienne. Chose louable sur le principe, mais qu’elle met en oeuvre de manière assez bancale, voire artificielle. Comme lors de ce monologue ampoulé de Pandie lors d’une remise de prix, où le discours féministe nous est servi de manière assez caricaturale, avec des interventions d’autres personnages féminins mal amenées. Alors certes, sur le fond, on ne peut être que d’accord avec elle : une femme ne devrait pas avoir à s’excuser d’être ambitieuse, devrait pouvoir vivre sans la pression de respecter une étiquette déterminée de mère, épouse ou autre, qui ne définit pas pour autant son identité, etc. Mais la forme, brassant au passage son lot de lieux communs et de discours rabattus sans réellement se les approprier, est ce qui pose réellement problème ici, surtout si l’on considère qu’En finir avec Monica se veut un roman sur la question de l’identité, justement.
C’est donc lorsque Candace Bushnell tente de faire passer un message de manière un peu trop évidente qu’elle se prend les pieds dans le tapis. Fort heureusement, excepté ce passage relativement court, le reste du livre ne se prend pas au sérieux, assume sa fantaisie et comporte aussi une bonne dose d’ironie pour qui saura la voir, notamment lors du final, qui vient nuancer les reproches ci-dessus. Après tout, n’oublions pas que même le discours de Pandie est une diversion et que son but ultime, à part « en finir avec Monica », est aussi et surtout de se venger de son ex. Bien que l’on puisse craindre, à un moment, qu’elle ne s’aventure sur ce terrain-là, Bushnell ne cherche jamais à faire de son héroïne un modèle. Pandie est souvent naïve, vulnérable, intelligente mais parfois superficielle, sympathique et parfois irritante, mais jamais l’auteure ne cherche à nous faire croire qu’elle puisse servir d’exemple à proprement parler.
En finir avec Monica se révèle donc être un sympathique roman estival, aussi léger qu’une bulle de champagne rosé, que l’on prendra plaisir à lire sur la plage. Le manque de vraisemblance et la dimension parfois caricaturale des personnages y sont pleinement assumés et on se prend à sourire devant les mésaventures de l’héroïne et sa meilleure copine, dépassées par une créature fictive clairement idéalisée que toutes les femmes vénèrent. En ce sens, ce nouveau livre de Candace Bushnell se présente comme une métaréflexion malicieuse de l’auteure sur l’impact de Sex & the City sur sa carrière et dans sa vie. Associée à jamais à Carrie Bradshaw, personnage télé fictif inspiré d’elle, l’ex-chroniqueuse du New York Observer démystifie (très) gentiment son alter-ego fantasmé, dont elle n’avait sans doute pas imaginé qu’il déchaînerait à ce point les passions.
En finir avec Monica de Candace Bushnell, Editions Albin Michel, sortie le 2 juin 2016, 354 pages. 20,90€